À Moscou, le Bolchoï secoué par un scandale

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Le célèbre théâtre moscovite a annulé la présentation d’un ballet annoncé par la critique comme l’un des meilleurs du XXIe siècle.

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Images de la répétition générale

Le Bolchoï, institution d’excellence, productrice des meilleurs ballets du monde, est au cœur d’un scandale romanesque comme seules les grandes maisons en connaissent. Le 11 juillet, le théâtre devait présenter Noureev, un nouveau ballet retraçant la vie du célèbre danseur étoile Rudolf Noureev. Un chef-d’œuvre à gros budget sur lequel le Bolchoï planchait depuis deux ans.

Au lendemain de la répétition générale, le metteur en scène, Kirill Serebrennikov, a annoncé son annulation et crié à la censure. Depuis quelques années, Serebrennikov, récompensé en 2016 au Festival de Cannes pour son film Le disciple, se pose régulièrement en critique du pouvoir.

Le Kremlin l’aurait-il attaqué via son ballet ? Vladimir Ourine, directeur du Bolchoï, nommé par Vladimir Poutine, s’en est défendu, justifiant cette annulation par un manque de préparation des danseurs et promettant une reprogrammation en mai 2018.

« Un amour pour la danse »

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L’équipe à l’issue de la répétition générale

Mais l’affaire n’est pas close. D’après Alexeï Venediktov, rédacteur en chef de la radio Écho de Moscou, des représentants de l’Église ont assisté à la répétition générale. Ils auraient été choqués par la présence d’un danseur nu sur scène. Et par l’apparition, en flash d’une seconde, d’une célèbre photo de Noureev, nu lui aussi. L’agence russe Tass a annoncé que le ballet avait été considéré comme de la « propagande homosexuelle » par le ministère de la Culture, les histoires d’amour de Noureev, homosexuel, y étant abordées.

Rudolf Noureev, souvent qualifié de meilleur danseur et plus grand chorégraphe au monde, a rejoint la France en 1961. Il est entré dans la légende après avoir échappé aux agents du KGB chargés de le surveiller lors d’une tournée parisienne. Il est devenu directeur de l’Opéra de Paris dans les années 1980 et est mort du sida en 1993.

Ouest-France a pu se procurer des images tournées durant la répétition générale de Noureev. Le spectacle est grandiose. Serebrennikov a tenté de bousculer les vieilles manières du Bolchoï sans s’éloigner du classique. Les histoires d’amour de l’étoile sont dansées avec finesse. Les scènes qui auraient déplu à l’Église sont belles, sans provocations.

Critique du journal Kommersant, la journaliste russe Tatyana Kuznetsova a résumé l’affaire : « Les images montrent un spectacle parfaitement prêt. Le ballet ne parle pas de sexe mais d’amour, un amour pour la danse, pour la vie et pour la liberté. C’est ce qui est d’ailleurs peut-être le plus désagréable pour les homophobes… »

Navalny, l’homme dont Vladimir Poutine ne peut prononcer le nom

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Ces derniers jours, les perquisitions et les arrestations de militants soutenant l’opposant russe se sont multipliées. L’objectif : faire disparaître les liasses de tracts prévues pour les actions du week-end destinées à fêter la sortie de prison de Navalny.

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Les jeunes militants soutenant Alexei Navalny poursuivaient leurs actions ce dimanche midi devant les stations de métro de Moscou comme dans de nombreuses villes en région. Ce week-end, l’opposant et candidat à la présidentielle de 2018 russe a appelé ses partisans à descendre dans la rue pour faire campagne en son nom dans les lieux publics, une manière de célébrer sa sortie de prison. Navalny a été libéré vendredi, après vingt-cinq jours de détention, après avoir été arrêté le 12 juin, accusé d’avoir organisé un rassemblement illégal dans le centre-ville de Moscou.

Les brochures distribuées par les militants s’attaquent au Premier ministre, Dmitri Medvedev, que Navalny a érigé en symbole de la corruption au plus haut niveau du pouvoir russe. Depuis vendredi, les activistes font face à une répression sans précédent. Des responsables des bureaux de campagne de l’opposant en région ont été arrêtés par la police, et même tabassés par des inconnus dans l’ensemble du pays. A Moscou, Alexander Tourovski, 25 ans, a été roué de coups par trois policiers en civil cagoulés, alors qu’il dormait dans le QG moscovite. Les agents se sont débarrassés des tracts entreposés dans le local et ont définitivement fermé le bureau. Le jeune militant, enfermé pendant douze heures sans eau ni téléphone, a été condamné à 500 roubles d’amende (7 euros) et diagnostiqué d’un léger traumatisme crânien à l’issue de sa garde à vue.

Déjà 130 arrestations

Ces derniers jours, les fermetures de QG pro-Navalny et les perquisitions se sont multipliées. L’objectif : faire disparaître les liasses de tracts prévus pour l’action de ce week-end. A Novossibirsk, en Sibérie, des militants ont du évacuer le matériel de campagne par la fenêtre de leur local pendant que la police investissait les lieux. Samedi, à Moscou, un homme a été arrêté parce qu’il transportait un ballon à l’effigie d’Alexeï Navalny dans le coffre de sa voiture. 130 personnes, dont onze mineurs, ont déjà été arrêtés ce week-end en Russie. Dimanche midi, des militants, souvent très jeunes, ont repris position devant les entrées du métro. La police pourrait procéder à de nouvelles arrestations.

La police semble prise d’une panique irrationnelle lorsque les rassemblements ont un lien avec Alexeï Navalny. C’est la première fois en Russie que des militants sont arrêtés en masse pour avoir distribué des tracts politiques. Cette peur paraît d’autant moins compréhensible que le candidat a récemment été déclaré inéligible par la Commission électorale centrale. Il ne pourra donc normalement pas participer à la présidentielle de 2018, à laquelle Vladimir Poutine ne s’est d’ailleurs pour le moment pas déclaré candidat.

Le titulaire du titre d’opposant principal au président russe semble remporter un succès inattendu chez les jeunes générations, imperméables à la propagande du Kremlin. Alexeï Navalny, interdit de média nationaux, reste très peu connu en dehors de Moscou. «Je ne sais pas si le Kremlin est en train de radicaliser ses actions contre Alexeï Navalny, mais je ne pense pas que la campagne présidentielle que Navalny mène ait pour but de remporter l’élection. Son objectif est de montrer qu’il est le seul opposant en Russie. Il a quasiment achevé son objectif», a estimé le politologue Stanislav Belkovsky, interrogé ce week-end sur la radio Écho de Moscou.

Vladimir Poutine, lui, ignore constamment le statut d’opposant de Navalny. Le président russe s’est même lancé dans un «ni-oui ni-non» avec pour objectif de ne jamais citer le nom de son opposant. Interrogé sur la question à Hambourg à l’occasion du G20, Vladimir Poutine a brièvement déclaré à propos de Navalny, une nouvelle fois sans le citer : «Je pense qu’on ne peut discuter qu’avec des gens qui proposent des choses constructives. Mais quand l’objectif n’est que d’attirer l’attention, cela n’encourage pas au dialogue.»

Correspondant à Moscou, Paul Gogo