La Libre Belgique.
Bas dans les sondages et en quête d’un contrôle toujours plus fort de la mer noire, Vladimir Poutine prend le risque de l’intransigeance.
L’image aurait été symbolique. Un navire de guerre ukrainien passant sous le contesté pont de Crimée, construit par la Russie en dépit du droit international à l’issue de l’annexion de la Crimée. Mais le risque militaire et symbolique semblait trop important pour le Kremlin. En tentant de rejoindre la mer d’Azov en passant par le détroit de Kertch, la marine ukrainienne s’est attaquée à un tabou exploité par la Russie depuis le début de la crise qui oppose les deux pays. Un accord signé en 2003 par les deux pays donnent des droits équivalents à la Russie et l’Ukraine sur ces eaux stratégiques. Mais dans les faits, la Russie a bel et bien pris le contrôle de la région. L’image d’un bateau poussé sous l’arche du pont de Crimée pour bloquer la circulation du détroit dimanche est saisissante. La Russie a le pouvoir physique de décider qui entre et qui sort de la mer d’Azov. Un enjeu économique, militaire mais également de communication. Intransigeant sur le sujet, Vladimir Poutine ne prendra jamais le risque de décevoir la population russe, exaltée au lendemain de l’annexion, en la laissant croire qu’il puisse y avoir la moindre faille de sécurité à proximité de la péninsule annexée.
Lundi soir, la Russie détenait toujours les 23 militaires ukrainiens et leurs trois navires au sein du port de Kertch, en Crimée. Porte-parole du Kremlin, Dmitry Peskov dénonçait lundi une « provocation dangereuse de la part de l’Ukraine » et concédait des coups de feu tirés sur les navires ukrainiens par les forces spéciales russes : « Nous n’avions pas le choix pour empêcher une violation de notre frontière ».
Risque de sanctions
Le conflit couvait depuis plusieurs mois. Les deux pays n’ont cessé d’augmenter la militarisation de leurs ports situés en mer d’Azov durant l’année passée. En octobre dernier, exaspérée par l’attitude de la Russie à l’égard des bateaux ukrainiens et européens dans la mer d’Azov, l’Union Européenne a menacé la Russie de nouvelles sanctions en cas de conflit dans la zone. En vain. Ces derniers mois, prés de 200 navires européens et ukrainiens auraient été contrôlés et parfois bloqués pendant plusieurs jours par les autorités russes lors de leur passage par le détroit de Kertch.
« Si nos gardes-frontière réalisent autant de contrôles, c’est parce que les leaders de l’auto proclamée assemblée des tatars de Crimée et les groupes nationalistes ukrainiens ainsi qu’un certain nombre de politiciens ukrainiens ont appelé au terrorisme et à la destruction du pont de Crimée » affirmait au journal Kommersant, Grigori Karasin secrétaire d’état du ministère des affaires étrangères russe vendredi dernier.
En refusant le passage des navires militaires et commerciaux ukrainiens sous le pont de Crimée, la Russie teste la capacité de réaction de l’Union-Européenne tout en prenant le risque de subir de nouvelles sanctions. Comme en Ukraine, l’explication de cette manœuvre risquée se trouve très certainement dans la politique nationale. Depuis l’été dernier et l’annonce de l’impopulaire réforme des retraites, le taux de popularité de Vladimir Poutine subit une dégringolade inédite. Le président russe n’aurait plus que le soutien de 45% de la population contre 64% en mai dernier. Cette impopularité n’avait pas été aussi importante depuis… la veille de l’annexion de la Crimée. L’introduction de la loi martiale en Ukraine joue le jeu du Kremlin. Les médias russes ont repris, lundi, un ton proche de celui de 2014 destiné à décrédibiliser le pouvoir ukrainien et à jouer la carte de l’Ouest russophobe. Dans la suite de son interview au journal Kommersant, Grigori Karasin déclarait « le sujet de la mer d’Azov a été intentionnellement inséré dans l’espace médiatique. Le régime de Kiev a créé un nouveau thème anti-russe avec ses mentors étrangers (…) le seul objectif de l’ouest est de pouvoir durcir les sanctions contre la Russie ».