Maintien de l’ordre. Pourquoi il ne faut pas comparer la France et la Russie? (Post de blog)

Je reprends ici le développement que j’ai tenu, il y a quelques jours sur mon compte Twitter. Ce « Thread » intitulé « Pourquoi ça n’a aucun sens de comparer manifs russes et françaises ? » a beaucoup fait réagir et a rapidement fait office d’argument pour les militants en tout genre. Soutiens du président russe, gilets jaunes, militants engagés dans la défense des droits des manifestants en France et soutiens du président français.
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Avec les gilets jaunes, la France a vécu des manifestations d’une forme inédite. Sociales, populaires, politisées, radicales dictées par les réseaux sociaux et leur désinformation, spontanées et violentes sans préparation ni, pour ce qui concerne les grandes manifestations, concertations avec la police et notamment, leurs fameux officiers de liaison.
Il ne s’agit pas de relativiser les conséquences de cette situation : attaques inédites contre les journalistes, mutilations des manifestants, usage d’armes inadaptées, nombreuses « bavures », mais de faire la part des choses, de nuancer.
La situation française et la situation russe sont incomparables, voici pourquoi :
Le fait que les gilets jaunes aient la possibilité de manifester (de détruire et de taper sur la police) dans le centre de Paris, c’est déjà 1000 fois plus que ce que peut faire un russe lambda. Ici, il n’y a qu’une forme de manifestation autorisée : Le « piquet solitaire ».
Ces manifestations qui d’après la loi russe peuvent être réalisées sans autorisation mènent toutefois, régulièrement à des interpellations.
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Piquet solitaire en soutien à Ivan Golounov à Saint-Pétersbourg
Le concept est une vraie science qui surprendrait les gilets jaunes : une seule personne peut manifester à la fois, il doit y avoir 50 m entre chaque manifestant, la pancarte doit être pliée avant d’être transmise au suivant sinon c’est une manifestation non autorisée à deux personnes. Conséquence : arrestation immédiate. Le message inscrit sur la pancarte doit être assez modéré aux yeux de la police pour ne pas avoir de problème.
La police rode autour des manifestants qui sont filmés et systématiquement contrôlés et procède immédiatement aux interpellations si l’une de ces règles est violée. L’usage de « provocators » est également récurent. Des hommes qui viennent se positionner à côté d’un manifestant pour entraîner des arrestations par exemple.
Dans cette vidéo publiée sur Twitter le 12 juin, j’ai parlé de violence durant la manifestation en soutien au journaliste Ivan Golounov arrêté le 6 juin, frappé par la police et accusé de trafic de drogue, puis libéré sur ordre du Kremlin après avoir reçu un soutien sans précédent de la société civile et des médias russes.
Alors pourquoi parler de violence si personne n’est éborgné durant les manifestations russes ? Parce que la violence est ici symbolique avant d’être physique. Le maintien de l’ordre à la russe repose sur deux particularités : la peur de la police (autant dire que les gilets jaunes sont plutôt détendus sur le sujet) et le nombre. A Moscou, une armée est mobilisée pour le moindre rassemblement. La peur de la police est historique, culturelle et bien réelle. En manifestation, rien ne vole, on ne touche pas à la police et on respecte les ordres. Il y a également le FSB et le « centre E » de « lutte contre l’extrémisme » qui agissent parfois de façon encore plus « sombre » pour calmer, impressionner et « faire passer des messages » aux militants les plus actifs.
La police joue sur cette peur pour écraser les russes.
En Russie, l’issue des manifestations est directement liée aux consignes données par le pouvoir. C’est pour cela qu’il suffit d’assister aux premières minutes d’un rassemblement pour comprendre, ressentir la façon dont les choses vont tourner. Durant les manifestations non autorisées, c’est soit tolérance – assez rare, avec tentative de dissolution du rassemblement plus ou moins subtile en bloquant les gens sur les boulevards ou en les orientant vers le métro ou violence – avec arrestations en masse (par centaines) et éventuellement, coups de matraques.
Pourquoi on ne trouve ni gaz lacrymogène ni flashball dans les manifs russes ? Parce que les russes ont tellement peur des forces de l’ordre qu’ils manifestent d’eux-mêmes sur les trottoirs et obéissent aux ordres. Les policiers russes sont en porcelaine. Le moindre coup donné ou imaginé à/par un policier et l’affaire devient criminelle avec, à la clé, le risque d’être envoyé plusieurs années en colonie.
Au lendemain des grandes manifestations, nombreux sont ceux qui se demandent si leur affaire ne va pas devenir criminelle parce qu’ils ont eu le malheur de bousculer un policier lors de leur arrestation. Et ça arrive réellement de temps en temps. L’affaire « Bolotnaya » en est le meilleur exemple. Elle a d’ailleurs précédé un durcissement de la loi sur les rassemblements par le Kremlin et la création du concept des « piquets solitaires »: https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Bolotna%C3%AFa
J’ai connu un gamin accusé d’avoir frappé un policier (j’y étais, c’était faux). Il a passé 8  mois en prison, libéré de justesse alors qu’il s’apprêtait à partir en colonie. La scolarité de cet orphelin a été gâchée par cette histoire. En Russie, les professeurs et directeurs des écoles sont souvent assez « patriotes » et les patrons parfois de mèche avec la police pour faire payer ce genre de chose à leurs élèves et employés. A la veille de la présidentielle russe de 2018, des dizaines de personnes ont été renvoyées de leurs écoles et universités parce qu’elles avaient tenté de protester contre le pouvoir.
Anecdote : on voit l’arrestation de ce jeune homme dans cette vidéo filmée par @alexdalsbaek l’année dernière. Cette vidéo apparaît dans la dernière saison du bureau des légendes. Elle est regardée à la télé par Marina Loiseau et son ami hacker russe. Le jeune du tweet précédent est le blond flouté à droite de Navalny.

 

 

 

En Russie, la majorité des arrêtés s’en sort sans rien, une amende ou 10 à 15 jours de prison pour les « récidivistes ». Rien de comparable avec les gilets jaunes qui manifestent sans souci en France.
Le médiatique opposant à la politique du Kremlin Alexeï Navalny a passé des mois en prison de cette façon l’année dernière, comme s’il bénéficiait d’une carte de fidélité.
Il faut comprendre qu’en Russie, les policiers incarnent vraiment le pouvoir. Quand l’ordre est donné, ils écrasent physiquement et symboliquement la foule. Équipements lourds et coups bien placés, presque de quoi faire regretter la BAC française (presque).
Les manifestations russes sont plus angoissantes que les manifs françaises où celui qui ne veut pas se battre avec la police a toujours la possibilité de quitter les lieux. Ici, l’enjeu est juste de POUVOIR MANIFESTER, quitter les lieux n’aurait donc aucun sens…
Il faut s’imaginer que les rassemblements russes sont systématiquement cantonnés sur les larges trottoirs de Moscou, sur les boulevards et ça ne vient à l’idée de personne de s’enfuir par la route. C’est une habitude russe qui est également liée à la volonté de vouloir limiter leurs infractions en cas d’arrestations de masse.
Les policiers avancent alors dans la foule l’air de rien, en file indienne et attrapent les gens au hasard, souvent dans leur dos. Vous pouvez être un gamin, un retraité, un handicapé, un journaliste ou un simple passant qui n’a rien à voir avec la manif, vous serez embarqué, les quatre fers en l’air et le coup de matraque bien placé si nécessaire.
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A noter que la manifestation du 12 juin était liée à un évènement peu ordinaire. Le pouvoir a sûrement pour la première fois sous la gouvernance de Vladimir Poutine, fait marche arrière devant la mobilisation des russes. Conséquences, la manifestation interdite du lendemain a permis au pouvoir de faire passer son message au peuple : La fête est finie, on ne tolère pas le désordre en Russie. On a ainsi pu voir les policiers choisir les russes à arrêter, jeunes, retraités, femmes, hommes, journalistes, enfants, tous ceux que le Kremlin ne souhaite pas voir redescendre dans la rue. Un exemple typique de la façon dont le maintien de l’ordre est utilisé par le pouvoir russe.
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Vient l’étape de « l’avtozak », le panier à salade russe, une cage en fer sur roues. En Russie, c’est vu comme un triangle des Bermudes. Vous pouvez notamment vous y faire tabasser à l’abri des regards ou y rester enfermé plusieurs heures durant sur le parking d’un commissariat, bien sûr, sans avocat. Dans certains cas particuliers, on peut même y disparaitre et réapparaitre amoché dans un commissariat de banlieue quelques heures plus tard…
Anecdote : la police russe vient de créer deux nouveaux « avtozak ». Adaptés aux handicapés (destiné aux prisonniers handicapés) et parce que les bébés sont les Navalny de demain, au transport de sièges pour bébés.
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Car il ne faut pas compter sur la Constitution russe, violée à partir du moment où la police arrête en masse, sanctionne des messages critiques et interdit les manifestations. Vous verrez d’ailleurs souvent les russes descendre dans la rue avec leur constitution, en vain. Il ne faut pas compter non plus sur l’application de la loi et la justice.
Comme tous les chefs d’État, Vladimir Poutine met un point d’honneur à dire qu’il ne peut/veut pas influencer les décisions de justice. Au risque de se mettre dans des situations inconfortables (voir l’affaire Calvey, homme d’affaire poursuivi par la justice au grand dam du président russe).
L’affaire Golounov montre pour autant que quand le pouvoir se sent menacé, il n’a aucun mal à prendre des décisions de justice. Les exemples sont nombreux et à tous les niveaux. L’opposant Navalny, ses proches et ses militants en sont le meilleur exemple. Il faut assister à leurs jugements pour comprendre la folie de leurs affaires et l’importance de la dépendance des juges russes au pouvoir.
Certains soutiens étrangers du président russe aiment rappeler que ces manifestations sont illégales car non autorisées. L’argument est fallacieux car les russes n’ont d’autre choix que de manifester illégalement, tant les manifestations autorisées sont encadrées et généralement, interdites.
Quand l’autorisation est donnée, les manifestations ont généralement lieu sur le large boulevard Sakharov, à l’abri des regards. Les pancartes et drapeaux sont sélectionnés par la police, tous les manifestants sont fouillés, il faut manifester entre quatre barrières et la police décide elle-même du nombre de participants et de l’heure de début et de fin de ces rassemblements souvent boudés par une partie des militants.

 

 

 

Il faut donc comprendre que les russes ont en face d’eux une police directement dirigée par le Kremlin quand les gilets jaunes, eux, ont affaire à une police qui n’a pas les mêmes objectifs. Sans entrer dans les détails, il semble ressortir de ces derniers mois de manifestations que la police française est fatiguée, que le maintien l’ordre est inadapté aux manifestations des gilets jaunes avec, notamment, des armes qui n’ont rien à y faire et, il ne faut pas relativiser la chose, que le gouvernement a semblé tenter, à plusieurs reprises, de faire un usage politique du maintien de l’ordre. Résultat : échec. Les médias en ont parlé (pas possible en Russie), des enquêtes sont ouvertes (n’arrive quasiment jamais et ne mène à rien en Russie), la police des polices travaille (trop lentement et sur trop peu de cas, soit) sous la pression de la société (ça n’arrive pas en Russie) et l’avenir du maintien de l’ordre à la française est en débat, ce qui n’est pas près d’arriver en Russie… Je ne parle même pas des médias sur lesquels les gilets jaunes ont pris l’habitude de cracher alors qu’ils étaient sur-couvert par la presse à leur avantage. En Russie, les manifestations ne sont pas couvertes, elles n’existent donc pas pour les russes. Exemple : Le fameux opposant Alexeï Navalny ne doit être connu que d’environ 2% des russes entre Moscou et Saint-Pétersbourg…
Donc même si l’épisode « gilets jaunes » a fait apparaître de graves dysfonctionnements dans le maintien de l’ordre français, la comparaison avec la Russie n’a aucun sens car, et c’est l’essentiel, manifester est possible en France (démocratie), même lorsque les rassemblements ne sont pas déclarés. Les gilets jaunes ont, dans leur majorité, été blessés dans des moments de violence durant lesquels il n’y avait pas d’enjeux de défense d’une liberté de manifester ou de s’exprimer. A en écouter les gilets jaunes, il s’agissait surtout de défendre le droit à une « violence légitime » marque d’une certaine radicalisation qui, pour autant, peut légitimement porter à débat.
Pour « l’anecdote », les manifestations des gilets jaunes sont diffusées en boucle sur les chaînes russes, filmées par leurs relais de propagande à Paris (Russia Today en première ligne). Il s’agit pour eux de taper sur le président Macron mais surtout de donner l’image d’un occident décadent en proie aux émeutes urbaines. Un vrai cadeau pour la propagande du Kremlin.
Paul Gogo

Marche de l’opposition à Moscou

RFI

L’opposition russe était dans la rue, aujourd’hui, à Moscou. Plus de 10 500 personnes ont défilé, 6 000 selon la police, pour rendre hommage à l’ancien ministre et opposant, Boris Nemtsov, assassiné il y a quatre ans dans le centre de la capitale russe. Paul Gogo était dans le cortège.

Le rassemblement est devenu une habitude pour l’opposition russe depuis février 2015, date à laquelle l’ancien ministre et opposant Boris Nemtsov a été assassiné au pied de la place rouge. Fait notable, il s’agit d’un rare évènement d’opposition autorisé par les autorités russes. Dimanche après-midi, plus de 10 500 personnes ont pu défiler sur 1,5km, après avoir été fouillées par la police. Ilia Iachine, opposant et maire de quartier.

Micro 1
C’est une manifestation politique contre la politique de Poutine et pour une Russie libre et démocratique.
Nous voulons la libération des prisonniers politiques, que les enquêtes sur les assassinats politiques soient faites. Non seulement Nemtsov, mais tous les autres aussi. Nous voulons des élections justes dans tous les organes du pouvoir. 2/51

Son 2
Pour les manifestants, cette marche est l’occasion de défiler sans prendre le risque de se faire arrêter, tout en mettant la lumière sur les prisonniers politiques actuels. Anastasya Bourakova, jeune manifestante.

Micro 2
Je suis venue à la marche pour dénoncer les affaires choquantes, comme dans le cas de Boris Nemtsov, les commanditaires n’ont jamais été retrouvés. Je veux aussi parler des jeunes gens torturés par le pouvoir et des affaires criminelles fabriquées.

Son 3
L’ancien candidat à la présidentielle, Grigori Iablinski du parti Iabloko et l’opposant médiatique Alexeï Navalny étaient notamment présents dans le cortège.

Paul Gogo, Moscou, RFI

La Libre Belgique. La réforme des retraites inquiète les russes

Nous sommes tous contre”, lance Anna sur un ton catégorique. Dans la cour de son immeuble, dans la banlieue de Iaroslavl (300 km de Moscou), entamer une discussion sur la réforme des retraites annoncée il y a deux semaines par le Kremlin amène tous les voisins à y prendre part. Le 14 juin, c’est le Premier ministre Dmitri Medvedev qui a annoncé cette réforme controversée qu’il espérait noyer dans l’euphorie du Mondial de football. Au même moment, le président Poutine donnait le coup d’envoi au premier match de la Coupe du monde. Ces changements que le gouvernement russe souhaiterait mettre en place dès l’année prochaine prévoient un départ en retraite à 65 ans au lieu de 60 pour les hommes d’ici 2028 et un départ en retraite à 63 ans au lieu de 55 ans pour les femmes, d’ici 2034. La moyenne d’âge des hommes russes s’élevant à 66 ans, il leur faudrait désormais travailler jusqu’à la mort. Ce que la majorité de la population fait déjà. “On dit que les femmes sont en meilleure santé, mais de quoi parle-t-on?” interroge Anna. A moins d’un an de la retraite, elle craint de devoir trimer jusqu’à la fin de sa vie. “Je travaille dans une usine dans laquelle nous faisons du pain, je vais devoir mourir devant mon four à pain?” Cette femme de 62 ans travaille la semaine à l’usine et le week­end dans un supermarché. Elle gagne près de 20000 roubles par mois (environ 270 euros). Anna, comme ses voisines descendues dans la cour du vieil immeuble, s’attendent à recevoir environ 8000 roubles par mois de pension (108 euros). Avec 5000 roubles de loyer, il ne leur resterait plus que 3000 roubles pour manger, soit environ 40 euros.

Un acquis du communisme

Fixé en 1932, ce plancher des retraites n’avait jamais évolué depuis Staline. D’après l’institut FOM cité par le journal “Kommersant”, près de 80% des Russes seraient contre cette réforme. Ces derniers jours, la cote de popularité du président Poutine a chuté de 72% à 63%. En Russie, le Premier ministre est souvent utilisé comme un paratonnerre pour protéger le président. Vladimir Poutine s’est donc empressé de déclarer, via son porte-parole Dmitri Peskov, qu’il n’avait pas eu de rôle à jouer dans la conception de cette réforme. Difficile de dire si cette décision poussera les Russes à descendre massivement dans la rue, les rassemblements étant interdits durant la Coupe du monde. En outre, les syndicats des travailleurs, qui sont contre cette réforme, n’ont un pouvoir de mobilisation que très limité en Russie. Mais dans la population, la grogne est bien présente.

Dimanche, l’opposant Alexeï Navalny avait appelé la population à manifester dans une trentaine de villes non hôtes de la Coupe du monde. Quelques centaines, voire milliers de personnes se sont mobilisées dans chaque ville, dimanche après-midi, sans que la police n’intervienne. Marina, 37 ans, n’a pas participé au rassemblement de Iaroslavl. Pourtant, elle s’affirme totalement opposée à cette réforme. “Je suis cuisinière, je nourris 400 personnes chaque jour. En rentrant, j’ai mes deux enfants à nourrir. Avec une hypothèque contractée pour acheter notre appartement, je risque de toute façon de devoir travailler à vie; ce ne sont pas les 8 000 roubles de retraite qui vont me nourrir”, raconte-t-elle, alors qu’elle attend son troisième enfant. A un âge où les portes du travail se referment, la situation pourrait paradoxalement devenir plus compliquée pour les femmes que pour les hommes. En Russie encore plus qu’ailleurs, il devient particulièrement compliqué pour elles de trouver un travail après 45 ans. Cette réforme pourrait créer une situation dans laquelle de nombreuses femmes se trouveraient sans travail et sans pension. “Nous ne voulons pas de ces galères là. Si nous avons la possibilité de descendre dans la rue pour manifester, nous le ferons”, conclut Marina, rejointe par sa voisine Liouba.

Paul GOGO

Russie: l’opposant Alexeï Navalny et plus de 1500 manifestants arrêtés

Reportage pour RFI dans la manifestation d’opposition du 5 mai 2018 à Moscou.

Alexeï Navalny l’appelle « le vieillard peureux ». Vladimir Poutine sera investi lundi 7 mai pour un nouveau mandat à la tête de la Russie, et le président russe n’aime pas qu’on lui gâche la fête : des dizaines de manifestations organisées à travers tout le pays par son principal opposant Alexeï Navalny ont été réprimées. Il y a eu plus de 1 500 arrestations selon une organisation de défense des droits de l’homme.

Avec notre correspondant à Moscou,  Paul Gogo

« Poutine voleur » ou encore « A bas le Tsar ». Les Russes opposés à Vladimir Poutine ont été nombreux samedi à répondre à l’appel de son opposant principal Alexeï Navalny.

Des rassemblements ont été organisés dans toutes les grandes villes du pays, mais c’est dans la capitale que la situation a été la plus tendue. Car à deux jours de l’investiture du président russe, la police y est présente en nombre. Vladimir Poutine entamera lundi son quatrième mandat. Artëm, 20 ans, milite pour une alternance du pouvoir : « 20 ans au pouvoir ce n’est pas normal parce que le changement de pouvoir c’est la condition du progrès d’un pays. Sans alternance, il se passe ce qui arrive en ce moment dans notre pays, la corruption. Dans n’importe quel pays le pouvoir tourne, ici nous n’avons que Poutine, ce n’est pas normal. »

Le rendez-vous semble avoir mobilisé l’opposition russe dont certains slogans ont fait référence au récent mouvement de protestation arménien. « Comme en Arménie » en référence à la révolution pacifique que vit le pays depuis plusieurs semaines. À l’image de Glen, 21 ans, les manifestants sont nombreux à souhaiter un mouvement de ce type en Russie mais sans forcément y croire : « On verra comment ça va se passer après-demain, j’aimerais que l’on reste dormir sur cette place, que l’on fasse une nouvelle Arménie qui changera notre pays. De toute façon, Poutine a déjà été réélu, il restera encore six ans donc une révolution pacifique est aujourd’hui le seul moyen de faire changer les choses ». Quelques minutes plus tard, Glen sera arrêté comme plus de 1 600 autres manifestants à travers le pays samedi.

Chose rare en Russie, des projectiles ont été lancés sur la police très présente qui a répondu avec des gaz lacrymogènes pour empêcher le blocage d’une avenue. Rassemblés place Pouchkine, les militants ont également dû faire face à une centaine de partisans du président Poutine dont certains en sont venus aux mains. Des cosaques en costume traditionnel étaient également présents. Ils ont participé à l’arrestation d’Alexeï Navalny.

 

En Russie, la campagne pour une « grève des élections » de Navalny

Reportage publié dans la Libre Belgique

L’opposant à Vladimir Poutine a réuni ses soutiens dans les grandes villes du pays dimanche. Objectif, pousser la population à bouder l’élection présidentielle.

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Ce scrutin ne laisse que peu de place au suspens. Selon toutes vraisemblances, Vladimir Poutine sera réélu le 18 mars prochain. Alexeï Navalny n’a pas été autorisé par la commission électorale à se présenter, il souhaite maintenant troubler la réélection de Vladimir Poutine en s’attaquant au taux de participation, chiffre qui marque la légitimité d’une élection. Dimanche, ses partisans sont descendus dans les rues du pays pour appeler au boycott du scrutin. Une manifestation que les militants ont préparé toute la journée, samedi dans leur QG moscovite. « On sait que le Kremlin va dire qu’il n’y avait personne dans les rues demain mais on ne veut pas forcément prouver des choses à Poutine, on veut juste donner envie aux gens de faire bouger la situation. Certains ont baissé les bras quand Navalny s’est vu refuser sa participation à la présidentielle mais je ne compte pas mourir le 19 mars, c’est le moment ou jamais de montrer qu’on n’est pas d’accord avec eux » raconte Alexandra Sokolova, militante de 31 ans. « Ma mère gagne 10 500 roubles par mois (150 euros), c’est une existence pauvre alors quand nos députés nous disent qu’ils sont pauvres avec leurs 150 000 roubles (2150 euros), nous sommes choqués ».

Tracts cachés

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Les journées de manifestations sont parfois risquées pour les soutiens d’Alexeï Navalny. Dimanche matin, Sergei Boiko, coordinateur du QG du candidat à Moscou a vécu une frayeur. Des hommes habillés en noir l’ont attendu en bas de chez lui. Effrayé, il a couru jusqu’au QG poursuivi par ces hommes qui l’ont finalement jeté dans une voiture non identifiée. Ces hommes se sont avérés être des policiers, le militant a été retrouvé dans un commissariat. « à la veille de nos rassemblements, nous cachons nos tracts dans divers appartements de Moscou car la police a tendance à nous suivre pour nous les confisquer » explique Alexandra Sokolova. Dimanche, les tracts avaient visiblement atteint la place Pouchkine à Moscou, où plus de 3 000 personnes étaient rassemblées.

Petite retraite

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En route vers le rassemblement, Alexeï Navalny s’est violemment fait arrêter par la police, traîné par terre puis jeté dans un bus de la police. Il devrait être libéré ce lundi matin. Sur la place, la foule s’écrie « La Russie sans Poutine », « Nous sommes contre un monarque présidentiel ». Un homme déguisé en Vladimir Poutine, une couronne sur la tête se fait acclamer par les manifestants. « Marchons jusqu’au Kremlin » s’écrie la foule rassemblée sur l’avenue Tverskaïa. Les accès bloqués, ils doivent se contenter d’une marche, encadrés par des centaines de policiers anti-émeutes et représentants de la garde-nationale. Dans le cortège, Tamara, 80 ans se démarque des milliers de jeunes venus manifester, plus de 3 000 à Moscou. « Je soutiens totalement les jeunes, mon fils est au chômage depuis deux ans, je suis obligée de m’occuper de lui avec ma petite retraite, je suis fatiguée de cette situation, de ces milliardaires au pouvoir qui nous volent notre argent » lance-t-elle, bousculée par la foule dense contenue sur les trottoirs par des centaines de forces de police appuyées par la garde nationale russe. Plus de 240 personnes ont été arrêtées dimanche à travers le pays.

Paul GOGO

En Russie, Vladimir Poutine soigne sa réélection

Point sur la présidentielle russe pour Ouest-France

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Dans une campagne sans suspens ni débat, le maître du Kremlin brigue un quatrième mandat à la tête de la fédération de Russie

Moscou. De notre correspondant

« Un président fort pour une Russie forte », c’est ainsi que Vladimir Poutine, homme fort de la Russie depuis 1999 et candidat à un nouveau mandat de six ans, se présente devant les électeurs. Le 18 janvier, à deux mois pile du vote, le chef du Kremlin lançait sa campagne en plongeant dans les eaux d’un lac gelé pour célébrer la fête de l’Épiphanie. Cette campagne, il la veut la plus courte possible, se posant au-dessus des autres candidats (nationalistes, communistes, libéraux) qui débattront certes à la télévision, mais sans lui.

D’après un sondage de l’institut FOM, 66% des électeurs auraient l’intention de voter Poutine –un score proche de ses 63,2% de la présidentielle de 2012. Le Président est incontestablement populaire. Depuis quelques semaines, il entretient son image d’homme proche du peuple en organisant des déplacements symboliques à la rencontre d’ouvriers, de professeurs, de religieux. Le 3 février, il organisera son premier événement de campagne, en appelant un million de ses partisans à descendre le soutenir dans la rue.

Une opposition sur mesure

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Avant de se lancer dans cette morne campagne, le pouvoir a « organisé » l’opposition. Objectif : que l’élection ait la couleur d’un vote démocratique. Un objectif d’autant plus important à la veille d’accueillir la coupe du monde de football. Il a pour cela fallu contrôler les attaques du trouble-fête Alexeï Navalny, un an durant. Navalny, l’opposant le plus incisif, est finalement interdit de candidature en vertu d’une condamnation ancienne, pour une affaire montée de toutes pièces selon lui.

Depuis janvier 2017, Vladimir Poutine redirige les critiques contre la corruption vers son Premier ministre Medvedev, il calme les jeunes manifestants en les arrêtant, en les faisant expulser de leurs écoles pour s’être « révoltés » ou en envoyant la police chez leurs parents et s’attaque aux réseaux sociaux russes.

L’opposition touchée, le Kremlin a souhaité la diviser en permettant à Ksenia Sobtchak, une opposante populaire chez les jeunes (créditée de 2% des voix) de participer à la campagne. Déclarée candidate une semaine après avoir rencontré Poutine au Kremlin, elle a tous les attributs d’une candidate « autorisée ». Elle a accès aux médias nationaux, ouvre des bureaux à travers le pays sans en être empêchée et bénéficie d’une parole libre. Un véritable traitement de faveur en Russie.

Depuis le début de la campagne, Ksenia Sobtchak a prononcé le nom interdit de « Navalny » sur une télé nationale, déclaré que la Crimée est ukrainienne et s’est rendue, hier, en Tchétchénie pour défier l’autoritaire de cette république autonome, Ramzan Kadyrov.

Alors que Vladimir Poutine mène désormais une bataille contre l’abstention, dernier obstacle qui pourrait délégitimer sa réélection, l’opposition, battue d’avance, se projette déjà dans l’après-Poutine. Une transition dans un monde sans l’homme fort du Kremlin que l’on souhaite organiser, du Kremlin à l’opposition, sans révolution sanglante.

 

Navalny ou la stratégie de l’abstention

Reportage

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Préparation de manifestation au QG moscovite d’Alexeï Navalny

Dimanche matin, Sergei Boiko, coordinateur du QG d’Alexeï Navalny à Moscou, et sa compagne Kristina, chargée des relations avec la presse, sont sortis de chez eux, suivis par des hommes habillés en noir. Effrayés, ils ont couru jusqu’aux bureaux de Navalny. Les policiers ont attrapé Sergeï et l’ont jeté dans une voiture non identifiée.

Navalny, qui avait appelé à manifester dans une centaine de villes, a réussi à atteindre le point de rendez-vous sur une grande artère. Après avoir multiplié les selfies, il a été projeté à terre, puis emmené dans un commissariat. Plus de 240 personnes ont été arrêtées dans le pays.

« Monarque présidentiel »

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« Le Kremlin va dire qu’il n’y avait personne dans les rues. On ne veut pas forcément prouver des choses à Poutine. On veut juste donner envie aux gens de faire bouger la situation » explique Alexandra Sokolova. Cette militante de 31 ans est « choquée » par le maigre salaire de sa mère (10 500 roubles soit 150 €), quand les députés gagnent quinze fois plus et « se disent pauvres ». Elle ne cache pas un certain désarroi dans l’opposition : « Certains ont baissé les bras quand Navalny s’est vu privé de candidature à la présidentielle. Mais c’est le moment ou jamais de montrer qu’on n’est pas d’accord. »

Dimanche, environ 3 000 personnes ont manifesté à Moscou, 1 500 à Saint-Petersbourg, contre une élection qualifiée de « supercherie » par Navalny. L’avocat pourfendeur de la corruption appelle à boycotter les urnes le 18 mars.

Tamara, 80 ans, dénote au milieu d’une foule très jeune. « Mon fils est au chômage depuis deux ans, je suis obligée de m’occuper de lui avec ma petite retraite, je suis fatiguée de cette situation, de ces milliardaires au pouvoir qui nous volent » lance-t-elle, ballottée par le cortège dense, contenu sur les trottoirs par des centaines de policiers, appuyés par la garde nationale. « Je suis contre un monarque présidentiel » scandent les manifestants, régulièrement coupés par les haut-parleurs de la police leur demandant de quitter la zone.

En fin d’après-midi, la candidate d’opposition Ksenia Sobtchak a pu rencontrer Navalny au commissariat. Il a été relâché dans la nuit.

à Moscou, Paul Gogo

Navalny, l’homme dont Vladimir Poutine ne peut prononcer le nom

Article à retrouver sur Libération

Ces derniers jours, les perquisitions et les arrestations de militants soutenant l’opposant russe se sont multipliées. L’objectif : faire disparaître les liasses de tracts prévues pour les actions du week-end destinées à fêter la sortie de prison de Navalny.

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Les jeunes militants soutenant Alexei Navalny poursuivaient leurs actions ce dimanche midi devant les stations de métro de Moscou comme dans de nombreuses villes en région. Ce week-end, l’opposant et candidat à la présidentielle de 2018 russe a appelé ses partisans à descendre dans la rue pour faire campagne en son nom dans les lieux publics, une manière de célébrer sa sortie de prison. Navalny a été libéré vendredi, après vingt-cinq jours de détention, après avoir été arrêté le 12 juin, accusé d’avoir organisé un rassemblement illégal dans le centre-ville de Moscou.

Les brochures distribuées par les militants s’attaquent au Premier ministre, Dmitri Medvedev, que Navalny a érigé en symbole de la corruption au plus haut niveau du pouvoir russe. Depuis vendredi, les activistes font face à une répression sans précédent. Des responsables des bureaux de campagne de l’opposant en région ont été arrêtés par la police, et même tabassés par des inconnus dans l’ensemble du pays. A Moscou, Alexander Tourovski, 25 ans, a été roué de coups par trois policiers en civil cagoulés, alors qu’il dormait dans le QG moscovite. Les agents se sont débarrassés des tracts entreposés dans le local et ont définitivement fermé le bureau. Le jeune militant, enfermé pendant douze heures sans eau ni téléphone, a été condamné à 500 roubles d’amende (7 euros) et diagnostiqué d’un léger traumatisme crânien à l’issue de sa garde à vue.

Déjà 130 arrestations

Ces derniers jours, les fermetures de QG pro-Navalny et les perquisitions se sont multipliées. L’objectif : faire disparaître les liasses de tracts prévus pour l’action de ce week-end. A Novossibirsk, en Sibérie, des militants ont du évacuer le matériel de campagne par la fenêtre de leur local pendant que la police investissait les lieux. Samedi, à Moscou, un homme a été arrêté parce qu’il transportait un ballon à l’effigie d’Alexeï Navalny dans le coffre de sa voiture. 130 personnes, dont onze mineurs, ont déjà été arrêtés ce week-end en Russie. Dimanche midi, des militants, souvent très jeunes, ont repris position devant les entrées du métro. La police pourrait procéder à de nouvelles arrestations.

La police semble prise d’une panique irrationnelle lorsque les rassemblements ont un lien avec Alexeï Navalny. C’est la première fois en Russie que des militants sont arrêtés en masse pour avoir distribué des tracts politiques. Cette peur paraît d’autant moins compréhensible que le candidat a récemment été déclaré inéligible par la Commission électorale centrale. Il ne pourra donc normalement pas participer à la présidentielle de 2018, à laquelle Vladimir Poutine ne s’est d’ailleurs pour le moment pas déclaré candidat.

Le titulaire du titre d’opposant principal au président russe semble remporter un succès inattendu chez les jeunes générations, imperméables à la propagande du Kremlin. Alexeï Navalny, interdit de média nationaux, reste très peu connu en dehors de Moscou. «Je ne sais pas si le Kremlin est en train de radicaliser ses actions contre Alexeï Navalny, mais je ne pense pas que la campagne présidentielle que Navalny mène ait pour but de remporter l’élection. Son objectif est de montrer qu’il est le seul opposant en Russie. Il a quasiment achevé son objectif», a estimé le politologue Stanislav Belkovsky, interrogé ce week-end sur la radio Écho de Moscou.

Vladimir Poutine, lui, ignore constamment le statut d’opposant de Navalny. Le président russe s’est même lancé dans un «ni-oui ni-non» avec pour objectif de ne jamais citer le nom de son opposant. Interrogé sur la question à Hambourg à l’occasion du G20, Vladimir Poutine a brièvement déclaré à propos de Navalny, une nouvelle fois sans le citer : «Je pense qu’on ne peut discuter qu’avec des gens qui proposent des choses constructives. Mais quand l’objectif n’est que d’attirer l’attention, cela n’encourage pas au dialogue.»

Correspondant à Moscou, Paul Gogo

Russie : Navalny, l’opposition en Etat critique

A nouveau arrêté lundi, le blogueur espère pouvoir se présenter aux élections l’an prochain mais doit faire face aux intimidations des services russes… Sans pour autant décourager ses militants.

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«Tous les gens qui en ont le droit et qui passeront les procédures prévues par la loi pourront participer aux élections législatives comme à la présidentielle» en 2018, a déclaré Vladimir Poutine lors de son récent passage à Paris. Dans les faits, le président russe mène la vie dure à l’opposition, particulièrement à son opposant principal, Alexeï Navalny, interpellé ce lundi.

A 41 ans, l’avocat et blogueur anticorruption moscovite rêve de détrôner l’inoxydable leader russe. Mais sa route vers le Kremlin est semée d’embûches. Depuis plusieurs semaines, ses équipes doivent batailler pour ouvrir des locaux de campagne en région. A Vologda, Volgograd, Vladimir, ou encore Krasnodar, les propriétaires ont plusieurs fois annulé au dernier moment les contrats de location. A Vladivostok, les autorités ont décidé de changer les serrures en attendant le renoncement du propriétaire. Quant à Moscou, il a fallu s’y prendre à deux fois pour inaugurer le QG central. Pour Leonid Volkov, le directeur du bureau moscovite désormais opérationnel, «le FSB [les services de sécurité russes, ndlr] y est pour quelque chose, ils appellent tous nos propriétaires pour les effrayer». Le 31 mai, le fils du propriétaire du bureau loué à Irkoutsk, en Sibérie orientale, a été agressé par sept personnes, à coups de batte de base-ball. «Ces gens avaient déjà parlé au fils du propriétaire précédent. Il semble que cette fois-ci ils aient décidé de ne pas parler, mais de directement frapper», a commenté Sergei Bespalov, responsable de la campagne dans la région. Mais nonobstant ces petits désagréments, le candidat à la présidentielle continue d’attirer des soutiens et d’ancrer sa campagne.

«Terrorisez nos opposants, vous vous en sortirez»

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Le site Navalny2018 annonce plus de 113 000 volontaires inscrits et 44 bureaux ouverts en Russie. Si l’opposant parvient malgré tout à se présenter, ce sera une candidature inédite dans la Russie de Poutine. Pour l’heure, Navalny est l’unique nouveau visage de la scène politique russe, et surtout le seul homme politique «hors système».

A mesure que le début de la campagne présidentielle approche, les défenseurs du Kremlin, officiels et officieux, multiplient les actes d’intimidation contre les voix dissidentes. En avril, plusieurs journalistes, militants des droits de l’homme et opposants ont été attaqués à la «zelionka», un antiseptique vert particulièrement tachant. Alexeï Navalny a failli y perdre un œil, sauvé in extremis par des médecins espagnols. Quelques jours après l’attaque de leur candidat, lassés de voir que la police n’enquêtait jamais, ses soutiens ont fait leurs propres recherches et identifié le responsable. Il s’agit d’Alexander Petrunko, un militant «ultrapatriote» proche du Kremlin qui n’a pas été inquiété par la police, alors qu’il n’avait pas manqué de se vanter de son geste sur Internet. «Les gens de ces groupes ultraloyalistes reçoivent un message clair : « terrorisez nos opposants, vous vous en sortirez sans soucis »», a résumé sur Twitter le journaliste du Moscow Times, Alexeï Kovalev.

Sur les rives de la Moskova, au nouveau QG de Navalny, «on touche du bois pour qu’il n’y ait pas de provocations», lance Elena, 30 ans, chargée de la communication sur le Web. De bois, il n’y a que quelques planches, quelques bureaux Ikea montés à la va-vite. Ces QG ne restent jamais ouverts très longtemps. En attendant, les recrues venues s’inscrire et prendre du matériel de campagne, défilent, toutes très jeunes. «Nos vieux sont au travail, s’exclame la militante. Mais c’est vrai que nous avons beaucoup de jeunes, ils ne regardent pas la télévision, ils s’informent beaucoup sur Internet, ils ne connaissent pas la propagande du Kremlin, ils n’ont connu que Poutine au pouvoir.» Ces jeunes militants, parfois adolescents, se sont déplacés en masse lors de la grande manifestation lancée par Navalny le 26 mars. Interpellés sur place ou retrouvés plus tard sur les réseaux sociaux par la police, ils ont hanté les tribunaux de Moscou pendant des semaines. La plupart s’en sont tirés avec de petites amendes ou quelques jours de détention (pour les habitués et responsables du mouvement). Mais deux personnes ont été condamnées à des peines de prison fermes, et quatre autres attendent une sentence similaire.

«L’important, ce sont les photos que fait Navalny quand il ouvre ses nouveaux locaux en région, explique Alexeï Venediktov, rédacteur en chef de la radio indépendante l’Echo de Moscou. Il y a toujours des jeunes autour de lui. Ils s’engagent comme volontaires dans les QG, ils prennent des risques, ils sont filmés et fichés par le ministère de l’Intérieur mais ils n’ont pas peur. […] Je sais que ça inquiète le Kremlin.» Sur Internet, on ne compte plus les témoignages d’étudiants ayant eu affaire à des professeurs hostiles à la contestation, profitant des cours pour donner des leçons de patriotisme et vanter les mérites de la corruption, ou pour insulter les participants aux manifestations. Dans la même veine, la chanteuse pop Alisa Vox a mis en ligne un clip dans lequel elle donne la fessée aux jeunes manifestants. «La liberté, l’argent, les filles, tu auras tout, même le pouvoir. Alors gamin, reste en dehors de la politique et lave-toi le cerveau», chante-t-elle en tenue légère, suggérant aux «enfants» d’aller en cours plutôt que de descendre dans la rue. Des journalistes russes de Meduza ont enquêté : elle aurait été payée 35 000 dollars (environ 31 000 euros) par le Kremlin pour réaliser cette œuvre.

«Nous devons partir du principe que tout ira bien»

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A Moscou, les soutiens du militant anticorruption ne sont pas sereins. Cité et condamné dans plusieurs affaires judiciaires, leur candidat pourrait tout simplement ne pas être autorisé à se présenter au scrutin présidentiel. En 2014, Alexeï et son frère Oleg Navalny sont accusés d’avoir escroqué une filiale d’Yves Rocher. Le premier est condamné à trois ans et demi avec sursis, le second à la même durée, mais de prison ferme. En février, c’est de cinq ans de prison avec sursis que le blogueur a écopé, jugé par un tribunal de Kirov (est de Moscou) dans une affaire de détournement de fonds. D’après la loi électorale, le candidat à la présidentielle doit avoir purgé sa peine pour se présenter ; en vertu de la Constitution, il doit seulement ne pas être incarcéré. C’est ce flou juridique qui permettra à la justice de rendre Alexeï Navalny inéligible si et quand bon lui semble. «Nous sommes conscients que la justice l’empêchera peut-être de se présenter, mais nous devons partir du principe que tout ira bien. Cela fait trois ans que je travaille pour lui, je commence à avoir l’habitude de travailler au rythme de ses procès», s’amuse Elena.

Ne lui laissant aucun répit, la justice exige désormais que Navalny retire d’Internet son enquête accusant le Premier ministre, Dmitri Medvedev, de corruption. Le documentaire, visionné près de 22 millions de fois depuis sa mise en ligne, attaque frontalement le chef du gouvernement. Un succès sans précédent en Russie qui a d’autant plus agacé le Kremlin que les rassemblements qui ont suivi ont réuni des milliers de manifestants dans le pays. Aucun autre opposant à Poutine ne jouit de la popularité de Navalny. Y compris Mikhaïl Khodorkovski, oligarque pétrolier déchu, qui tente d’organiser depuis Londres un mouvement de mobilisation, via son organisation Russie ouverte, avec le mot d’ordre «Ras-le-bol». L’objectif est d’empêcher que Poutine ne se représente au printemps pour un quatrième mandat. Mais ce dernier mobilise moins largement que Medvedev, car dans l’opinion publique, la corruption glisse sur le Président pour atterrir sur le Premier ministre.

Navalny l’a bien compris. Comme le fait que le pouvoir continuera de lui mettre des bâtons dans les roues pour sa campagne, mais aussi pour l’organisation de la contestation. La manifestation de lundi s’est soldée par des centaines d’arrestations à travers tout le pays. Le même jour, un décret signé personnellement par Vladimir Poutine est entré en vigueur : les rassemblements non autorisés par le FSB, s’ils ne sont pas liés à la Coupe des confédérations (du 17 juin au 2 juillet) seront interdits jusqu’en juillet. Voilà qui tombe à pic.

 

Paul GOGO pour Libération