RFI. Reportage, après la liesse, le cas Sentsov

Après la victoire, le sacre. Tournée en bus pour les Bleus à Paris, « Deschamps Elysées » à l’Etoile, ou plutôt aux « deux étoiles ». Les Bleus perchés sur le toit du monde. On ne vous refera pas le film dans Accents d’Europe.

On a juste sélectionné deux images, en marge de la performance sportive. Celle de Kylian Mbappé tapant dans la main d’une opposante des Pussy Riot, qui avait fait irruption sur la pelouse pour interrompre brièvement le match. Ou cette autre photo, d’une fan zone vide avec cette légende : « La liberté est finie. Bienvenue dans la vraie Russie ». Deux photos qui font, bien sûr, référence à la situation des droits de l’homme à Moscou. Car derrière cette formidable liesse mondiale, il y a bien sûr une opération de communication bien orchestrée par Vladimir Poutine. Et le sort d’un homme Oleg Sentsov qui se meurt dans une colonie pénitentiaire du nord de la Russie. Le cinéaste ukrainien, engagé contre l’annexion de la Crimée, est en grève de la faim. Il a été condamné à 20 ans de prison pour terrorisme et trafic d’armes, à l’issue d’un procès qualifié de « stalinien » par Amnesty. Pour l’instant, aucune pression internationale n’a fait plier Poutine. Et en Russie, le cas Sentsov est quasiment tabou. A Moscou, le reportage Paul Gogo.

 

En Russie, la dulcinée du Tsar fait scandale

Des croyants radicaux s’opposent à un film relatant une histoire d’amour entre une danseuse et le tsar Nicolas II.

Depuis plusieurs semaines, un groupe nommé « État chrétien – sainte Russie » appelle à la censure et à la destruction des cinémas qui prévoient la diffusion du film « Matilda ». Ce film relatant une histoire d’amour entre le dernier tsar russe Nicolas II et Mathilde Kschessinska, une ballerine, met une frange radicale de l’église orthodoxe en émoi, au point que des croyants appellent à brûler les cinémas. Un appel déjà suivi de faits. Ces derniers jours, plusieurs incendies et menaces de mort à travers la Russie ont convaincu une centaine de cinémas d’annuler leurs projections. Canonisé en 2000, Nicolas II est un symbole pour l’église orthodoxe qui s’est néanmoins désolidarisée des appels à la violence.

Le Kremlin contre la censure

Côté politique, ne reste plus que l’ancienne procureure de Crimée désormais députée au parlement russe, Natalia Poklonskaïa pour mener la croisade. Cette royaliste affirmée a fait appel aux descendants du tsar pour régler l’affaire devant les tribunaux. En Russie les appels à la censure lancés par l’église sont souvent suivis par l’État. Mais cette fois-ci, les extrémistes risquent de perdre la bataille. Le ministère de la culture qui a en partie financé le long-métrage, a validé la licence d’exploitation du film début septembre. Puis Vladimir Poutine s’est exprimé sur le sujet, déclarant : « de nombreux films ont déjà été réalisés sur la famille impériale. […] Beaucoup sont, selon moi, plus sévères que celui d’Alexeï Outchitel (le réalisateur de Matilda) ». Jeudi midi, le ministre de la culture a affirmé avoir vu le film, appelé à sa diffusion et a demandé à la député de cesser la polémique. Mais pour Alexander Kalinin, l’homme à la tête du groupe de fanatiques orthodoxes, rien n’y fait : « À chaque fois qu’un cinéma montrera le film, il sera brulé le lendemain » a-t-il de nouveau déclaré jeudi au site internet « Meduza ».

Paul GOGO

À Moscou, le Bolchoï secoué par un scandale

Article à retrouver sur Ouest-France.fr

Le célèbre théâtre moscovite a annulé la présentation d’un ballet annoncé par la critique comme l’un des meilleurs du XXIe siècle.

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Images de la répétition générale

Le Bolchoï, institution d’excellence, productrice des meilleurs ballets du monde, est au cœur d’un scandale romanesque comme seules les grandes maisons en connaissent. Le 11 juillet, le théâtre devait présenter Noureev, un nouveau ballet retraçant la vie du célèbre danseur étoile Rudolf Noureev. Un chef-d’œuvre à gros budget sur lequel le Bolchoï planchait depuis deux ans.

Au lendemain de la répétition générale, le metteur en scène, Kirill Serebrennikov, a annoncé son annulation et crié à la censure. Depuis quelques années, Serebrennikov, récompensé en 2016 au Festival de Cannes pour son film Le disciple, se pose régulièrement en critique du pouvoir.

Le Kremlin l’aurait-il attaqué via son ballet ? Vladimir Ourine, directeur du Bolchoï, nommé par Vladimir Poutine, s’en est défendu, justifiant cette annulation par un manque de préparation des danseurs et promettant une reprogrammation en mai 2018.

« Un amour pour la danse »

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L’équipe à l’issue de la répétition générale

Mais l’affaire n’est pas close. D’après Alexeï Venediktov, rédacteur en chef de la radio Écho de Moscou, des représentants de l’Église ont assisté à la répétition générale. Ils auraient été choqués par la présence d’un danseur nu sur scène. Et par l’apparition, en flash d’une seconde, d’une célèbre photo de Noureev, nu lui aussi. L’agence russe Tass a annoncé que le ballet avait été considéré comme de la « propagande homosexuelle » par le ministère de la Culture, les histoires d’amour de Noureev, homosexuel, y étant abordées.

Rudolf Noureev, souvent qualifié de meilleur danseur et plus grand chorégraphe au monde, a rejoint la France en 1961. Il est entré dans la légende après avoir échappé aux agents du KGB chargés de le surveiller lors d’une tournée parisienne. Il est devenu directeur de l’Opéra de Paris dans les années 1980 et est mort du sida en 1993.

Ouest-France a pu se procurer des images tournées durant la répétition générale de Noureev. Le spectacle est grandiose. Serebrennikov a tenté de bousculer les vieilles manières du Bolchoï sans s’éloigner du classique. Les histoires d’amour de l’étoile sont dansées avec finesse. Les scènes qui auraient déplu à l’Église sont belles, sans provocations.

Critique du journal Kommersant, la journaliste russe Tatyana Kuznetsova a résumé l’affaire : « Les images montrent un spectacle parfaitement prêt. Le ballet ne parle pas de sexe mais d’amour, un amour pour la danse, pour la vie et pour la liberté. C’est ce qui est d’ailleurs peut-être le plus désagréable pour les homophobes… »

Dans les coulisses du Bolchoï en direct

 

Ce dimanche, la société française Pathé Live célébrera son 30e ballet diffusé en direct depuis le Bolchoï de Moscou. Sur place, les équipes françaises travaillent au cœur de cette institution légendaire.

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Il est 19h vendredi, dans les couloirs du Bolchoï, des danseuses dont les longues jambes sont cachées d’un brouillard de tutus sortent précipitamment des ascenseurs du théâtre pour rejoindre la scène. Pour leurs collègues, l’échauffement a déjà commencé dans une toute petite pièce faite d’une barre de répétition et de miroirs, située à l’entrée de la scène. L’orchestre lance les premiers accords de cette répétition, les danseurs piétinent rapidement dans une bassine remplie de résine pour ne pas chuter sur le sol glissant de la scène inclinée. Les regards sont fermés, les corps visiblement fatigués. Ce dimanche, c’est le ballet « Un héros de notre temps », l’histoire d’un jeune officier désabusé en voyage dans les montagnes du Caucase qui sera diffusé en direct depuis Moscou. Le rideau s’ouvre, les étoiles accourent sur scène avec cette précision et cette concentration qui font la réputation de l’institution. Dimanche, à 17h, ce sont les danseurs les plus réputés du Bolchoï qui monteront sur scène.

Un ballet dans le ballet

Côté technique, c’est un autre ballet qui s’organise. Le son et l’image, le tout doit être capté et envoyé instantanément par satellite dans le monde entier. C’est la société française « Pathé live » qui produit. Les soirs de directs, on parle russe et français dans les couloirs du célèbre théâtre. La régie est, elle, installée dans un camion sur le parking. « Nous avons dix caméras disposées dans la salle, une trentaine de micros dans l’orchestre » explique Xavier Fontaine, en charge du son. « Un ballet filmé, c’est un équilibre à trouver entre deux publics. Il faut que le public sur place puisse assister à la soirée dans les meilleures conditions possibles, mais comme c’est filmé, éclairages et maquillages doivent être adaptés aux gros plans des caméras. C’est compliqué, mais le système est rodé » explique Sergeï Timonin, en charge de la seconde scène du Bolchoï.

Paul GOGO

«Masha et Michka», l’épopée russe

Article publié dans Libération

Empreint de folklore, le dessin animé cartonne dans le monde, notamment sur YouTube.

Masha et Michka sont les Russes les plus regardés de la planète, peut-être plus que Poutine. Cette petite fille espiègle et son ami l’ours bourru au bon cœur sont les héros d’une success-story : le dessin animé Masha et Michka, créé dans un petit studio moscovite, est traduit dans 25 langues et diffusé dans une centaine de pays. Dont la France, où le turbulent duo a débarqué dans les salles de cinéma au début de l’année. Avec plus de 2 milliards de vues sur YouTube, le 17e épisode est la cinquième vidéo la plus regardée de l’histoire du site. Coincé entre deux barres d’immeubles en périphérie de Moscou, le bâtiment ne paie pas de mine. Dans ce petit bureau gris, celui du studio Animaccord, sont intégralement conçus les nouveaux épisodes du dessin animé à succès. Un studio à l’histoire aussi particulière que son modèle économique. Les deux héros sont nés d’un mélange entre un célèbre conte russe, mettant en scène une petite fille et un ours, et l’imagination d’un dessinateur de dessins animés soviétiques, Oleg Kuzovkov.

Marketing

«Dans les années 90, Oleg travaillait au studio Pilote à Moscou avec des réalisateurs de dessins animés soviétiques connus. Il avait ce projet en tête d’une histoire avec une petite fille et un ours en 3D. Mais c’était un projet techniquement compliqué pour l’animation russe de l’époque», raconte Dmitriy Loveyko, directeur adjoint du studio. A la chute de l’URSS, Kuzovkov part aux États-Unis pour y développer son projet. Il y crée un studio mais, malgré son expérience et sa réputation, l’affaire ne prend pas.

C’est au début des années 2000, de retour à Moscou, qu’il trouve l’argent qui lui permettra de donner naissance à son bébé. «Nous avons également un bureau à Miami. Tous nos scénarios sont écrits là-bas», explique une dessinatrice du studio. Le projet lancé, il faudra encore attendre jusqu’en 2009 pour voir l’ours et la petite fille commencer à conquérir le monde.

Faire aimer ces personnages des enfants russes, rien de plus facile. Un ours, ancienne star de son cirque, une petite fille coiffée d’un foulard traditionnel russe – ce qui lui vaut de connaître un succès grandissant dans les pays arabes à la grande surprise du studio moscovite -, les références à la culture russe sont omniprésentes. Pour percer à l’étranger, le studio a dû mettre ses responsables marketing à contribution. Il a d’abord fallu charmer les jurys des festivals d’animation du monde entier. «Le but n’était pas de se montrer au public, mais de se créer un public, un monde Masha et Michka. Nous avons créé un spin-off [histoire secondaire, dérivée de la série, ndlr], des chansons, des karaokés, des autocollants…» La marque est née. Le studio se fait alors remarquer par les chaînes de télévision internationales, la France en première ligne avec France Télévisions et Canal + qui deviennent leurs diffuseurs officiels. «Notre public était alors prêt à voir se matérialiser Masha à travers nos produits dérivés», raconte le directeur adjoint. «Ils représentent aujourd’hui de 65 % à 70 % de nos recettes», ajoute Oksana Sheveleva, chargée de la gestion de la licence en Europe. Impossible d’en savoir plus sur le chiffre d’affaires, la communication est très maîtrisée : officiellement, le studio ne vend que du rêve. Mais la série connaît aussi un succès sur Internet où les nouveaux épisodes sont diffusés gratuitement. «Quand les majors luttent contre le piratage, nous, nous créons des partenariats avec les pirates car ils contribuent à la diffusion de notre marque», explique Dmitriy Loveyko. Poussés par certains fans à se lancer dans un long métrage, l’équipe est unanime : «C’est impossible, trop cher, il nous faudrait un nouveau studio, de nouvelles équipes, nous ne sommes pas Hollywood.»

Insensible

L’équipe a dû aussi parfois défendre sa création. Des médias américains ont un temps cru trouver de la propagande russe dans ce cartoon. «Nous faisons partie des rares studios russes à ne pas recevoir d’argent du ministère de la Culture», balaie Loveyko. Mais les parents s’interrogent aussi : serait-il possible que leurs enfants se mettent à imiter cette petite fille capricieuse et surexcitée qui passe sa vie à s’acharner sur son ami l’ours, figure parentale du dessin animé ? C’est l’avis de Lidia Matveeva, professeure de psychologie à l’Université Lomonosov, diffusé dans l’édition russe de Psychologie Magazine : «Consciemment ou non, les auteurs ont créé un personnage dépouillé de sa capacité d’aimer, sans capacité de compassion et de tendresse. Masha devrait pouvoir sentir la douleur de l’autre comme étant la sienne, ce qui n’est pas son cas.» Dmitriy Loveyko admet : «C’est vrai que Masha a un caractère infantile, mais en même temps très contemporain. Elle paraît hyperactive et égoïste, mais au fond, c’est un personnage très généreux.»

Depuis Moscou, Paul GOGO

Ouest-France : « Exposition. Le Kremlin, ce musée méconnu »

À Moscou, le célèbre Kremlin n’abrite pas que le bureau du président russe. C’est le troisième lieu le plus visité de Russie ! à retrouver sur Ouest-France.fr

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Dans l’enceinte du Kremlin, pouvoir, histoire et religion sont logés à la même enseigne. Ce quartier de 28 ha, protégé d’une muraille rouge, est composé de dix-sept églises, cathédrales et palais, marqueurs de l’histoire russe et de la religion orthodoxe. Le Kremlin demeure un lieu de visite incontournable pour les touristes de passage. Avec plus de deux millions de visiteurs par an, il est le troisième lieu le plus visité de Russie, après le fameux Ermitage et le musée d’histoire de Saint-Pétersbourg.

N’importe qui peut entrer dans cette enceinte légendaire, sous réserve de montrer patte blanche. Certains de ces bâtiments hébergent le Sénat russe, le palais présidentiel, les services de sécurité du Président… Si les visiteurs ont la possibilité de se promener librement dans certaines allées du Kremlin, de nombreux policiers veillent à ce que personne n’approche des bâtiments officiels.

Toujours dans l’enceinte du Kremlin, se trouve le palais des armures. On retrouve, présentés dans les neuf salles de ce grand bâtiment jaune et blanc surplombant le fleuve Moskova, des siècles de trésors accumulés par les princes et tsars russes : or, pierres précieuses, œufs de Fabergé, trônes, carrosses…

Sanctuaire de 1508

À quelques pas, la cathédrale de l’Archange-Saint-Michel est le second lieu incontournable du Kremlin. Il s’agit du plus ancien sanctuaire de Russie, construit en 1508. L’armée russe y a longtemps célébré ses victoires. On y retrouve quarante-six tombes de princes et tsars russes.

Parmi les édifices ouverts au public, il y a le palais du patriarche, étrange lieu dont l’intérieur ressemble à une église. Construit en 1655, en l’honneur du patriarche Nikon, il renferme une collection d’objets religieux, mobilier, vaisselle et joaillerie du XVIIe siècle. Et notamment un ensemble impressionnant : un poêle destiné à la confection des huiles saintes.

Depuis le début du mois, l’exposition permanente dédiée à la religion orthodoxe est complétée d’une exposition temporaire inédite. Pour la première fois, des objets vieux de plus de 800 ans, de l’époque de Louis IX, ont été sortis de France pour être exposés au Kremlin, dont une couronne reliquaire, un évangile et des vitraux de la Sainte-Chapelle de Paris transportés en avion.

D’après Philippe Bélaval, président du centre des monuments nationaux, «ces objets montrent que le Moyen Âge a également eu une période d’excellence en matière d’architecture et d’art. Voir des objets de la Sainte-Chapelle au Kremlin, c’est un symbole fort.»

Paul Gogo