«Masha et Michka», l’épopée russe

Article publié dans Libération

Empreint de folklore, le dessin animé cartonne dans le monde, notamment sur YouTube.

Masha et Michka sont les Russes les plus regardés de la planète, peut-être plus que Poutine. Cette petite fille espiègle et son ami l’ours bourru au bon cœur sont les héros d’une success-story : le dessin animé Masha et Michka, créé dans un petit studio moscovite, est traduit dans 25 langues et diffusé dans une centaine de pays. Dont la France, où le turbulent duo a débarqué dans les salles de cinéma au début de l’année. Avec plus de 2 milliards de vues sur YouTube, le 17e épisode est la cinquième vidéo la plus regardée de l’histoire du site. Coincé entre deux barres d’immeubles en périphérie de Moscou, le bâtiment ne paie pas de mine. Dans ce petit bureau gris, celui du studio Animaccord, sont intégralement conçus les nouveaux épisodes du dessin animé à succès. Un studio à l’histoire aussi particulière que son modèle économique. Les deux héros sont nés d’un mélange entre un célèbre conte russe, mettant en scène une petite fille et un ours, et l’imagination d’un dessinateur de dessins animés soviétiques, Oleg Kuzovkov.

Marketing

«Dans les années 90, Oleg travaillait au studio Pilote à Moscou avec des réalisateurs de dessins animés soviétiques connus. Il avait ce projet en tête d’une histoire avec une petite fille et un ours en 3D. Mais c’était un projet techniquement compliqué pour l’animation russe de l’époque», raconte Dmitriy Loveyko, directeur adjoint du studio. A la chute de l’URSS, Kuzovkov part aux États-Unis pour y développer son projet. Il y crée un studio mais, malgré son expérience et sa réputation, l’affaire ne prend pas.

C’est au début des années 2000, de retour à Moscou, qu’il trouve l’argent qui lui permettra de donner naissance à son bébé. «Nous avons également un bureau à Miami. Tous nos scénarios sont écrits là-bas», explique une dessinatrice du studio. Le projet lancé, il faudra encore attendre jusqu’en 2009 pour voir l’ours et la petite fille commencer à conquérir le monde.

Faire aimer ces personnages des enfants russes, rien de plus facile. Un ours, ancienne star de son cirque, une petite fille coiffée d’un foulard traditionnel russe – ce qui lui vaut de connaître un succès grandissant dans les pays arabes à la grande surprise du studio moscovite -, les références à la culture russe sont omniprésentes. Pour percer à l’étranger, le studio a dû mettre ses responsables marketing à contribution. Il a d’abord fallu charmer les jurys des festivals d’animation du monde entier. «Le but n’était pas de se montrer au public, mais de se créer un public, un monde Masha et Michka. Nous avons créé un spin-off [histoire secondaire, dérivée de la série, ndlr], des chansons, des karaokés, des autocollants…» La marque est née. Le studio se fait alors remarquer par les chaînes de télévision internationales, la France en première ligne avec France Télévisions et Canal + qui deviennent leurs diffuseurs officiels. «Notre public était alors prêt à voir se matérialiser Masha à travers nos produits dérivés», raconte le directeur adjoint. «Ils représentent aujourd’hui de 65 % à 70 % de nos recettes», ajoute Oksana Sheveleva, chargée de la gestion de la licence en Europe. Impossible d’en savoir plus sur le chiffre d’affaires, la communication est très maîtrisée : officiellement, le studio ne vend que du rêve. Mais la série connaît aussi un succès sur Internet où les nouveaux épisodes sont diffusés gratuitement. «Quand les majors luttent contre le piratage, nous, nous créons des partenariats avec les pirates car ils contribuent à la diffusion de notre marque», explique Dmitriy Loveyko. Poussés par certains fans à se lancer dans un long métrage, l’équipe est unanime : «C’est impossible, trop cher, il nous faudrait un nouveau studio, de nouvelles équipes, nous ne sommes pas Hollywood.»

Insensible

L’équipe a dû aussi parfois défendre sa création. Des médias américains ont un temps cru trouver de la propagande russe dans ce cartoon. «Nous faisons partie des rares studios russes à ne pas recevoir d’argent du ministère de la Culture», balaie Loveyko. Mais les parents s’interrogent aussi : serait-il possible que leurs enfants se mettent à imiter cette petite fille capricieuse et surexcitée qui passe sa vie à s’acharner sur son ami l’ours, figure parentale du dessin animé ? C’est l’avis de Lidia Matveeva, professeure de psychologie à l’Université Lomonosov, diffusé dans l’édition russe de Psychologie Magazine : «Consciemment ou non, les auteurs ont créé un personnage dépouillé de sa capacité d’aimer, sans capacité de compassion et de tendresse. Masha devrait pouvoir sentir la douleur de l’autre comme étant la sienne, ce qui n’est pas son cas.» Dmitriy Loveyko admet : «C’est vrai que Masha a un caractère infantile, mais en même temps très contemporain. Elle paraît hyperactive et égoïste, mais au fond, c’est un personnage très généreux.»

Depuis Moscou, Paul GOGO

À Moscou, l’opposant Navalny fait le plein

Plus de 1 000 manifestants ont été arrêtés, hier, rien que dans la capitale russe. Alexis Navalny, figure de l’opposition à Poutine et organisateur du défilé contre la corruption, a été arrêté.

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Les moscovites se sont rassemblés par milliers sur l’avenue Tverskaïa dimanche, artère menant au Kremlin, à l’appel de l’opposant à Vladimir Poutine et candidat à la présidentielle russe, Alexeï Navalny. « Il a menti, il a volé, il est temps de partir » était-il écrit sur de nombreuses pancartes, à l’attention du premier ministre Dmitri Medvedev. C’est la première fois depuis 2012 qu’un rassemblement rassemblait autant de monde, à Moscou comme en région où des dizaines de manifestations ont eu lieu, se soldant souvent par des arrestations. « Nous allons nous faire arrêter, mais descendez dans la rue » a lancé Navalny à quelques heures de la manifestation. Cela n’a pas raté. L’opposant a été arrêté avant même d’avoir atteint le rassemblement et son bureau a été perquisitionné par la police dans les heures qui ont suivi. Au total, plus de 1 000 personnes ont été arrêtées dimanche, dont une centaine ayant réussi à atteindre les murs du Kremlin.

Des centaines de chaussures

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Voir une vidéo de l’arrestation d’Alexeï Navalny. Filmé par Paul Gogo pour Ouest-France.

Tout a commencé avec une paire de chaussure. Des chaussures achetées par le premier ministre sous un nom d’emprunt, point de départ d’une longue enquête vue par plus de 10 millions de personnes, dans laquelle Navalny décrit un impressionnant système de corruption mis en place. C’est à ces mots, « stop à la corruption », « Medvedev dehors », « Il doit rendre l’argent » et souvent équipés de paires de chaussures, que les moscovites se sont rassemblés dimanche. La manifestation interdite par les autorités, des policiers anti-émeutes par centaines, renforcés par des membres de la garde-nationale ont bouclé le centre-ville de Moscou, survolé par un hélicoptère. Les forces de l’ordre ont laissé se dérouler la manifestation mais la police a multiplié les arrestations afin d’empêcher d’éventuelles occupations de places et de rues. Si les revendications étaient majoritairement dirigés vers le premier ministre, à un an de la présidentielle russe, cette manifestation constitue une bulle d’air pour l’opposition russe dont de nombreux slogans s’en sont également pris au président russe, Vladimir Poutine.

Paul GOGO

À Moscou, Marine Le Pen s’offre Vladimir Poutine

Reportage pour Ouest-France

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La presse attend Marine Le Pen à la Douma.

A peine était-elle de retour du Tchad que Marine Le Pen s’est envolée vers Moscou pour rencontrer le président russe, Vladimir Poutine. Nul ne sait à quel moment s’est organisée cette rencontre que la candidate à la présidentielle espérait depuis plusieurs mois mais cette réussite représente incontestablement une victoire diplomatique. Sa visite gardée secrète par son entourage a été dévoilée par Leonid Sloutski, président de la commission des affaires étrangère de la Douma, le parlement russe. C’est cet homme politique qui a invité Marine Le Pen à Moscou. Connu pour avoir financé les voyages de députés français en Crimée, il a poussé les journalistes russes à se demander si Marine Le Pen n’était pas venue chercher des financements de campagne à Moscou. Au delà de ses rendez-vous publics, la candidate avait prévu un certain nombre de rendez-vous privés. La question est restée sur la table lorsque la rencontre entre Marine Le Pen et Vladimir Poutine s’est officialisée après que la représentante du FN se soit discrètement éclipsée du parlement.

Écouter intervention à mi-journée pour Europe 1

« Le monde de Poutine »

« Les médias russes sont confus, les banques russes vont-elles financer sa campagne ou non ? » s’est demandé le Moscow Times suite à cette rencontre. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov a affirmé que la question n’avait pas été discutée. Mais Vladimir Poutine a tenu à glisser ce message : « La Russie n’a pas l’intention d’interférer dans les élections françaises« . Sur le fond, Marine Le Pen a réaffirmé devant les députés russes sa volonté de supprimer les sanctions à l’égard de la Russie et de reconnaître la Crimée. Devant le président russe, c’est une proposition de coopération entre les services de renseignement que la candidate est venue défendre. Puis d’aborder la question de la situation des Chrétiens d’Orient. « Vladimir Poutine a émergé un nouveau monde, le monde de Poutine, de Modi en Inde, de Trump aux USA. Je pense que je suis celle qui partage une vision de coopération et non de soumission en France » a déclaré la candidate avant de quitter Moscou.

Paul GOGO

En Russie, les enfants trisomiques trop souvent abandonnés

La fondation moscovite « Downside up » aide les enfants trisomiques à trouver leur place dans une Russie peu concernée par la question.

Reportage par Alexandra DALSBAEK et Paul GOGO

« Ça a été difficile lorsque j’ai appris que mon enfant, Denis, était trisomique. Je ne l’ai appris que lorsqu’il avait trois ans » raconte Elena Kortava, 43 ans. Pour Elena et son mari, une déprime et un sentiment de solitude ont ensuite pris le dessus, « c’était très difficile psychologiquement, on a beaucoup de proches et d’amis qui se sont éloignés, ils nous ont rejeté ». En octobre, la famille a trouvé conseil auprès de la fondation moscovite d’aide aux familles touchées par le syndrome de Down (trisomie 21), « Downside Up« .

Les enfants souvent abandonnés

Durant l’époque soviétique, les enfants handicapés étaient abandonnés puis cachés dans des orphelinats. La situation a nettement évolué depuis. Mais les enfants nés atteints du syndrome de Down sont encore trop souvent déposés à l’orphelinat. « D’après les informations qui remontent de nos centres partenaires en région, nous estimons qu’en Russie, environ 50% des enfants trisomiques sont encore abandonnés à la naissance » explique Tatiana Nechaeva, directrice de la fondation. Parfois, ce sont même encore les médecins qui poussent à l’avortement ou à l’abandon. « Le problème se trouve au niveau de l’état, c’est à nous de leur faire prendre conscience de la situation. Dans la région d’Ekaterinbourg, les élus locaux ont décidé de soutenir les associations d’aide aux familles. Le nombre d’enfants trisomiques abandonnés ne s’y porte plus qu’à 3% » assure la responsable.

Une situation qui s’améliore

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C’est pour éviter ces abandons que la fondation apporte aide et conseils auprès des familles concernées par la trisomie. Aujourd’hui, Elena est soulagée : « si vous m’aviez rencontrée plus tôt, je ne souriais pas autant! Ici, je rencontre un psychologue, mon fils passe du temps avec des professionnels qui l’aident à se développer. Je rencontre des parents dans ma situation, ils m’ont fait comprendre que les enfants trisomiques sont merveilleux ».

Lors de la scolarisation des enfants, c’est souvent la fondation et non l’état qui se charge de former les spécialistes, professeurs et orthophonistes. Mais Tatiana Nechaeva l’assure, la situation tend à s’améliorer en Russie : « Le pays manque d’une infrastructure pour accompagner les enfants trisomiques tout au long de leur vie. Mais des écoles et universités commencent à s’emparer du sujet et il y a de plus en plus de spécialistes en région, c’est plutôt positif. »

Paul GOGO

Ouest-France : « Exposition. Le Kremlin, ce musée méconnu »

À Moscou, le célèbre Kremlin n’abrite pas que le bureau du président russe. C’est le troisième lieu le plus visité de Russie ! à retrouver sur Ouest-France.fr

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Dans l’enceinte du Kremlin, pouvoir, histoire et religion sont logés à la même enseigne. Ce quartier de 28 ha, protégé d’une muraille rouge, est composé de dix-sept églises, cathédrales et palais, marqueurs de l’histoire russe et de la religion orthodoxe. Le Kremlin demeure un lieu de visite incontournable pour les touristes de passage. Avec plus de deux millions de visiteurs par an, il est le troisième lieu le plus visité de Russie, après le fameux Ermitage et le musée d’histoire de Saint-Pétersbourg.

N’importe qui peut entrer dans cette enceinte légendaire, sous réserve de montrer patte blanche. Certains de ces bâtiments hébergent le Sénat russe, le palais présidentiel, les services de sécurité du Président… Si les visiteurs ont la possibilité de se promener librement dans certaines allées du Kremlin, de nombreux policiers veillent à ce que personne n’approche des bâtiments officiels.

Toujours dans l’enceinte du Kremlin, se trouve le palais des armures. On retrouve, présentés dans les neuf salles de ce grand bâtiment jaune et blanc surplombant le fleuve Moskova, des siècles de trésors accumulés par les princes et tsars russes : or, pierres précieuses, œufs de Fabergé, trônes, carrosses…

Sanctuaire de 1508

À quelques pas, la cathédrale de l’Archange-Saint-Michel est le second lieu incontournable du Kremlin. Il s’agit du plus ancien sanctuaire de Russie, construit en 1508. L’armée russe y a longtemps célébré ses victoires. On y retrouve quarante-six tombes de princes et tsars russes.

Parmi les édifices ouverts au public, il y a le palais du patriarche, étrange lieu dont l’intérieur ressemble à une église. Construit en 1655, en l’honneur du patriarche Nikon, il renferme une collection d’objets religieux, mobilier, vaisselle et joaillerie du XVIIe siècle. Et notamment un ensemble impressionnant : un poêle destiné à la confection des huiles saintes.

Depuis le début du mois, l’exposition permanente dédiée à la religion orthodoxe est complétée d’une exposition temporaire inédite. Pour la première fois, des objets vieux de plus de 800 ans, de l’époque de Louis IX, ont été sortis de France pour être exposés au Kremlin, dont une couronne reliquaire, un évangile et des vitraux de la Sainte-Chapelle de Paris transportés en avion.

D’après Philippe Bélaval, président du centre des monuments nationaux, «ces objets montrent que le Moyen Âge a également eu une période d’excellence en matière d’architecture et d’art. Voir des objets de la Sainte-Chapelle au Kremlin, c’est un symbole fort.»

Paul Gogo