RFI : La Russie réitère son soutien à l’Algérie et appelle à un «dialogue national»

Le vice-Premier ministre et chef de la diplomatie algérienne Ramtane Lamamra était à Moscou, mardi 19 mars, pour rencontrer le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.

 

Ramtame Lamamra est arrivé mardi matin avec une lettre écrite, selon ses dires, par le président Bouteflika, à destination de Vladimir Poutine.

Le ministre algérien des Affaires étrangères a longuement discuté avec son homologue russe Sergueï Lavrov, un ami de longue date rencontré à l’ONU. Il lui a décrit une situation algérienne sous contrôle et vanté les mérites du dialogue national qui mènera à une nouvelle Constitution et de nouvelles élections.

« Notre collègue a parlé de la situation en Algérie, il a partagé ses plans dans un avenir proche. Nous les soutenons, a déclaré Sergueï Lavrov. Nous espérons qu’ils contribueront à stabiliser la situation dans cet Etat ami par le biais d’un dialogue national fondé sur la Constitution algérienne et, bien entendu, avec le respect des normes du droit international et de la charte des Nations unies par toutes les parties. »

Les deux hommes ont également discuté des dossiers importants de la région – Libye, Mali, Moyen-Orient, zone Sahara-Sahel – et rappelé l’importance d’une politique commune pour maintenir la stabilité de la région et entretenir, selon Sergueï Lavrov, la vaste coopération technico-militaire profondément enracinée entre la Russie et l’Algérie

RFI. Russie: des Chinois veulent mettre l’eau du lac Baïkal en bouteilles

En Russie, une entreprise chinoise souhaite mettre l’eau du lac Baïkal en bouteille pour la commercialiser en Chine. Sur place, la population ne l’entend pas de cette oreille.

Quel est donc ce projet qui fait polémique en Russie ?

Il s’agit de la construction d’une usine chinoise sur les rives du lac Baïkal avec pour objectif de commercialiser l’eau pompée en Chine. Le lac Baïkal c’est 20% de l’eau douce mondiale, c’est aussi une réserve naturelle inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. De nombreux russes craignent une catastrophe écologique.

Comment les opposants au projet se font-ils entendre?

Ils sont plus d’un million de russes, des opposants, des écologistes mais aussi des locaux, a avoir signé une pétition en ligne. C’est cette pétition qui ne cesse de grossir qui a semble-t-il fait réagir les autorités.

Ont-ils des chances d’être entendus ?

Il semble en effet que les autorités soient ouvertes à la discussion. Le chantier a d’ores et déjà été interrompu par un tribunal et le gouverneur de la région d’Irkoutsk, a, disons le ainsi, retourné sa veste. Il a autorisé les chinois a lancer le chantier avec un statut prioritaire en 2017. Mais il estime désormais que le site se trouve dans une zone protégée dans laquelle il ne sera pas possible de mettre de l’eau en bouteille.

Et quelle est la réaction de ces entrepreneurs chinois ?

C’est leur représentant en Russie, Alexeï Azarov qui s’est exprimé au nom de l’entreprise AkvaSib. Il estime que le pompage n’impactera pas le volume d’eau du Baïkal et rappelle que ce projet à 19 millions d’euros prévoit la création de 150 emplois.

Mais rien qui ne suffise à convaincre les locaux si je comprends bien…

Non, car les investisseurs chinois sont connus comme le loup blanc en Russie, et particulièrement en Sibérie. La Russie se montre ouverte aux investissements chinois mais subit parfois les inconvénients de ces investissements massifs. En Sibérie les habitants se plaignent régulièrement de voir des entrepreneurs chinois construire des hôtels sur les rives du lac sans aucune autorisation quand eux se font refuser les leurs. Ils ont donc la sensation que l’essor du tourisme dans la région ne leur profite pas.

Sans compter que la situation écologique du Baïkal est réellement compliquée. Et ça, les russes en ont visiblement plus conscience que les chinois.

C’est à dire ?

Ce lac a 25 millions d’années. Mais il n’a jamais été aussi menacé. Les espèces sensibles disparaissent unes à unes, le lac est envahi par des algues vertes dues à la pollution des villes voisines. L’augmentation en flèche du tourisme dans la région n’arrange rien à la situation.

Et qu’est-ce que ce projet d’exploitation du Baïkal va devenir ?

On a déjà vu des projets chinois avortés pour des considérations écologiques en Russie. Pour le moment, les autorités russes temporisent et prévoient de vérifier que le projet respecte bien les normes environnementales de la région avant de donner leur avis définitif.

Les russes dans la rue pour protéger leur Internet

Pour La Libre Belgique. Plus de 15 000 russes ont défilé dans le centre de Moscou dimanche pour protester contre la prise de contrôle du web par les autorités russes.

« Poutine voleur, Poutine démission, ils ne comprennent rien à internet » scande la foule sur l’avenue Sakharov traditionnellement utilisée pour les manifestations autorisées par les autorités. Dimanche, plus de 15 000 russes ont participé à ce rassemblement pour dénoncer la main du Kremlin de plus en plus présente sur le web russe. Cheveux long, manteau noir, Mikhail Svetov, 34 ans est devenue l’idole d’une frange, souvent jeune, de l’opposition russe. Ce blogueur membre du parti libertaire de Russie est en première ligne de la bataille pour la protection du web dont la prise de contrôle par le Kremlin, déjà forte, s’accentue depuis la réélection du président Poutine, l’année dernière. Cette semaine, c’est une loi destinée à isoler l’internet russe du reste du monde qui pourrait entrer en vigueur. « Il faut s’opposer à cet isolement. Notre gouvernement veut construire une infrastructure qui pourra limiter le trafic quand elle le souhaitera, au dépend de toutes nos libertés. Cela nous transformera en Corée du Nord » explique l’opposant. Si la mise en œuvre de cette loi est encore mystérieuse, les ambitions du Kremlin seraient liées à la situation internationale. La Russie aurait besoin de se protéger d’éventuelles attaques extérieures. « Comprenez, c’est leur invention après tout » expliquait Vladimir Poutine en février dernier en faisant allusion aux États-Unis. Ils écoutent, ils regardent et lisent tout ce que vous dites puis ils stockent ces informations. Ce n’est pas dans leur intérêt de nous couper de l’internet mondial, je pense qu’ils y réfléchiraient à 100 fois avant de le faire, mais mieux vaut s’y préparer ». Chez les observateurs russes, il se dit qu’au Kremlin on ne comprend pas grand chose au web. Vladimir Poutine l’a rappelé récemment, il n’utilise jamais internet. « Nos dirigeants ont peur donc ils adaptent des censures soviétiques à notre époque, ils préféreraient que tout le monde regarde la télévision pour que Kissilev (journaliste connu pour sa propagande acharnée en faveur du Kremlin) nous explique qu’il n’y avait que cinq manifestants aujourd’hui. Sauf que notre génération ne fonctionne pas comme ça » explique l’opposant blogueur.

DSC_4469.JPG

Difficultés techniques

Mais l’argument du style « guerre froide » du Kremlin ne convainc pas la jeunesse russe qui considère que cette volonté de créer un internet russe coupé du monde a des visées internes. La Russie compte des milliers de fournisseurs d’accès différents. L’objectif, à terme, serait de tout centraliser. En cas de mouvement de protestation, les autorités pourraient ainsi rapidement couper internet dans des villes et quartiers ou supprimer des contenus à leur guise.

Ces dernières années, face à une opposition de plus en plus organisée grâce aux réseaux sociaux, les autorités russes ont pris le contrôle du Facebook russe, Vkontakte et ont tenté de bloquer l’application de messagerie cryptée populaire en Russie, Telegram. En vain. « Ils veulent s’en prendre à internet pour se préparer à une éventuelle attaque de l’extérieur. Mais qui veut isoler l’internet russe ? Ce n’est pas l’Ouest » s’exclame un militant présent dimanche. Iaroslav, 17 ans, abonde en ce sens : « La version actuelle de cette loi est vraiment catastrophique en terme de liberté d’expression. Mais je suis sûr que la société civile parviendra à faire évoluer la position des députés ». On estime à environ 300 le nombre d’internautes condamnés tous les ans pour « diffusion de contenus extrémistes » parfois simples critiques du pouvoir. Ce web centralisé permettrait de repérer ce genre de contenus encore plus facilement. Si le projet de loi fait consensus au sein du parlement russe, rien n’est encore joué. L’échec du blocage de Telegram a montré que les tentatives de contrôle du web se heurtaient à de nombreuses difficultés techniques. À l’époque, plusieurs centaines de sites internet majeurs avaient subi des pannes alors que Telegram parvenait à maintenir son activité. De grandes entreprises s’inquiètent, l’Union russe des entrepreneurs qualifie ce projet de loi de « désastre ». Quant à Andreï Klichas, sénateur à l’origine de ce projet de loi, il a d’abord vanté les mérites de sa proposition sans parler argent. Les députés ont finalement découvert qu’isoler son internet national avait un coût élevé : Il faudrait au minimum 270 millions d’euros pour mener à bien ce projet que les institutions russes ne savent pour le moment pas comment financer. Un premier test est prévu le 1er avril prochain.

Paul Gogo

Marche de l’opposition à Moscou

RFI

L’opposition russe était dans la rue, aujourd’hui, à Moscou. Plus de 10 500 personnes ont défilé, 6 000 selon la police, pour rendre hommage à l’ancien ministre et opposant, Boris Nemtsov, assassiné il y a quatre ans dans le centre de la capitale russe. Paul Gogo était dans le cortège.

Le rassemblement est devenu une habitude pour l’opposition russe depuis février 2015, date à laquelle l’ancien ministre et opposant Boris Nemtsov a été assassiné au pied de la place rouge. Fait notable, il s’agit d’un rare évènement d’opposition autorisé par les autorités russes. Dimanche après-midi, plus de 10 500 personnes ont pu défiler sur 1,5km, après avoir été fouillées par la police. Ilia Iachine, opposant et maire de quartier.

Micro 1
C’est une manifestation politique contre la politique de Poutine et pour une Russie libre et démocratique.
Nous voulons la libération des prisonniers politiques, que les enquêtes sur les assassinats politiques soient faites. Non seulement Nemtsov, mais tous les autres aussi. Nous voulons des élections justes dans tous les organes du pouvoir. 2/51

Son 2
Pour les manifestants, cette marche est l’occasion de défiler sans prendre le risque de se faire arrêter, tout en mettant la lumière sur les prisonniers politiques actuels. Anastasya Bourakova, jeune manifestante.

Micro 2
Je suis venue à la marche pour dénoncer les affaires choquantes, comme dans le cas de Boris Nemtsov, les commanditaires n’ont jamais été retrouvés. Je veux aussi parler des jeunes gens torturés par le pouvoir et des affaires criminelles fabriquées.

Son 3
L’ancien candidat à la présidentielle, Grigori Iablinski du parti Iabloko et l’opposant médiatique Alexeï Navalny étaient notamment présents dans le cortège.

Paul Gogo, Moscou, RFI

En Russie, la vie discrète du président déchu Viktor Ianoukovitch

[La Libre Belgique] Il y a cinq ans, il s’échappait d’Ukraine exfiltré par les services russes. Désormais réfugié en Russie, condamné à 13 ans de prison en Ukraine, Viktor Ianoukovitch se fait discret.

Sur le grand boulevard Zubovski de Moscou, de nombreux policiers patrouillent autour de la rédaction de l’agence de presse « Rossiya Sevodnia ». En ce mercredi 6 février 2018, c’est l’ancien président ukrainien Viktor Ianoukovitch qui s’exprime. Une majorité de journalistes russes sont présents, la voix de celui qui considère avoir fait l’objet d’un putsch, à Kyiv, le 22 février 2014 alors que le parlement ukrainien décidait de le destituer, ne porte désormais guère plus loin que dans les médias moscovites. Il y a cinq ans, Viktor Ianoukovitch rejoignait Kharkiv puis Donetsk en hélicoptère. Bloqué en Ukraine, il atteignait ensuite la Crimée en voiture, avant de disparaître pendant 24h non loin de la base militaire russe de Sébastopol avant de réapparaître en Russie, à Rostov sur le Don (1000 km au sud de Moscou), où il résiderait depuis.

Condamné en Ukraine

L’année dernière déjà, le président déchu avait invité la presse moscovite à écouter sa version des tirs de la place Maidan, qui avaient fait plus d’une centaine de morts chez les manifestants en 2014. Un coup des « groupes nationalistes ukrainiens » assure-t-il, collant à la ligne de la célèbre rhétorique russe. Mais c’est bien lui que les autorités ukrainiennes accusent aujourd’hui d’être à l’origine de ces morts. Le 21 janvier dernier, un tribunal de Kyiv l’a condamné par contumace à 13 ans de prison pour haute trahison. En février 2014, à quelques heures de son échappée belle, il avait appelé la Russie à intervenir militairement en Ukraine. « Il estime de toutes façons que ce procès est une affaire politique parfaitement organisée. Il continuera à vivre dans ses résidences en Russie, à jouer au tennis et à profiter de la vie » dénonce le correspondant moscovite de l’agence de presse ukrainienne Unian, Roman Tsimbaliuk.

Quel statut ?

Viktor Ianoukovitch tourne désormais le dos à sa carrière politique. « Les politiciens comme moi n’ont plus leur place en politique assure-t-il. La politique ukrainienne a besoin de sang neuf, d’une nouvelle génération de politiciens ». Pour autant, son statut comme sa vie quotidienne demeurent mystérieux. Le 6 février dernier, c’est accompagné d’au moins un agent du FSO, service de sécurité des personnalités importantes, des ministres jusqu’au président Poutine, que Viktor Ianoukovitch est arrivé en conférence de presse. « Je ne suis qu’un simple réfugié promet-il. À Rostov, quand je sors dans la rue, beaucoup de réfugiés ukrainiens viennent me parler. Je m’y sens comme à Donetsk. Je suis dans le même bateau que ces gens jetés de leur pays ». Au quotidien, Ianoukovitch enchaînerait les rencontres avec des responsables ou acteurs de la vie politique russe comme ukrainiens. Le gèle de ses actifs par l’Union Européenne en 2014 ne semble pas avoir compliqué sa vie. S’il loue bien une maison de deux étages de près de 500m² avec piscine et salle de sport à Rostov-sur-le-Don, il n’y vivrait pas réellement. Des journalistes évoquent une maison dans la cité balnéaire de Sochi, une autre à proximité de Moscou. En novembre, c’est non loin de la capitale qu’il s’est blessé lors d’un cours de tennis.

De ses proches, il n’a officiellement plus que son fils Alexandre, homme d’affaire, à ses côtés. Son ex femme Lioudmila Nastenko est décédée en 2017 et son second fils, Viktor, est mort en mars 2015, à l’âge de 33 ans. Fan de grosses cylindrées et de vitesse, il a perdu la vie en traversant la glace du lac Baïkal en 4×4, alors qu’il y roulait à toute vitesse avec des amis.
 

Présidentielle

Viktor Ianoukovitch a un avis arrêté sur l’élection présidentielle ukrainienne dont le premier tour aura lieu le 31 mars prochain : « Je connais Petro Poroshenko depuis longtemps, il m’a aidé à construire notre parti, le Parti des Régions, à l’époque. Il ne pense qu’à ses intérêts personnels et utilise des méthodes sophistiquées pour arriver à ses fins mais il n’a aucune chance de remporter cette élection ». L’ancien président se dit nostalgique de ses « années Donbass » désormais en guerre. Ancien gouverneur de la région, il regrette cette époque durant laquelle il « passait son temps avec les mineurs ». Selon lui, les autorités ukrainiennes doivent désormais « ouvrir des discussions avec les responsables séparatistes du Donbass. La seule solution pour sortir de la guerre ».
Paul GOGO

Yamal LNG, gaz et glace dans le grand nord russe

[Publié dans Le Marin]

Situé dans le grand nord russe, le complexe de gaz liquéfié Yamal LNG clôt sa première année d’exploitation. 16,5 millions de tonnes de gaz ont été exportés cette année.

Yamal (6).JPG

« C’est comme atterrir sur une autre planète » prévient un représentant de la région de Iamalo-Nenets (2 500 kilomètres au nord de Moscou) au départ de la capitale russe. 3H30 de vol vers le nord et une lueur orange aux allures de ville apparaît et perce le noir éternel de la péninsule de Yamal. L’usine de liquéfaction de gaz de Novatek (Yamal LNG) est située dans un désert de glace, à l’emplacement de ce qui fut un village sans habitants, Sabetta. Ce complexe a été inauguré en décembre 2017 par le président russe. Un an plus tard, Novatek annonce avoir atteint ses objectifs avec 16,5 millions de tonnes de gaz liquéfié exportés.

L’hiver est rude au nord du cercle polaire arctique, la nuit ne se lève jamais et les températures peuvent descendre jusqu’à -60°. La Iamalie est truffée de gaz et de pétrole. Novatek multiplie les acquisitions de champs gaziers au fil des découvertes et fait tout pour réduire les coûts de son extraction. Le gaz puisé est immédiatement transféré jusqu’à Sabetta par pipeline pour y être liquéfié. Puis il est exporté vers l’Europe et l’Asie par la route du nord. Conséquence du réchauffement climatique, la fonte des glaces permet désormais l’utilisation de la route du nord l’été, sans avoir à contourner l’Europe ni à utiliser un brise-glace. Soit deux à trois semaines de transport économisés.

Yamal (5).JPG

« Nous vous rappelons qu’il est interdit de prendre des photos à l’extérieur de l’avion » prévient une hôtesse. Seuls les employés de l’usine ont le droit d’emprunter les quelques lignes directes qui relient la ville au reste du monde. L’aéroport international comme le port et les dortoirs ont été construits à proximité de l’usine sur des pilotis qui reposent sur le permafrost, terre gelée faite d’eau et de végétaux. Il est 15h, le noir est intense, la péninsule est un désert plat. Il n’y a quasiment aucun humain à 200 km à la ronde. Seuls quelques peuples nomades subsistent encore. Les Nénètses en sont aujourd’hui les plus nombreux représentants. Yamal, en langue Nénètse signifie d’ailleurs finisterre, fin de la terre. La toundra est glacée, couverte de neige, quelques renards polaires se faufilent entre les kilomètres de pipelines et tuyaux qui s’entremêlent. « Pour les ouvriers, cette ville est comme un port au milieu d’un océan de glace. Sauf qu’il n’a pas de taverne, pas de rhum et pas de femmes » explique le représentant de la région. En guise de phare, une torche, celle du gaz, dont la flamme perce l’atmosphère blanche. Les règles sont strictes, l’alcool est interdit, la cigarette tolérée à l’abri du gaz, dans des cabines métalliques.

Hubs maritimes

Yamal (4).JPG

Le port de Sabetta est situé à proximité de l’usine. Construit dans le golfe de l’Ob, à deux pas de la mer de Kara, il donne accès à la mer de Barents à l’ouest et l’océan arctique à l’est. Une flotte de brise-glaces est chargée de fendre la mer le temps d’atteindre des eaux plus accueillantes. Le brise-glace « Christophe de Margerie » du nom de l’ancien président de Total décédé en Russie en 2014 est à quai. Le gaz est liquéfié à proximité, dans un gigantesque réservoir à l’allure d’un célèbre pot de lait concentré soviétique. Il y est inscrit -163°, la température à laquelle le gaz devient liquide. Un processus compliqué, « mais bien plus simple à réaliser ici qu’aux Émirats arabes unis » ironise un ouvrier. Le 26 novembre dernier dans le port d’Honningsvag en Norvège, les équipes de Novatek sont parvenus à transférer le gaz d’un brise-glace vers un bateau plus léger, et ce, en quelques heures. Une première qui motive la compagnie russe à investir dans la construction de deux hubs maritimes. Deux terminaux gaziers devraient bientôt voir le jour dans le port d’Ura Guba (Russie, nord de la Finlande) à l’ouest et du Kamchatka à l’est (océan Pacifique). Objectif, limiter les trajets effectués en brise-glaces pour diminuer les coûts de transport au maximum. Une flotte de brise-glaces nucléaires de l’agence fédérale de l’énergie atomique russe Rosatom s’est par ailleurs vue attribuer, l’année dernière, la sécurisation de l’ensemble de cette voie du nord par le Kremlin. De quoi permettre au président Poutine de garder la main sur l’ensemble de cette région convoitée.

Nombreux sont les ouvriers à avoir délaissé leurs terres natales jadis gorgées de pétrole du sud de la Russie pour vivre au rythme des missions du grand nord. Les conditions sont rudes mais les salaires plus élevés. « Ici je ne perds pas de temps sur la route pour aller au travail » confie un ouvrier originaire de la région de Krasnodar. Le service communication de Novatek est strict et limite au maximum les interactions entre la presse et les ouvriers. Travailler à Sabetta semble pourtant représenter une fierté pour les plus de 40 000 personnes qui y effectuent leurs missions. Un homme, la quarantaine, raconte « c’est plutôt prestigieux de travailler ici, les salaires sont bons, les plus bas sont à 100 000 roubles par mois (environ 1330 euros) ». Un salaire aisé dans les régions du sud. Le revenu moyen s’élève à 564 euros en Russie. « Les missions durent de 45 jours à six mois. Nous avons internet, une cantine pour les repas, une église, une salle de sport et de longues journées de travail, nous n’avons pas vraiment le temps de nous ennuyer » assure-t-il. Les femmes ne représentent que 10% de l’effectif du complexe.

Ses champs gaziers en poche, Novatek voit grand et mise toujours plus sur le gaz liquéfié face à un Gazprom ne jurant que par le transport par gazoducs et à un Kremlin très à l’écoute suite au succès du projet Yamal LNG. Un « Arctique LNG 2 » situé de l’autre côté du golfe de l’Ob, sur la péninsule du Gydan est déjà en préparation. Sa mise en service est prévue pour 2023 avec un objectif de production de 19,8 millions de tonnes de gaz liquéfié par an.

Texte et photos, Paul GOGO

Arrêtée à Moscou, Nastia Rybka est au cœur de « l’affaire russe » de Donald Trump

[La Libre Belgique]

Au centre d’un scandale lié à deux hommes clés de « l’affaire russe » de Donald Trump, Nastia Rybka, escort girl biélorusse a été interceptée jeudi par la police russe, alors qu’elle faisait escale à Moscou.

Dans une vidéo diffusée vendredi sur internet, Anastasia Vashukevich alias Nastia Rybka apparaît dans les couloirs de l’aéroport Sherementievo de Moscou, à la descente de son avion en provenance de Thaïlande. Cette jeune biélorusse de 28 ans vient de passer neuf mois enfermée dans une prison thaïlandaise. Elle y était accusée d’avoir organisé des cours de « formation sexuelle » dans la station balnéaire de Pattaya avec neuf amis. Tous ont été condamnés à une amende mardi dernier, avant d’être expulsés vers la Russie, et le Bélarus jeudi. Mais pour Nastia Rybka, le retour vers Minsk s’est fait en transit par Moscou. Jeudi soir, au moins sept hommes en civil l’attendaient pour lui faire traverser la frontière russe de force selon son avocat. Sur cette vidéo qui débute après le passage de la frontière, on entend la jeune femme s’écrier « je ne veux aller nulle-part ». On la voit ensuite faire la morte et peser de tout son poids pour ralentir ce groupe qui s’avérera être composé d’agents du FSB et de policiers en civil. Transportée de force sur un fauteuil roulant, elle a été mise en garde-à-vu dans la soirée. Son avocat a qualifié cette arrestation en zone internationale, jeudi soir, de « scandale international ». Présentée devant un juge samedi, accusée de prostitution, la jeune femme restera en garde-à-vue au moins jusqu’à mardi prochain.

Eaux troubles

Nastia Rybka semblait particulièrement inquiète de rentrer en Biélorussie. À quelques heures de son décollage de Thaïlande, la jeune femme aurait déclaré à des journalistes russes vouloir se présenter à la présidentielle biélorusse, critiquant le « manque de liberté dans son pays ». Peu crédible, cette annonce avait-elle pour objectif de la mettre en position d’opposante, pour se construire une protection médiatique ? Si l’annonce n’a eu que peu d’effet, Rybka ne sait désormais plus à quelle puissance se vouer pour assurer sa survie. La jeune femme nage en eaux troubles. En 2016, elle diffuse sur Instagram une vidéo d’une sortie en mer au large de la Norvège en compagnie du magnat de l’aluminium russe, Oleg Deripaska, proche de l’ex-directeur de campagne de Donald Trump, Paul Manafort, aujourd’hui inculpé dans l’enquête sur l’ingérence russe durant l’élection présidentielle américaine. Sergueï Prikhodko, vice-Premier ministre et chef de cabinet du gouvernement russe est présent au côté de Deripaska. Un proche de Vladimir Poutine en discussion avec un proche du directeur de campagne de Donald Trump en pleine campagne présidentielle américaine, la vidéo rendue virale par l’opposant Alexeï Navalny en 2018 fait le tour du monde. Plus de 5 millions de vues plus tard, Rybka craint pour sa vie. Elle décidera alors d’authentifier la vidéo et de déclarer dans la presse être en possession des « pièces manquantes du puzzle » sur l’aide que le Kremlin aurait apportée à Donald Trump pendant sa campagne électorale. Explosif.

Si elles existent, ces pièces du puzzle n’ont jamais été rendues public, la jeune femme se serait-elle une nouvelle fois protégée en se créant une notoriété ?

Réfugiée puis arrêtée en Thaïlande l’année dernière, Nastia Rybka tentera de demander l’asile aux États-Unis, de peur d’être retrouvée par les services russes, en vain. C’est finalement son escale moscovite qui l’aura menée dans les mains des autorités russes. La jeune femme repassera devant un juge russe mardi matin. Dimanche, l’ambassade du Bélarus à Moscou ne savait pas si Nastia Rybka allait pouvoir rejoindre son pays dans les jours à venir.

Mer d’Azov. Pour le Kremlin, le contrôle de la région à tout prix

La Libre Belgique.

Bas dans les sondages et en quête d’un contrôle toujours plus fort de la mer noire, Vladimir Poutine prend le risque de l’intransigeance.

L’image aurait été symbolique. Un navire de guerre ukrainien passant sous le contesté pont de Crimée, construit par la Russie en dépit du droit international à l’issue de l’annexion de la Crimée. Mais le risque militaire et symbolique semblait trop important pour le Kremlin. En tentant de rejoindre la mer d’Azov en passant par le détroit de Kertch, la marine ukrainienne s’est attaquée à un tabou exploité par la Russie depuis le début de la crise qui oppose les deux pays. Un accord signé en 2003 par les deux pays donnent des droits équivalents à la Russie et l’Ukraine sur ces eaux stratégiques. Mais dans les faits, la Russie a bel et bien pris le contrôle de la région. L’image d’un bateau poussé sous l’arche du pont de Crimée pour bloquer la circulation du détroit dimanche est saisissante. La Russie a le pouvoir physique de décider qui entre et qui sort de la mer d’Azov. Un enjeu économique, militaire mais également de communication. Intransigeant sur le sujet, Vladimir Poutine ne prendra jamais le risque de décevoir la population russe, exaltée au lendemain de l’annexion, en la laissant croire qu’il puisse y avoir la moindre faille de sécurité à proximité de la péninsule annexée.

Lundi soir, la Russie détenait toujours les 23 militaires ukrainiens et leurs trois navires au sein du port de Kertch, en Crimée. Porte-parole du Kremlin, Dmitry Peskov dénonçait lundi une « provocation dangereuse de la part de l’Ukraine » et concédait des coups de feu tirés sur les navires ukrainiens par les forces spéciales russes : « Nous n’avions pas le choix pour empêcher une violation de notre frontière ».

Risque de sanctions

Le conflit couvait depuis plusieurs mois. Les deux pays n’ont cessé d’augmenter la militarisation de leurs ports situés en mer d’Azov durant l’année passée. En octobre dernier, exaspérée par l’attitude de la Russie à l’égard des bateaux ukrainiens et européens dans la mer d’Azov, l’Union Européenne a menacé la Russie de nouvelles sanctions en cas de conflit dans la zone. En vain. Ces derniers mois, prés de 200 navires européens et ukrainiens auraient été contrôlés et parfois bloqués pendant plusieurs jours par les autorités russes lors de leur passage par le détroit de Kertch.

« Si nos gardes-frontière réalisent autant de contrôles, c’est parce que les leaders de l’auto proclamée assemblée des tatars de Crimée et les groupes nationalistes ukrainiens ainsi qu’un certain nombre de politiciens ukrainiens ont appelé au terrorisme et à la destruction du pont de Crimée » affirmait au journal Kommersant, Grigori Karasin secrétaire d’état du ministère des affaires étrangères russe vendredi dernier.

En refusant le passage des navires militaires et commerciaux ukrainiens sous le pont de Crimée, la Russie teste la capacité de réaction de l’Union-Européenne tout en prenant le risque de subir de nouvelles sanctions. Comme en Ukraine, l’explication de cette manœuvre risquée se trouve très certainement dans la politique nationale. Depuis l’été dernier et l’annonce de l’impopulaire réforme des retraites, le taux de popularité de Vladimir Poutine subit une dégringolade inédite. Le président russe n’aurait plus que le soutien de 45% de la population contre 64% en mai dernier. Cette impopularité n’avait pas été aussi importante depuis… la veille de l’annexion de la Crimée. L’introduction de la loi martiale en Ukraine joue le jeu du Kremlin. Les médias russes ont repris, lundi, un ton proche de celui de 2014 destiné à décrédibiliser le pouvoir ukrainien et à jouer la carte de l’Ouest russophobe. Dans la suite de son interview au journal Kommersant, Grigori Karasin déclarait « le sujet de la mer d’Azov a été intentionnellement inséré dans l’espace médiatique. Le régime de Kiev a créé un nouveau thème anti-russe avec ses mentors étrangers (…) le seul objectif de l’ouest est de pouvoir durcir les sanctions contre la Russie ».

L’Obs : « Labytnangui, la ville où se meurt Oleg Sentsov »

Papier réalisé pour l’Obs.

Enfermé dans la colonie de Labytnangui, dans le grand nord russe, le cinéaste ukrainien est en grève de la faim depuis 144 jours. Sur place, misère, gaz et paysages désertiques ne font qu’un.

Labytnangui (7).JPG

A quelques minutes du départ, de gros blocs de charbon disposés dans les wagons brûlent déjà. Le train doit conserver sa chaleur et l’eau du samovar ne doit pas refroidir. Il peut faire jusqu’à moins 60 degrés au terminus, en Iamalie, au nord du cercle polaire. 19h50, la « Flèche polaire » quitte Moscou avec 2 000 km à parcourir en 44h. L’infinie taïga, Labytnangui et sa colonie pénitentiaire en promesse. C’est dans cette cité de 26 000 habitants qu’est enfermé le réalisateur ukrainien Oleg Sentsov, en grève de la faim depuis 144 jours.

Les arrêts se succèdent et Nina, grand-mère ukrainienne originaire de Pervomaïsk, (260 km au sud de Kiev), enchaîne les mots croisés. « Mon fils vit à Salekhard, en face de Labytnangui, de l’autre côté du fleuve Ob. Je vais lui rendre visite de temps en temps » confie-t-elle d’une voix douce et posée. « Labytnangui n’est pas une ville désagréable à vivre. Il y a beaucoup de jeunes, les retraités ont des retraites élevées, ils sont nombreux à partir finir leurs jours du côté de Saint-Pétersbourg ou dans le sud du pays où la météo est plus clémente » explique-t-elle. À deux banquettes de là, une autre « babouchka » laisse traîner ses oreilles. À l’approche du cercle polaire anormalement dépourvu de neige, l’horizon jaune et brun est fait de rivières, de troupeaux de rennes, d’arbres bas et de « tchoums » les tentes hautes des Nénètses, peuple nomade de la région.

Nina n’a pas entendu parler d’Oleg Sentsov. En troisième classe, le train n’est qu’un dortoir géant. Sur les réseaux sociaux liés à la ville de Labytnangui, les noms de famille à consonance ukrainienne sont nombreux. Le directeur de l’administration pénitentiaire de Iamalie est d’ailleurs né… en Ukraine. « Labytnangui est une ville internationale. Beaucoup de gens ont quitté les anciens pays soviétiques pour venir y travailler dans les années 1990, il y a toujours eu du travail dans la région. Je connais aussi des gens du Donbass qui sont parti quand la guerre a commencé en Ukraine, ils ont pris un train et sont allés jusqu’au bout de la ligne. Ils vivent aujourd’hui à Labytnangui ». La grand-mère voisine s’installe à côté de Nina et lance la discussion sans détours. « La Crimée était à nous et on n’a même pas fait la guerre pour la récupérer ». Nina acquiesce timidement. « Cette histoire de séparation des églises orthodoxes russe et ukrainienne, c’est triste, pourquoi vous ne prenez pas les armes pour défendre votre église ? » questionne la voyageuse. « Cela ne servirait à rien, ce ne sont pas des questions qui se règlent avec des armes » clôt subrepticement Nina.

Gaz, pétrole et goulags

Labytnangui (21).JPG

La Iamalie est le royaume de Gazprom, le géant d’État russe leader dans l’extraction et le transport du pétrole et du gaz. L’hiver dernier, c’est son concurrent dans la région, Novatek, qui a inauguré un complexe gazier situé à l’extrême nord de la péninsule de Yamal. Le Kremlin voit en cette région l’avenir du pétrole russe qu’il souhaite faire transiter vers l’Asie et l’Europe par le nord. Mais la Iamalie est également la terre des goulags. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, Staline y a envoyé en exil, vers la mort, des dizaines de milliers de prisonniers. Son rêve : Une ligne de chemin de fer qui devait relier les grandes villes du cercle polaire. Les 100 derniers kilomètres de la « Flèche polaire » empruntent la seule portion jamais construite de ce projet. Il se dit que chaque ballaste représente un prisonnier mort à la tache.

Dernier arrêt avant Labytnangui, Kharp, 6000 habitants. La ville est à l’image de la région, on y trouve deux colonies pénitentiaires et une station de Gazprom qui y propulse son personnel vers le grand nord.

Sur le quai de la gare de Labytnangui, des policiers armés attendent le train de pied ferme. Des prisonniers envoyés de Moscou viennent de passer 44h dans un wagon « Stolypine » du nom de son créateur, Piotr Stolypine. Ce ministre de la Russie impériale assassiné à Kiev en 1911 avait créé ce wagon pour permettre aux paysans d’aller coloniser la Sibérie en emmenant leur bétail. Les polices politiques soviétiques NKVD et Tchéka ont vite détourné son usage pour envoyer des dizaines de milliers de prisonniers politiques au goulag en remplaçant dans les cages le bétail par des détenus. Le transport se fait toujours de la même façon en 2018. « Cela arrive souvent, la police attache ce wagon à l’arrière du train et les prisonniers voyagent séparés des autres voyageurs » confie une cheffe de wagon.

Le système pénitentiaire russe est l’héritier direct des goulags. La majorité des peines se purgent toujours en exil, loin des proches, dans des conditions difficiles. Plus de 700 établissements composent aujourd’hui cet archipel des colonies. À l’intérieur, il n’est plus question de travail forcé, le travail est volontaire et rémunéré. Mais la violence est toujours là. Actes de violence et de torture envers les prisonniers sont régulièrement dénoncés par les organisations russes de défense des droits de l’Homme.

« Oleg est très têtu »

Colonie (issue d'une vidéo) (1).png

Depuis le début de sa grève de la faim, le 14 mai dernier, c’est dans l’infirmerie de la colonie pénitentiaire IK-8 ou colonie de l' »Ours blanc » à Labytnangui que vit Oleg Sentsov. Accusé d’avoir lancé deux cocktails Molotov sur les locaux d’une organisation pro-russe de Crimée en opposition à l’annexion de la péninsule en 2014. Il y purge une peine de 20 ans de colonie. Une peine sévère établie à l’issue d’un jugement expéditif, sans preuves de sa culpabilité. « Sa famille n’a plus de vie depuis qu’Oleg est enfermé » confie la cousine du réalisateur, Natalia Kaplan à l’Obs. « Oleg est très têtu, c’est ce qui nous fait peur. Il ira jusqu’au bout, il est prêt à mourir pour ses idées ».

« Nous l’appelons le « village » lance Zakhar, 69 ans, en montrant du doigt la colonie de l' »Ours blanc » située à quelques encablures de son jardin. L’établissement a été construit à flanc de colline, entre la ville et le fleuve Ob. Plusieurs lignes de murailles, de barbelés et de nombreux miradors entourent de grands dortoirs verts. En contrebas, des prisonniers traînent un chariot. « Ils participent au déchargement des trains qui apportent les denrées alimentaires. C’est une façon de se faire un peu d’argent » explique-t-il.

« Mon père a séjourné dans cette prison » avoue ce vieux loubard aux yeux malicieux né au pied de l’établissement, « le village c’est un peu ma maison ». Condamné pour de nombreux vols et agressions, il est passé par sept colonies russes pendant près de 20 ans. Jamais celle de Labytnangui. « Je reste sage, je ne bois pas, je ne fume pas. La police garde un œil sur moi, je n’ai pas le droit de quitter la ville pour encore deux ans et demi » avoue-t-il. Les mains pleines de bagues, Zakhar occupe ses journées à nourrir ses cochons, canards et oies qui trempent dans une mare boueuse et polluée. Dans une région où la viande se fait rare, sa ménagerie représente de l’or. Depuis sa cuisine, il a une vue imprenable sur la colonie. « Ils sont nombreux à s’installer dans le quartier à leur sortie ». Autour, des seringues et des bouteilles de bière traînent à terre. Pour protéger leurs trois enfants, Zakhar et sa femme essayent d’éviter l’alcool, sans toujours y parvenir. « La ville va bientôt nous offrir un appartement neuf, ça nous fera un peu de confort » lance Sacha, sa femme. Labytnangui reçoit sa part du gâteau pétrogazier. La majorité des bâtiments du centre-ville et des infrastructures municipales sont neufs. Zakhar ne veut pas qu’on lui enlève ses animaux, ils lui permettent d’aider ses amis.

« Certains perdent l’envie de vivre »

Labytnangui (26).JPG

C’est le cas de Nikolaï, 41 ans, un ancien de l’Ours blanc. La vie ne l’a pas épargné. Une affaire de vol puis une affaire de drogue l’ont amenés à Labytnangui, côté colonie. À sa sortie, il y a neuf ans, il s’est marié, sa femme et son fils sont morts quelques mois plus tard. Nikolaï s’est retrouvé seul, sans un sou avec l’alcool comme seul soutien, de quoi, lui faire regretter, un temps, l’enfermement. « Je n’oublie pas que c’est dur. Quand tu arrives, les matons ont parfois bu. On te brise, on te frappe, ils utilisent des électrochocs. À l’époque, un ami s’est fait briser les rotules. Je suis toujours en contact avec des détenus du « village », ces méthodes ont toujours cours » confie-t-il d’une voix basse.

Les colonies de Iamalie ont pour réputation d’être les plus dures du pays. Nikolaï confirme : « On était très à l’étroit mais on s’entraidait. Je travaillais dans la réserve de nourriture. On nous laissait cuisiner car la bouffe de la prison est immangeable. Les conditions sont difficiles, il y a souvent des morts, certains perdent l’envie de vivre, alors ils se pendent » soupire-t-il.

Depuis le début de sa grève de la faim, Oleg Sentsov est isolé des autres détenus. « Il a du mal à se lever, il écrit beaucoup : cinq scenarii, un recueil de nouvelles et un roman depuis 2015. Il évite la télévision toujours branchée sur les chaînes du Kremlin » raconte sa cousine. Hospitalisé la semaine dernière pour « revoir son traitement », le réalisateur se meurt à petit feu en se pliant aux conditions de l’administration pénitentiaire. Il boit plusieurs litres d’eau, avale des substituts alimentaires et reçoit glucose et vitamines sous perfusion pour ne pas être nourri de force. « Sentsov ne lâchera rien, son destin ne dépend plus que d’une seule personne en Russie, et nous savons tous de qui il s’agit » confie à l’Obs Dmitry Dinze, son avocat. L’avocat se rendra à la colonie cette semaine, les rendez-vous lui sont systématiquement accordés. « Ce n’est pas le cas de tous les prisonniers ukrainiens. Mon cousin est médiatisé mais les autres sont souvent privés de leurs droits, battus et torturés » confie Natalia Kaplan.

A Labytnangui, la présence d’Oleg Sentsov et sa médiatisation pourraient, selon certains dires, valoir à cette cité un désenclavement que plus personne n’attendait. Demande quasi éternelle des locaux, un pont qui relierait la capitale régionale Salekhard et son aéroport à la rive de Labytnangui pourrait enfin voir le jour. Sentsov n’y est certainement pour rien mais la compagnie de chemin de fer russe appuyée par Gazprom a récemment lancé le projet. Des ouvriers s’affairent déjà sur les rives. Ironie du sort: Cet ouvrage qui mènera peut-être un jour Oleg Sentsov vers la liberté sera réalisé par les ingénieurs qui ont construit le pont reliant la Russie à cette Crimée annexée si chère au réalisateur ukrainien.

Paul GOGO

France Culture. Six policiers arrêtés, accusés de torture en prison

Six policiers ont été arrêtés lundi en Russie. Ils sont accusés d’avoir participé à la torture d’un prisonnier en juin 2017, une affaire révélée la semaine dernière par le journal d’investigation russe Novaia Gazeta qui a mis en ligne une vidéo des faits.

Il s’agit d’un extrait d’une dizaine de minutes montrant un prisonnier de la colonie de correction numéro 1 de Yaroslav, subir des actes de tortures.

Sur cette vidéo mise en ligne par le journal d’investigation indépendant du pouvoir Novaia Gazeta, on peut voir une dizaine de policier s’acharner à coups de matraques sur Evgueni Makarov, le prisonnier.

Lundi, les autorités russes ont arrêté six policiers soupçonnés d’avoir participé à ces actes de violence.

Anastasya Garina du comité indépendant de lutte contre la torture se félicite de la réaction des autorités.

« Il y a eu une réaction de la part des autorités. Et elle a été bonne, adéquate. Mais il faut comprendre que cette situation de violence en prison n’est pas une exception, c’est plutôt la règle en Russie. »

D’après le comité, une centaine de prisonniers se seraient plaints de violences dans cette même prison. Des violences semble-t-il cautionnées par la direction.

 » Les détenus russes font très souvent l’objet de violences de la part des membres de l’administration pénitentiaire. Parfois ces violences viennent de détenus a qui l’administration de la prison commande ces violences. Nous avons aussi d’autres cas dans lesquels les administrations ferment les yeux sur des bagarres entre détenus. »

Devant l’écho inédit de cette vidéo, les enquêteurs ont promis d’arrêter d’autres policiers dans les jours à venir.

Paul GOGO pour France Culture