L’Ukraine d’après-conflit appelée aux urnes

Chewbacca pas au meilleur de sa forme à Odessa
Chewbacca pas au meilleur de sa forme à Odessa

Le scrutin de ce week-end était à juste titre attendu par toutes les instances diplomatiques et politiques, d’Ukraine et d’ailleurs. Non seulement parce qu’il s’agissait du troisième scrutin d’après-Maidan avec les législatives et la présidentielle, mais également, peu d’Ukrainiens semblent en avoir conscience, parce qu’il s’agissait du premier scrutin à « tête presque reposée », un scrutin d’après-guerre. Une occasion de se retrousser les manches pour relancer la machine désormais partiellement abandonnée par l’Europe et les États-Unis.

Les enjeux étaient donc particulièrement importants pour le pays. Mais, fait intéressant, à l’issue du scrutin, il semble que les Ukrainiens n’aient pas saisi l’importance de ces élections.

D’abord, la participation a été tristement faible, 46,61%.

Ensuite, il semble que les Ukrainiens s’amusent encore de voir des clowns déguisés en héros de Star Wars, participer à leurs élections. Et pire, ils semblent les cautionner (Dark Vador et l’empereur Palpatine ont été élus au conseil municipal d’Odessa…) C’est anecdotique mais la presse internationale concentrée sur les dix autres scrutins qui avaient lieu au même moment dans le monde n’a parlé que de l’anecdote de Chewbacca arrêté alors qu’il était garé en double-file. Ridicule et désolant dans une période aussi sensible pour le pays.

De manière générale, le bazar général a été aussi impressionnant que lors des élections d’avant-Maidan.  Les vieux candidats corrompus et leurs vieilles méthodes ont refait leur apparition. Les techniques de triches se comptent par dizaines, le tourniquet, la corruption d’électeurs, les intimidations, les votes multiples…

Et puis, il y a l’épine dans le pied ukrainien. Marioupol, le gros fiasco de ces élections. Conscient qu’il est et restera le roi du Donbass, Ahmetov et sa mafia ont réussi à y faire annuler les élections (également le cas dans les localités de Krasnoarmiysk and Svatove). Un revers gigantesque pour l’Ukraine, venant de cette ville située à quelques kilomètres des séparatistes, clé du conflit ukrainien. Comment un état peut-il se faire avoir sur l’impression et la distribution des bulletins de vote? Le Président Porochenko a lancé une enquête.

Mais les élections se déroulent en trois étapes, le vote n’est que la seconde. Déjà dès le début de la campagne, les irrégularités ont été classiques, nombreuses et souvent grossières. Les changements législatifs liés à l’organisation des scrutins vont dans le bon sens mais cela a finalement changé peu de choses pour le moment. L’absence de financements de campagnes contrôlés reste le problème principal. Les méthodes d’antan subsistent. Grand nombre de militants ont été payés pour afficher leur soutien (et parfois voter), de nombreux hommes d’affaires riches, souvent liés à la corruption de leur région, parfois oligarques ont créé de petits partis inconnus mais bien financés aux quatre coins du pays, les propriétaires de médias qui se présentent ont usé et abusé de leurs médias pour faire campagne… Il faut ajouter à cette liste de nombreuses violences et intimidations physiques recensées partout dans le pays.

La troisième partie du scrutin est en cours, le dépouillement. Le gouvernement se donne jusqu’à mercredi pour déclarer des résultats officiels. Mais en Ukraine, cette dernière étape n’est pas moins sensible que les deux précédentes…

Enfin, il convient de relativiser toutes ces données inquiétantes. 26,7 millions de personnes étaient appelées aux urnes pour élire prés de 170 000 responsables dimanche. Ce scrutin est de loin le plus compliqué que l’Ukraine n’ait organisé. L’OSCE a d’ailleurs parlé lundi d’un scrutin de « manière générale conforme aux  standards européens » tout en appelant le gouvernement ukrainien à rapidement réformer son système électoral pour éviter que les vieilles traditions refassent surface aux prochains élections.

Paul Gogo

Décalage Diplo : nouveau média, nouvelles publications

L’Ukraine vote dans le flou de l’après-guerre

En ce dimanche d’élections,je commence une collaboration avec un tout jeune média : Décalage Diplo. Allez jeter un coup d’œil, Harold Hyman et Antoine Colonna sont de vrais experts en matière de diplomatie et de géopolitique. C’est donc avec plaisir que je débute cette collaboration. à suivre.

Elections

« De notre correspondant à Kiev, Paul Gogo. Ce dimanche, les Ukrainiens sont appelés à élire leurs élus locaux, dans un contexte d’après-guerre compliquée, et d’abandon diplomatique. Un vrai défi.

Près de 10 000 maires et 160 000 conseillers municipaux seront élus à l’issue des scrutins. Une participation conséquente est attendue malgré la défiance ambiante liée aux réformes en cours. Ces élections sont à suivre car c’est la première fois depuis la chute du président Ianoukovitch qu’un scrutin aussi compliqué techniquement et politiquement est organisé en Ukraine. Avec le retour de la paix, ce sont ceux que les militants de Maidan souhaitaient faire disparaître qui font leur retour en force sur les listes électorales du pays. Et cela, démocratie oblige, le président Poroshenko ne peut pas y faire grand chose. À Odessa par exemple, une grande partie des candidats sont des hommes d’affaire locaux qui y organisent la corruption depuis des années.

Il y a également Ioulia Timochenko et son parti Batkivshchyna, particulièrement mal vue par la population lors de son retour sur la scène politique en 2014, qui s’est faite discrète pendant cette année de guerre, et qui promet de revenir en force à l’issue de ce scrutin. Son parti pourrait atteindre jusqu’à 11% des suffrages ce dimanche. Un bon score et une future épine dans le pied du Président Petro Porochenko pour cette élue publiquement opposée au vote de l’amendement sur la décentralisation.


Les armes lourdes disparaissent de la ligne de front et les échanges de prisonniers

continuent à avoir lieu, ces élections sont un point positif de plus


Enfin, et c’est à surveiller de près, les candidats du Bloc d’opposition, qui risquent de faire un carton dans les villes du grand Est contrôlées par l’Ukraine. Majoritairement issus de l’ancien Parti des régions du président Ianoukovitch, ils représentent la voix des prorusses dans le Donbass.

Et puis, il faudra observer la réaction de la Russie dont la propagande ne risque pas d’oublier de délégitimer le vote en rappelant que quelques centaines de milliers d’Ukrainiens réfugiés ne pourront pas y participer. D’autant plus qu’aucune élection ne sera bien évidemment organisée en Crimée comme en zone séparatiste du Donbass.

La décentralisation au cœur du scrutin
L’adoption de l’amendement de la constitution relatif à la décentralisation fait autant parler qu’elle n’est comprise en Ukraine. C’est pourtant un des enjeux de cette élection puisque ce sont ces nouveaux élus qui bénéficieront de ces changements. Mais un point de cette amendement cristallise les tensions, un amendement évoquant une « autonomie des régions du Donbass ». La guerre n’est jamais loin en Ukraine. Ce scrutin n’y échappe pas. Le terme autonomie effraie et pose problème pour beaucoup de députés. Sauf qu’il doit être adopté d’urgence, avant le 31 décembre 2015 comme l’imposent les accords de Minsk. Il s’agissait donc pour le Président Poroshenko de communiquer avec agilité sur ce sujet afin de convaincre sans rater sa campagne.
Les accords de Minsk au loin
À la veille de la rencontre « format Normandie » du 2 octobre dernier, les accords de Minsk2 (le Protocole de Minsk du 5 septembre 2014 et le Mémorandum de Minsk du 19 septembre 2014) semblaient encore être une priorité pour les diplomates des pays concernés. Il faut dire que la volonté des séparatistes d’organiser leurs propres élections locales détruisait de facto ces accords. Depuis, les séparatistes ont annoncé annuler leurs élections. Simple comme un coup de fil du Kremlin. Désormais, l’attention internationale se concentre sur de nombreux autres points chauds du monde, dont la Syrie.L’application finale des accords de Minsk2 à l’origine prévue pour le 31 décembre 2015 est pour l’instant remise à … jamais. Les parties « terrain » des accords se règlent un-par-un et finalement assez rapidement. Au 1er septembre, le cessez-le-feu est miraculeusement devenu totalement effectif, les armes lourdes disparaissent désormais progressivement de la ligne de front sous la surveillance de l’OSCE et les échanges de prisonniers, bien que non complétés, continuent à avoir lieu. Les élections de ce week-end sont un point positif de plus. Une source diplomatique française avouait récemment que certains points des accords de Minsk étaient clairement irréalistes mais que l’essentiel était de stabiliser la situation et surtout de s’assurer un cessez-le-feu durable et solide. En clair, régler le cessez-le-feu puis laisser le pays se débrouiller tout seul avec sa zone séparatiste. Et cela promet une nouvelle période difficile pour l’Ukraine qui voit l’hypothèse d’un conflit gelé devenir réalité.

Paul Gogo pour Décalage Diplo »

Nouveau projet : carte postale depuis Donetsk

J’ai écrit ce texte en février 2015, au lendemain du cessez-le-feu imposé par Minsk 2. Il me tenait à cœur d’écrire quelque chose pour décrire ce que je vivais à Donetsk à l’époque où les tirs d’artillerie rythmaient nos nuits.

Voici la « carte postale » que j’ai publié dans le magazine canadien Nouveau Projet :

« Donetsk, Ukraine

Sous les nuages de Donetsk

La vue est sans nul doute la meilleure de Donetsk. Du nord au sud, l’avenue Artema. Cette fissure aux éclairages orangés à l’heure du couvre-feu traverse la capitale du Donbass, région minière de l’Est ukrainien. Au dernier étage du Sky city, un gratte-ciel de verre érigé à la suite de l’Euro 2012, un informaticien a installé son bureau. Ce jeune séparatiste a été nommé ministre de la communication de la République populaire autoproclamée de Donetsk. La construction de l’immeuble n’a pas été terminée et ne le sera surement jamais. Mais peu importe, le mobilier moderne, pillé lors de la prise de la ville par les prorusses, cache le béton. Affalé dans son fauteuil, l’étrange personnage regarde une série américaine, Coca-cola en main. L’armée ukrainienne, contre laquelle il lutte, est pourtant aux portes de la ville, et les combats font rage. Des flammes quittent l’horizon en direction de l’aéroport de Donetsk. De cet immeuble, la guerre se regarde paisiblement assis dans son fauteuil. L’Europe entière s’était réunie dans le quartier, en 2012. Ce bâtiment, comme le Donbass Arena situé à proximité, est le symbole de ce temps où la ville s’ouvrait volontiers à l’Ouest. Aujourd’hui, la ville est redevenue grise et se referme sur elle-même. Des images tout droit venues des guerres de Tchétchénie… Partout, des blocs de béton, des sacs de sable, des façades déchirées par les bombardements et le vrombissement des tanks prorusses qui traversent la ville. Même sous le soleil, le temps est gris. Le cessez-le-feu n’y change rien. La population manque toujours de nourriture, de médicaments et d’argent. La situation humanitaire est compliquée en ville, catastrophique dans les campagnes.

Tout le monde s’attend à une reprise imminente de combats intenses, la tempête après le calme. »

Paul Gogo

La diaspora arménienne mise sur le tourisme

En Arménie, la diaspora donne forme à un projet de boucle touristique

Photo : Paul Gogo
Photo : Paul Gogo

Dire que l’Arménie et surtout son peuple ont été malmenés par l’histoire est la moindre des choses. Les guerres et les persécutions incessantes ont fait de la diaspora arménienne une des plus solide et solidaire au monde. Ruben Vardanyan, homme d’affaire arménien et sa femme Veronika Zonabend ont voulu utiliser cette force pour participer au développement de leur pays en créant l’IDeA Foundation. Installée dans un immeuble écologique dans le centre de Yerevan, la fondation a des allures de startup. Dans ces locaux, Sergey Tantushyan, un des responsables de la fondation et son équipe, ont imaginé une boucle touristique aux accents économiques faisant le tour du pays. Il faut dire que le pays a du potentiel, il y a la route de la soie, il y a les vignes, leur histoire, celle du Brandy. Il y a aussi l’histoire de la religion, le pays est composé de dizaines de monastères dispersés dans les montagnes. « Nous y allons par étapes, pour chaque projet, il nous faut d’abord trouver un certain nombre de donateurs, puis, nous nous lançons » explique Sergey Tantushyan. La boucle en question part de Yerevan où une rénovation du parc de la Victoire est par exemple prévue. Puis, la route descend dans le sud du pays jusqu’à Tatev et Goris avant de remonter dans le territoire séparatiste en guerre du Haut-Karabagh et sa capitale Stepanakert. Dans cette zone-ci, peu de réalisations ont pris forme, il faut être ambitieux pour investir dans une zone encore en guerre. Puis, la route remonte vers le nord et la ville de Dilijan. « La route qui passe au nord du lac Sevan est en très mauvais état, il nous faudra la rénover, mais c’est l’état qui doit prendre ce genre de décisions » précise le responsable. De manière générale, même si les responsables de la fondation assurent le contraire, la fondation réalise un travail qu’un bon ministère du tourisme aurait au moins impulsé s’il s’en donnait la peine… Mais comme dans la majorité des pays d’ex-URSS mangés par la corruption, ce sont les initiatives de la société civile qui permettent généralement aux pays d’avancer. Dans le cas de l’IDeA, l’initiative est intéressante dans le sens où il s’agit d’entrepreneurs, de membres de la diaspora dont certains font leur argent à Moscou, qui reviennent l’investir dans leur pays. Deux des étapes de la « boucle touristique » sont déjà bien avancées. Il y a la région de Goris et le désormais célèbre téléphérique de Tatev, construit il y a cinq ans. Un budget total de 80 millions de dollars financer par des philanthropes hommes d’affaires, et membre de la diaspora. L’objectif est de rénover le monastère du 9e siècle de Tatev et de redynamiser la zone (culture, éducation, économie) pour en faire un lieu touristique incontournable. Un lieu qui fait déjà partie des lieux à ne pas rater pour tout passage par l’Arménie, car la première étape du projet, la création d’un téléphérique reliant la route au monastère afin d’en faciliter l’accès. Même si le projet a également pour objectif de faciliter la vie quotidienne des locaux, la vue au dessus de la vallée de Goris depuis le téléphérique comme depuis le monastère vaut d’ores-et-déjà le déplacement.  Pour ce projet, le gouvernement arménien a participé à hauteur de 10 millions de dollars.

Le second projet déjà bien avancé est situé au nord du lac Sevan dans la ville de Dilijan. Située sur la route de la soie, la ville a un potentiel touristique évident que la fondation souhaite développer en la faisant devenir … un pôle d’éducation. Le UWC Dilijan college, école ultra moderne située aux portes de la ville, dans une vallée. Un projet ambitieux qui a pris vie cette année avec l’arrivée d’une première promotion dans les locaux de l’école. Un projet impressionnant à suivre.

Site web de la fondation IDeA.

Paul Gogo