Ouest-France : « Le « vin divin » d’Areni est le plus vieux du monde »

Publié dans Ouest-France le 5 novembre 2015

REPORTAGE

Après avoir échoué son arche, Noé y aurait planté les premières vignes au monde. En Arménie, le village montagneux d’Areni, aussi biblique que préhistorique, pourrait participer à la renaissance du vin arménien, jusqu’ici maltraité par la géopolitique.

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Arménie. Correspondance

Les trois bandes, rouge, bleue, orange, claquent au vent. Seul le drapeau arménien signale fièrement l’entrée de la grotte d’Areni, une saillie dans la montagne qui domine la région de Vayots Dzor, à une heure de route au sud-ouest de la capitale Erevan. Accoudé à sa table, le gardien des lieux se lève en voyant des étrangers arriver. Armen est conscient de l’importance des lieux. Il n’accepte de les faire visiter qu’aux petits groupes venus vadrouiller dans la région.

C’est là, au détour de longs tunnels qu’en 2007 une équipe d’archéologues arméniens et britanniques a découvert, dans trois chambres, des jarres remplis de pépins de raisins, datant de 6 000 ans. Une seconde campagne de fouilles, menée en 2010, a mis au jour, un fouloir, une cuve de fermentation, des sarments de vigne desséchée. « Ils laissent supposer que le premier vin de l’humanité aurait été confectionné ici. Il reste encore de nombreux couloirs à visiter, le lieu est gigantesque et il y a des objets partout. C’est une découverte incroyable ! », s’enthousiasme Armen, lampe torche à la main.

Rien d’étonnant à cela pour qui a lu la Bible. Selon la Genèse, c’est à quelques dizaines de kilomètres d’Areni, sur le Mont Ararat (en Turquie) que Noé aurait échoué son arche après le Déluge. Le patriarche y aurait alors planté une vigne, au pied du mont.

Selon les historiens, les premiers vignerons de l’humanité seraient des Hourrites de Transcaucasie. Les disciples de Jésus auraient pris le relais. Une vraie fierté pour l’Arménie, première nation au monde à s’être déclaré état chrétien en 301. La production de « sang du Christ » se serait ensuite perpétuée dans les monastères du pays.

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Des Français à la rescousse

La découverte archéologique a passablement irrité la Géorgie voisine, qui s’était arrogé l’appellation de « vin divin ». Ses dirigeants voient aujourd’hui d’un mauvais œil la renaissance du vignoble arménien. Vieux litige : dans les années 30, alors que la production vinicole commençait à s’industrialiser dans la région, les Soviétiques avaient décrété que la Géorgie serait le pays du vin, et l’Arménie celui du brandy, une eau-de-vie de raisin encore aujourd’hui spécialité locale. La production vinicole a alors dégringolé en Arménie. Dans les années 1990, c’est le conflit au Haut-Karabagh (région d’Azerbaïdjan peuplée à 80 % d’Arméniens, aujourd’hui république autoproclamée) qui a empêché l’Arménie de développer cette économie vinicole pourtant prometteuse.

On n’en est plus là. L’Arménie est récemment entrée dans la liste des dix plus grands exportateurs de vin au monde, une manne pour l’économie locale. Les vignes de Vayots Dzor ont tout pour plaire. Plantées en altitude, à 1 400 m, tout autour de la cuvette d’Areni, elles donnent un goût fruité au vin. On en cuisine même les feuilles en les farcissant de viande (Dolma) sur toutes les belles tables du pays.

« Ces dernières années, les habitants d’Areni ont tous replanté des vignes », raconte Vardges Gharakhanyan, le garde champêtre local qui en assure la surveillance. Le gouvernement arménien encourage le tourisme œnologique. Chaque année, en octobre, Areni organise un festival qui célèbre la fin des vendanges. « Pendant celui-ci, nous distribuons notre vin aux visiteurs », poursuit Vardges.

L’homme au sourire timide a ouvert un restaurant dans une des nombreuses grottes de la région. Le vin distribué sur ses tables est évidemment un vin d’Areni. Vardges en produit lui-même 600 à 700 litres par an. Insuffisant toutefois pour fournir son restaurant. Vardges propose donc aussi d’autres crus locaux. « J’aimerais continuer à planter des vignes avec le cépage local, mais cela coûte cher. Il faudrait que le gouvernement nous aide à améliorer notre matériel. Pour la production locale comme pour la production destinée à l’international, cela sera la meilleure façon de développer notre vin et de le faire connaître comme il se doit. »

Depuis cette année, des œnologues de l’institut Richemont, basé près de Cognac en Charente, apportent leur expérience aux viticulteurs arméniens. D’ici l’année prochaine, 1 500 d’entre eux seront formés. Le « vin divin » n’a pas fini de couler à flots.

Texte et photos : Paul GOGO.

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