Libération. Corruption en Russie : la preuve par le feu

Reportage diffusé dans Libération le 30 mars 2018.

Après l’incendie qui a fait 64 morts, dont 41 enfants, dans un centre commercial dimanche dernier, l’enquête pointe de nombreuses négligences à tous les niveaux, révélatrices de l’incurie publique.

 

«Mon petit frère, Vadim, 11 ans, était sur la liste des disparus après l’incendie», raconte Andreï Tchmykhalov, 19 ans, en retenant ses larmes. D’après les premiers éléments de l’enquête, c’est un court-circuit qui a déclenché dimanche dernier l’incendie dans le centre commercial «Cerise d’hiver», dans lequel ont péri au moins 64 personnes, dont 41 enfants, pris au piège dans des salles de cinéma. Le feu a pris extrêmement vite, les alarmes incendie n’ont pas fonctionné, les sorties de secours étaient condamnées… Andreï, comme toute la ville endeuillée, attend les résultats de l’enquête. «Une chose est certaine, les portes des salles de cinéma étaient fermées à clé pendant le film, ils n’avaient aucune chance de s’enfuir», déplore-t-il. Les habitants de Kemerovo, une ville industrielle de Sibérie à 3 000 km de Moscou, défilent sans interruption depuis déjà cinq jours pour déposer fleurs et peluches sur un mémorial improvisé. Quelques étudiants leur tendent mouchoirs et verres de thé.

«Les employés se plaignent souvent que des gens entrent dans les salles sans payer après le début des séances. Il peut leur arriver de fermer les portes à clé pour éviter les resquilleurs», affirme Svetlana, animatrice dans le centre commercial. A l’irresponsabilité flagrante de certains employés se serait ajoutée l’impuissance des pompiers. Plusieurs familles de victimes ont porté plainte contre les secouristes, et les témoignages sont accablants. «Ma fille était enfermée dans le cinéma, les pompiers m’ont empêchée d’accéder à la salle. Ils n’ont pas voulu me croire quand je leur ai dit qu’il y avait plein d’enfants à l’intérieur. J’ai mis mon téléphone en haut-parleur, ma fille me disait qu’elle était en train de mourir, ce sont ses derniers mots», racontait une mère de famille à la chaîne de télévision Dojd. Quelques minutes après le début de l’incendie, les pompiers sont effectivement arrivés sur place, mais sans masques à oxygène. Ils n’ont pas tenté de sauver les enfants pris au piège, racontent plusieurs témoins, dénonçant l’absence d’un hélicoptère qui aurait pu arroser le toit, qui s’est finalement effondré sur le cinéma. Chaque nouvelle tragédie rappelle que le sous-équipement des casernes et le manque de moyens des secouristes ne sont pas une nouveauté en Russie.

«Indéboulonnable»

L’incendie de Kemerovo n’est pas un banal fait divers. En témoigne la vague d’indignation qui s’est abattue sur différentes villes de Russie. A Moscou et Saint-Pétersbourg, plusieurs milliers de personnes ont participé à des actions de commémorations spontanées, et plusieurs gouverneurs n’avaient pas attendu le Kremlin pour déclarer le deuil officiel. Sur les réseaux sociaux, pour un grand nombre de Russes, la tragédie illustre des dysfonctionnements profonds dont le pays est malade. C’est la corruption des autorités locales et des services publics qui ont tué. Dans l’œil du cyclone, Aman Touleev, 73 ans, gouverneur depuis 1997 de cette région qu’il a transformée en fief et qu’il dirige d’une main de fer. «Vous sentez cette odeur qui envahit la ville ? C’est de l’azote. L’usine locale s’est arrangée avec la mairie pour pouvoir dégager ses produits toxiques à la tombée de la nuit. La corruption est partout ici», explique Glen, 21 ans. Depuis dimanche dernier, cet étudiant photographie le deuil. Mardi, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées devant l’administration régionale pour demander la démission du gouverneur. Mais le responsable politique et ses sbires n’ont répondu que par le mépris et la maladresse, n’ayant pas goûté certains slogans politisés prononcés sur la grande place de Kemerovo par des habitants en colère. Rapidement, il a été insinué que ces réunions de citoyens indignés ressemblaient à des provocations fomentées par l’opposition. Ce même message a été véhiculé par les chaînes de télévision fédérales, qui n’ont pas consacré de sujets à la catastrophe avant lundi matin.

Effrayé à l’idée de se faire remarquer par Moscou, Touleev a qualifié ses administrés endeuillés de «chahuteurs» estimant que des gens qui demandaient sa démission ne pouvaient être que des provocateurs venus de l’extérieur. Puis il a fermé la grande place du centre-ville en y alignant des dizaines de policiers antiémeute. Il s’est excusé de la catastrophe auprès de Vladimir Poutine, sans jamais prononcer le moindre mot de compassion à l’égard des victimes. Quant au président russe, il aura attendu plus de trente-six heures avant de se rendre sur place et de décréter une journée de deuil national. Son passage éclair à Kemerovo n’a pas convaincu la population qu’il a soigneusement évitée, préférant une réunion privée avec les dirigeants locaux. Comme pour acheter la paix sociale, l’Etat a versé, en urgence, 5 millions de roubles d’indemnisation par victime, soit près de 71 000 euros.

Après l'incendie qui a couté la vie à 64 personnes, les habitants de la ville de Kemerovo en Sibérie sont venus rendre hommage aux disparus en apportant fleurs et peluches à l'angle de la rue prospekt Lenina ou se trouve le centre commercial.
COMMANDE N° 2018- 0410

Les hommages aux disparus, à Kemerovo, mercredi. (Photo Olivier Sarrazin. Hans Lucas pour Libération)

Ce n’est pas la première fois qu’Aman Touleev fait face à la critique après des catastrophes mortelles. En 2009, 91 mineurs ont péri dans l’explosion d’une mine. La corruption des élus locaux avait déjà été pointée du doigt, la colère étouffée. Touleev n’a pas été démis.

Cette fois encore, le chef de cette région qui a voté massivement pour le président russe le 18 mars semble conserver le soutien du Kremlin. Poutine ne souhaite pas pour le moment s’en séparer et «prendre le risque d’agir sous le coup de l’émotion»,tout en promettant de trouver et punir les coupables. Certes, les responsables du centre commercial ont été interpellés, ainsi que le gardien qui aurait éteint l’alarme et quelques gradés intermédiaires chez les secouristes. Mais, comme d’habitude, il ne s’agit que de boucs émissaires.

«Touleev contrôle absolument tout, les institutions comme l’économie, explique Nikolaï Petrov, politologue à la Haute Ecole d’économie de Moscou. Ce qui lui permet, entre autres, de délivrer de très bons résultats à Poutine à chaque élection et de gérer ce genre de protestations sans jamais craindre pour son fauteuil. Pour cela, il s’appuie sur la police et les médias locaux qu’il contrôle aussi. Ce système le rend indéboulonnable. Peut-être que cette fois-ci est celle de trop. Vladimir Poutine va sûrement le remplacer après son inauguration. Mais pas plus tôt, il ne faudrait pas que la rue croit qu’elle a pu exercer une pression sur le Kremlin.»

L’enquête, qui ne fait que commencer, pointe déjà vers une complicité meurtrière des autorités. En 2013, pour ouvrir son complexe au plus vite, la directrice du centre commercial aurait profité d’un arrangement entre amis. L’administration régionale a donné l’autorisation de mettre en exploitation son entreprise, malgré les manques constatés dans la sécurité anti-incendie lors d’une visite d’inspection du ministère des Situations d’urgence. Graisser la pâte des inspecteurs est une pratique courante en Russie, moins coûteuse qu’une mise aux normes. Les autorités ont également accepté d’enregistrer l’établissement comme une petite entreprise, statut qui lui permet d’éviter des contrôles trop réguliers.

«Éviter les vagues»

Devant le mémorial improvisé, une grand-mère essuie ses larmes. «Nous sommes nombreux à avoir cru à un attentat. Ce n’est finalement qu’un accident dû aux négligences de nos dirigeants, c’est presque pire», chuchote-t-elle. «Le flou sur les faits, sur le nombre de victimes, les nombreuses rumeurs, le secret de l’enquête, tout cela vient du fait que le Kremlin souhaite que cette affaire soit la moins médiatique possible. Leur priorité, ce ne sont pas les victimes. Il faut éviter les vagues, la contestation doit rester locale, les mouvements de colère doivent être contrôlés», explique Ekaterina Gordon, journaliste et candidate à la dernière présidentielle, venue enquêter sur place. Vendredi, les pompiers ont quitté les lieux et l’école réquisitionnée pour accueillir les victimes a fermé ses portes. Le rassemblement prévu ce samedi a pris l’eau. Les fonctionnaires locaux peuvent dormir sur leurs deux oreilles, la douleur des habitants a pris le pas sur la colère. Jusqu’à la prochaine catastrophe

Paul GOGO, envoyé spécial pour Libération

Opinion internationale : « Ukraine, la politique du balayage sous le tapis »

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Arseni Iatseniouk au parlement, le jour de sa démission de son poste de Premier ministre. Photo : Paul Gogo

Jeudi 14 avril, le Parlement a voté la destitution du Premier ministre Arseni Iatseniouk, une destitution réclamée par de nombreux Ukrainiens depuis plusieurs mois et qui faisait l’objet de rumeurs tous les quatre matins.

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Ukraine. Sur le front abandonné

La semaine dernière, l’ONU a annoncé que le conflit ukrainien avait dépassé les 9000 morts, sur le front, les escarmouches sont quotidiennes.

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Dans la cour d’une école de la ville de Hirske, dans la région de Lougansk de l’Est Ukrainien, des enfants improvisent une bataille de boules de neige. « Je suis la garde nationale, je vais te bombarder ! » lance un adolescent à ses amis prêts à répliquer. Les bombardements ont quitté la ville mais le traumatisme est toujours présent dans l’esprit de ces enfants dont certains sont ici en internat et retournent le week-end dans leur famille, côté séparatiste. Dans le froid de décembre, les fumées s’échappant de la mine de la ville, envahissent les rues de leurs effluves « métalliques ». « La mine fonctionne à plein régime mais nous sommes obligés de mélanger le charbon avec du sable pour gagner en poids et ainsi, pouvoir payer tout le monde » raconte Alexander, employé de la mine. Ce rare militant ukrainien en ville ne cache pas sa colère contre le gouvernement, « c’est comme si nous n’existions plus, nous n’avons plus de conseil municipal car nous sommes trop prés du front, le pouvoir politique a été délégué à la ville voisine de Popasna. Donc nous n’avons pas eu le droit de participer aux dernières élections locales. Ceux qui brûlaient les drapeaux ukrainiens de nos bâtiments l’année dernière sont toujours dans nos administrations. Notre police a changé de nom mais les agents sont toujours les mêmes, corrompus ».

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Le village est régulièrement traversé par les véhicules militaires qui se rendent sur le front. Les petites échoppes de la ville représentent une dernière chance pour y ramener des cigarettes. À la sortie de la ville, les dernières tranchées ukrainiennes séparées du camp adverse par une veille route cabossée. À sa gauche, dans le talus, les tranchées et bunkers ukrainiens enterrés. À droite, un no man’s land blanchi par la neige, menant aux positions séparatistes. Des kilomètres de tranchées, des bunkers faits de bois et de métal sur des centaines de mètres quotidiennement consolidés à l’approche des grands froids. Le cessez-le-feu est quasiment appliqué, mais des tirs sporadiques sont encore constatés quotidiennement. Un soldat tend des jumelles, « nous voyons les drapeaux séparatistes d’ici ». Un mannequin est installé contre un mur de sable, sa tête casquée dépasse le mur pour attirer les tirs ennemis. « Les snipers travaillent quotidiennement, les tirs de lance-mines sont aussi courant » affirme-t-il, témoignant d’un quotidien éprouvant. Plus de 9000 personnes ont été tuées depuis le début du conflit.

Textes et photos : Paul Gogo

[Ouest-France] « En Ukraine, le parlement n’est pas trés gay »

Paru dans Ouest-France le 11/11/2015

Il rechigne à adopter des réformes réclamées par l’Europe, dont la fin des discriminations envers les homosexuels.
Photo Paul Gogo
Photo Paul Gogo

Jeudi dernier, le Parlement ukrainien devait voter un paquet de douze lois exigées par l’Union européenne, en préalable à une libéralisation du régime des visas. Voyager dans l’espace Schengen sans visa, se rapprocher de l’Europe, c’est l’un des rêves de la « génération Maidan », cette jeunesse qui s’est soulevée contre l’ancien pouvoir pro-russe il y a bientôt deux ans.

Mais deux seulement de ces lois ont été adoptées, ce qui déclenche la colère des anciens militants de Maidan. Hier, ils étaient près de quatre cents manifestants réunis devant le Parlement, pour exprimer leur mécontentement.

En apparence, la protection des minorités, qu’une des lois devait inscrire dans le Code du travail, provoque le blocage. Dans un pays où l’homosexualité est taboue, le texte a semble-t-il refroidi les députés …

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[Décalage Diplo] « Dans le Donbass, tous perdants ? »

à lire sur Décalage Diplo

KIEV. Par Paul Gogo. Dans l’Est de l’Ukraine, oubliés par la Russie, les séparatistes n’ont autre choix que de s’imaginer un futur lié à l’Ukraine.

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Igor Plotnitski, président de la république autoproclamée de Lugansk (LNR) et Alexandr Zakharchenko, président de la république autoproclamée de Donetsk (DNR). Conférence de presse, Donetsk, 2 février 2015. crédit : Paul Gogo.
Depuis le début du conflit, les séparatistes ont eu à avaler de nombreuses couleuvres. On a tendance à l’oublier, mais le projet politique initial des séparatistes pro-russes du Donbass était de recréer la « Nouvelle Russie » où « Novorossiya ». Si la zone séparatiste actuelle est encore dirigée par d’anciens militants de la nouvelle Russie, le projet, lui, est tombé à l’eau, il y a quelques mois, au cœur de la guerre. Et pour cause, les séparatistes ont rapidement compris qu’ils devaient revoir leurs ambitions à la baisse quand ils ont réalisé qu’aucune attaque de grande ampleur ne pouvait se faire sans l’aval et l’aide de l’armée russe fasse à une armée ukrainienne faible mais de plus en plus organisée.

C’est lors de l’été 2014, quand l’armée ukrainienne qui reprenait rapidement du terrain et a été violemment repoussée par les séparatistes aidés par l’armée russe, que les généraux ukrainiens ont compris que chaque attaque entraînait une réplique russe. Le risque donc de faire un pas en avant, repoussé de deux en arrière. Depuis, excepté les batailles d’Ilovaïsk et de Debalstevo, points stratégiques qui devaient appartenir à un camp, les seules attaques séparatistes relevées correspondaient à une réponse d’attaques ukrainiennes (Shyrokine) où à un coup de pression Russe à la veille d’une rencontre internationale (Marinka).

Des soldats séparatistes dépendants 
Pour le reste, les déclarations des séparatistes n’étaient que propagande et coups de pression. Ils ont longtemps clamé qu’ils prendraient la ville portuaire de Marioupol (sud de Donetsk). La Russie n’en voulait pas et officieusement, cela n’arrangeait pas vraiment les affaires des séparatistes. Car cette ville ne se prend pas avec des tanks et des bombes. Les clés sont à négocier avec Rinat Ahmetov, toujours et plus que jamais, encore aujourd’hui, le roi du Donbass. Lui, a toujours tenu à garder ses usines en Ukraine. Il nourrit de nombreux habitants du Donbass avec son aide humanitaire et participe à la naissance d’une « économie séparatiste » en s’approvisionnant en zone prorusse avec les transactions financières qui vont avec.

La prise de villes comme Kharkiv ou Odessa sont également rapidement apparues totalement irréalistes. Les séparatistes n’ont quasiment jamais eu les moyens de leurs ambitions. De facto, le projet de Novorossyia où d’une quelconque conquête de grande ampleur sont donc tombés à l’eau. D’autant plus que ce projet défendu par des séparatistes anti-impérialistes d’extrême-droite n’a jamais reçu que peu d’écho dans la société civile du Donbass.

Le nettoyage russe
Puis, il y a eu le ménage russe, apparu très tôt dans le conflit mais qui prend de l’ampleur depuis quelques mois. La Russie n’a jamais voulu de Novorossiya, pas plus d’une intégration du Donbass en Russie (contrairement à ce que la propagande séparatiste a longtemps fait croire à la population qui déchante désormais). Alors rapidement, les agents russes présents dans le Donbass ont lancé des opérations de nettoyage dans les instances militaires et politiques séparatistes. D’abord dans les bataillons pour calmer les têtes brûlées qui prenaient trop de liberté avec les ordres et abusaient de la corruption, puis dans les ministères pour se séparer de ceux qui ne souhaitaient pas respecter les demandes du Kremlin et donc les accords de Minsk. Ces éliminations ont été particulièrement médiatisées à cause de leurs violences (assassinats de personnages réputés) et de par leur efficacité (des personnalités politiques séparatistes disparaissent soudainement de la circulation et réapparaissent quelques semaines plus tard à Moscou). Ceux qui restent sont désormais ceux qui acceptent de gouverner la main du Kremlin sur l’épaule.La défaite de l’Europe
Enfin, il y a quelques semaines, les séparatistes avaient promis d’organiser leurs propres élections locales alors que l’Ukraine organisait les siennes. Mais il était hors de question pour Poutine d’envoyer balader l’application des accords de Minsk. Il s’agissait même pour lui d’utiliser les échéances de l’application du cessez-le-feu et des élections locales pour progressivement conclure la séquence ukrainienne, tenter de faire sauter quelques sanctions au 31 décembre et se concentrer sur la Syrie. Vladimir Poutine s’est donc aligné sur ses « partenaires » européens en demandant l’annulation des élections séparatistes. Message reçu. Les prorusses ont décidé de reporter leur scrutin à 2016.

Mais depuis, ils multiplient les déclarations « tolérantes » envers l’Ukraine, il n’est plus question de s’adresser à « l’Ukraine fasciste ». Organiser des élections reconnues par l’OSCE et donc par l’Ukraine ? Pourquoi pas. À conditions que l’Ukraine vote ce fameux amendement à la constitution relatif à l’indépendance des régions du Donbass. Ça tourne bien puisque c’est prévu par les accords de Minsk. Certains détails mis en conditions par l’Ukraine (reprise ukrainienne du contrôle de la frontière Russe, amnistie des séparatistes) ne sont pas près d’être réalisés mais les séparatistes comprenant que leur avenir ne se fera pas plus avec la Russie qu’avec l’Ukraine, commencent à s’ouvrir à la discussion.

Cette situation est d’ailleurs voulue par Vladimir Poutine. Car en œuvrant pour garder cette zone hybride, le président russe fait l’économie du financement d’une région, certains services publics (pensions) sont encore financés par la Russie pour le moment mais rien à voir avec l’investissement criméen. Ce sont l’Ukraine, l’Europe et leurs ONG qui devront dépenser beaucoup d’argent et d’énergie dans la région dans les années à venir. Les européens préféreront toujours dépenser de l’argent pour le Donbass que de prendre le risque d’une complication. C’est la reprise des combats qu’il faut éviter. Enfin, et c’est le point principal de la stratégie russe, en conservant cette situation de conflit gelé, le président Russe garde un couteau dans la plaie ukrainienne, européenne et américaine, à remuer comme bon lui semble,et cela, ça n’a visiblement pas de prix dans la Russie de 2015.

L’Ukraine d’après-conflit appelée aux urnes

Chewbacca pas au meilleur de sa forme à Odessa
Chewbacca pas au meilleur de sa forme à Odessa

Le scrutin de ce week-end était à juste titre attendu par toutes les instances diplomatiques et politiques, d’Ukraine et d’ailleurs. Non seulement parce qu’il s’agissait du troisième scrutin d’après-Maidan avec les législatives et la présidentielle, mais également, peu d’Ukrainiens semblent en avoir conscience, parce qu’il s’agissait du premier scrutin à « tête presque reposée », un scrutin d’après-guerre. Une occasion de se retrousser les manches pour relancer la machine désormais partiellement abandonnée par l’Europe et les États-Unis.

Les enjeux étaient donc particulièrement importants pour le pays. Mais, fait intéressant, à l’issue du scrutin, il semble que les Ukrainiens n’aient pas saisi l’importance de ces élections.

D’abord, la participation a été tristement faible, 46,61%.

Ensuite, il semble que les Ukrainiens s’amusent encore de voir des clowns déguisés en héros de Star Wars, participer à leurs élections. Et pire, ils semblent les cautionner (Dark Vador et l’empereur Palpatine ont été élus au conseil municipal d’Odessa…) C’est anecdotique mais la presse internationale concentrée sur les dix autres scrutins qui avaient lieu au même moment dans le monde n’a parlé que de l’anecdote de Chewbacca arrêté alors qu’il était garé en double-file. Ridicule et désolant dans une période aussi sensible pour le pays.

De manière générale, le bazar général a été aussi impressionnant que lors des élections d’avant-Maidan.  Les vieux candidats corrompus et leurs vieilles méthodes ont refait leur apparition. Les techniques de triches se comptent par dizaines, le tourniquet, la corruption d’électeurs, les intimidations, les votes multiples…

Et puis, il y a l’épine dans le pied ukrainien. Marioupol, le gros fiasco de ces élections. Conscient qu’il est et restera le roi du Donbass, Ahmetov et sa mafia ont réussi à y faire annuler les élections (également le cas dans les localités de Krasnoarmiysk and Svatove). Un revers gigantesque pour l’Ukraine, venant de cette ville située à quelques kilomètres des séparatistes, clé du conflit ukrainien. Comment un état peut-il se faire avoir sur l’impression et la distribution des bulletins de vote? Le Président Porochenko a lancé une enquête.

Mais les élections se déroulent en trois étapes, le vote n’est que la seconde. Déjà dès le début de la campagne, les irrégularités ont été classiques, nombreuses et souvent grossières. Les changements législatifs liés à l’organisation des scrutins vont dans le bon sens mais cela a finalement changé peu de choses pour le moment. L’absence de financements de campagnes contrôlés reste le problème principal. Les méthodes d’antan subsistent. Grand nombre de militants ont été payés pour afficher leur soutien (et parfois voter), de nombreux hommes d’affaires riches, souvent liés à la corruption de leur région, parfois oligarques ont créé de petits partis inconnus mais bien financés aux quatre coins du pays, les propriétaires de médias qui se présentent ont usé et abusé de leurs médias pour faire campagne… Il faut ajouter à cette liste de nombreuses violences et intimidations physiques recensées partout dans le pays.

La troisième partie du scrutin est en cours, le dépouillement. Le gouvernement se donne jusqu’à mercredi pour déclarer des résultats officiels. Mais en Ukraine, cette dernière étape n’est pas moins sensible que les deux précédentes…

Enfin, il convient de relativiser toutes ces données inquiétantes. 26,7 millions de personnes étaient appelées aux urnes pour élire prés de 170 000 responsables dimanche. Ce scrutin est de loin le plus compliqué que l’Ukraine n’ait organisé. L’OSCE a d’ailleurs parlé lundi d’un scrutin de « manière générale conforme aux  standards européens » tout en appelant le gouvernement ukrainien à rapidement réformer son système électoral pour éviter que les vieilles traditions refassent surface aux prochains élections.

Paul Gogo

(Ouest-France) En Moldavie, le milliard disparu mobilise

« Des milliers de moldaves s’apprêtent à retourner dans la rue dimanche sous fond de scandale politique.

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Le « hold up » est impensable dans ce pays de 3,6 millions d’habitants. 1 milliard de dollars volatilisés, soit 15% du PIB moldave, entraînant ainsi un scandale sans précédent, mettant les élites politiques et oligarques sur le devant de la scène. Les faits ont eu lieu en début d’année, la protestation qui n’a cessé de grandir a atteint une nouvelle étape cette semaine. Prés de 100 000 personnes se sont rassemblées dimanche dernier devant la maison du gouvernement pour appeler à la démission du président, de son gouvernement et du procureur général. Lundi, les manifestants y ont installé des centaines de tentes, plus de 400 en fin de semaine. « Le procureur était au courant, le président aussi, et pourtant, rien n’a été fait, ni pour l’empêcher, ni pour trouver les coupables. Parce que ce sont les oligarques qui ont le contrôle du pays » explique Liviu Vovc, un des responsable de la plate-forme civique « Dignité et justice » l’intelligentsia moldave qui organise le mouvement. « Notre président est pro européen mais ne fait rien pour se rapprocher de l’Europe. Tant que nous n’aurons rien fait pour combattre la corruption, ça ne sert à rien de rêver d’Europe » affirme Serge, jeune père de 26 ans. Le campement a l’air bien artificiel, tout y est neuf , uniforme et même confortable. Le mouvement semble financé par un généreux donateur : « Nous ne sommes pas naïfs, je viens ici pour voir quelle forme prend la mobilisation mais il y a un intérêt politique derrière. Quelqu’un veut faire sauter le gouvernement pour prendre le pouvoir » estime Serge. C’est toute l’histoire du pays, une population qui rêve d’Europe mais dont les ambitions sont constamment freinées par l’éternelle bataille politique qui oppose les communistes prorusses à la coalition pro européenne. Les communistes, qui viennent de déclarer leur soutien au mouvement pourraient tenter de s’y refaire une jeunesse. La Russie a un œil sur la situation, des médias du Kremlin ont tenté de faire « monter la sauce » en couvrant excessivement la manifestation de dimanche. Les moldaves inquiets d’une éventuelle déstabilisation russe ont décidé lundi de supprimer les visas des journalistes russes. Demain dimanche, une nouvelle grande manifestation sera organisée, la mobilisation promet d’être une nouvelle fois importante.

Paul Gogo, Chisinau »