Des journalistes armés pour la Novaïa Gazeta

Reportage pour Ouest-France

Le journal indépendant Novaïa Gazeta a déjà perdu cinq journalistes et un avocat. Il propose à ses salariés de les armer…

Vidéo par Alexandra Dalsbaek pour Ouest-France

 

Le 23 octobre, un homme entre dans les locaux de la radio indépendante Écho de Moscou. Il reconnaît rapidement Tatiana Felguengauer, journaliste vedette de la station. Il la blesse de deux coups de couteau à la gorge. Une agression attisée par la propagande d’État qui accusait depuis des semaines Felguengauer d’être payée par l’étranger pour déstabiliser la Russie.

« Des insultes à la violence »

« Depuis l’annexion de la Crimée, la société est devenue plus agressive envers ceux qui ne partagent pas l’opinion du pouvoir. Cette atmosphère est entretenue par les médias officiels. En deux ans, on est passé des insultes à la violence physique », affirme Sergueï Sokolov, rédacteur en chef adjoint de Novaïa Gazeta. La solution pour la rédaction de ce journal d’investigation indépendant ? Armer ses collaborateurs.

Au cœur de la rédaction du journal, on trouve toujours le bureau, devenu mémorial, d’Anna Politkovskaïa, assassinée en 2006. « Depuis la création de notre journal en 1993, nous avons perdu cinq journalistes et un avocat », rappelle Sergueï Sokolov.

Alors que se profile la présidentielle de mars 2018, les voix discordantes sont invitées à se faire discrètes. Ces derniers jours, menacés, plusieurs journalistes d’opposition ont annoncé quitter le pays.

« Ils partent à l’étranger pour pouvoir faire leur travail correctement, se désole Sergueï Sokolov. Chez nous, s’armera qui le souhaitera. » Les journalistes se voient proposer des formations aux armes à impulsions électriques, aux bombes lacrymogènes et aux pistolets automatiques. « Les autorités ne nous protègent pas. C’est notre seule solution mais nous gardons en tête que nous ne ferons jamais le poids face à un tueur surarmé. »

Paul GOGO

Les « babouchka » de la guerre

Les grands-mères de l’Est ukrainien sont devenues malgré elles les premières victimes de la guerre. Le conflit ne fait que remettre au grand jour leur réputation de femmes de caractère, généreuses et solidaires.

À chaque trou, ma tête est ballottée entre la vitre de notre vieille camionnette et mon fauteuil. Le voyage commence à être long. Avec les kilomètres, les routes du Donbass deviennent un jeu vidéo dans lequel il s’agit de déterminer quel obstacle fera le moins de mal à la voiture avant de finalement le prendre de plein fouet. À chaque secousse, mon genou de plus en plus bleu reprend un coup dans le fauteuil du conducteur. Mais à l’écoute de la force des grincements des suspensions de notre véhicule, il semble que ce soit bien le camion qui souffre le plus dans cette histoire. Cela fait 48h que nous sommes sur la route quand une dizaine d’heures sont sensées suffire pour rejoindre la ligne de front dans l’Est de l’Ukraine, depuis Kiev. Les bénévoles ukrainiens qui m’emmènent ne sont visiblement pas pressés d’aller distribuer leur nourriture aux soldats ukrainiens. Il faut dire qu’un voyage sur le front, ce sont d’abord des rencontres sur la route, des apéritifs interminables… C’est une aventure dont le front n’est que l’achèvement.

Tout a commencé la veille, quand nous avons fait le tour des bénévoles de Kiev. Ils nous ont rempli notre camion de nourriture et de mètres carrés de tissus destinés au camouflage des armes et véhicules de l’armée. Puis il y a eu Armen, un ancien d’Afghanistan, qui nous a rajouté quelques conserves à l’arrière de la camionnette, à mi-chemin entre Kiev et Kharkiv. Il y a également « Baba Louba », grand-mère dont la modeste demeure située à proximité de Poltava, est devenue incontournable pour les voyageurs de passage. Nous ne nous y arrêterons pas cette fois-ci.
La maison de « Baba louba », « grand-mère amour », surnom classique des babouchkas, est petite et difficile à trouver. Il faut emprunter un chemin de boue à la sortie de son village puis traverser le terrain du voisin pour enfin arriver devant une barrière en bois aux couleurs du drapeau ukrainien, jaune et bleu. Cela se passe de la même façon à chaque fois. C’est son mari qui attend les visiteurs dehors, supervise les manœuvres des véhicules, puis invite les hôtes à entrer dans la maison. Les arrivées sont souvent tardives, mais quelque soit l’heure, quelque soit l’importance du retard, il y a toujours quelque chose de prêt dans la cuisine de « Baba louba ». Mais également dans son arrière cuisine où des dizaines de cartons de pirojkis, des bocaux pleins de bortsch et des bouteilles de lait sont entassés pour être expédiés vers le front. Avec de gigantesques louches et marmites, des bocaux de tomates et cornichons par dizaines, la pièce habituellement destinée à entreposer les outils indispensables à la culture de leur jardin a des allures de cuisine centrale clandestine. « Baba louba » se qualifie elle-même de « Babouchka », mot d’origine russe qualifiant les grands-mères de l’Est, généreuses en cœur et en corps.

Il n’y a pas d’âge particulier pour devenir babouchka, ni même une quelconque obligation d’avoir un petit enfant à choyer. Babouchka est une étape de la vie, un état d’esprit que la plupart des femmes de l’Est semblent atteindre un jour. Qu’elles soient russes comme ukrainiennes, elles ne déshonorent jamais leur réputation de femmes au caractère bien trempé. « Baba louba » ne déroge pas à la règle. Une fois les invités installés, un ballet se met en place. La femme apporte les innombrables plats, tandis que le mari refait son apparition, bouteille de vodka ou de cognac à la main. La jeune grand-mère de 66 ans peine à se poser, et ne prend la parole que pour demander à ses invités d’en reprendre. La décoration de son salon est un vrai musée. C’est un mélange de kitsch de style soviétique et de souvenirs souvent patriotiques prenant mille et une formes, mais toujours colorés de jaune et de bleu. Des drapeaux ukrainiens partout, autographiés par des dizaines de soldats. Des éclats d’obus et des balles alignés sur les étagères. Des photos de soldats, bénévoles, chercheurs, journalistes sont affichées par dizaines sur les murs du salon dont la vieille tapisserie jaunâtre s’efface sous les souvenirs. Le tout se mélange à ce que l’on trouvera dans le salon de toute grand-mère qui se respecte dans le monde. Les photos des enfants et petits-enfants. Chez « Baba louba », les enfants apparaissent sur une photo aux côtés de leurs parents, un gigantesque sanglier abattu à leur pied. Quant aux petits-enfants, j’ai remarqué au cours de mes voyages dans le Donbass qu’ils avaient généralement le droit à plus d’excentricité.

Sur une photo, leur petit-fils de six ans apparaît dans un photo-montage, affublé d’un costume de pilote d’avion, avec des lunettes de soleil, posant devant un énorme Boeing. Sur une seconde, il apparaît en costume militaire. Le salon d’une babouchka est à l’image de son cœur. Le cœur de cette grand-mère est bien plein, patriotique, parfois excentrique, mais chargé de passions. Les babouchkas ont cette particularité de toujours ouvrir leurs portes à l’inconnu sans se poser de questions. À condition que cet l’inconnu accepte de bonne volonté les rasades de vodka et les innombrables plats qui attendaient l’invité pourtant non annoncé. Mais lorsque l’on interroge les grands-mères sur leur vie, leur passé, leur histoire, elles se ferment instantanément, préférant détourner l’attention en versant une nouvelle tournée de vodka dans le verre de l’invité trop curieux. « Baba louba » ne déroge pas à la règle. Dur d’en apprendre sur elle. Elle a enseigné dans une école mais est désormais en retraite. Son engagement en faveur de son pays est présenté comme quelque chose d’évident, qui ne doit pas avoir à être expliqué. « Que voulez-vous que je fasse ? La Russie envahit mon pays, je ne vais pas rester chez moi à regarder la télé ! » s’exclame-t-elle, lorsque l’invité ose troubler le repas avec ses questions indiscrètes. Sa fille travaille dans une crèche, c’est elle aussi une militante ukrainienne accomplie, c’est elle qui a poussé sa mère à aider les soldats et volontaires en route vers le front. À peine ose-t-elle raconter que depuis deux ans, elle dépense toute sa retraite dans l’achat de matériel et de nourriture destinés à l’armée ukrainienne. Mais c’est pour mieux s’en féliciter « j’ai récemment atteint les 10 000 vareniki envoyés au front ! D’ailleurs, reprenez-en ! ». Puis, à contre-coeur et sans oublier de réclamer une photo, la grand-mère acceptait de laisser ses invités reprendre la route.

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Baba louba (au fond) et son mari (à gauche), accompagnée de trois bénévoles ukrainiens.

Aux armes babouchkas !

      Nous aussi nous sommes encore sur la route. Le voyage vers le front est décidément interminable. Nous sommes tombés en panne à Izyum, mes camarades d’infortune ne l’ont pas particulièrement mal vécu, cela leur a permis de prendre le temps d’un nouvel apéritif. Puis nous avons repris la route vers la région de Lougansk. Les checkpoints font désormais leur apparition. Endormi à l’arrière de la camionnette, certains soldats ne me remarquent même pas lors des contrôles. L’attitude d’amateurs de mes camarades de route devient dangereuse. Ils ont mis leurs gilets pare-balles et leurs treillis à 60 kilomètres du front et klaxonneraient presque pour annoncer leur arrivée sur le terrain de bataille. Deux bénévoles se distinguent du groupe, ce sont eux qui donnent les ordres. L’un est grand, barbu, parti de Kiev en treillis. Il a emmené son jouet, sa fierté, son gigantesque fusil de sniper, « au cas où… ». Il le montre à qui veut le voir en arrivant sur les checkpoints et peut disserter des heures sur son long pistolet, sans se soucier des risques de voyager avec une arme. Le second personnage est une femme. Elle répète à qui veut l’entendre qu’elle a un cancer. Son histoire est assez dramatique, mais son récit prend une tournure inquiétante à mon goût lorsqu’elle explique qu’elle s’attend à mourir et qu’elle n’a par conséquent pas peur du front. Sa perruque orange a été dessinée sur les deux véhicules du convoi, elle en est devenue la mascotte. Elle crie au téléphone, agresse les soldats qui hésitent à laisser passer le convoi, va même jusqu’à ambitieusement corrompre les militaires affamés, demandant un mot de passe qu’aucun des bénévoles n’avait pensé à demander, en leur proposant des pirojkis. Mais tant bien que mal, nous atteignons finalement la région du Donbass.

L’Ukraine, le Donbass et ses fameuses grands-mères sont faits de contrastes. Ces grands-mères de la guerre ont souvent été présentées comme des personnages importants du conflit. Elles sont souvent décrites comme ayant une attitude de « suiveuses » due à leur héritage soviétique qui les poussaient à tout attendre du gouvernement sans jamais s’engager. Il est vrai que sur de nombreux aspects, le Donbass ressemble plus à une plongée en URSS qu’à un voyage en Ukraine moderne. Les babouchkas en majorité nostalgique de l’URSS se plaisent à faire subsister cette époque dans leur vie quotidienne. Mais force est de constater que lorsque ces grands-mères décident de s’engager, elles ne le font pas à moitié. Ma première rencontre avec les babouchkas du Donbass ne s’est pas très bien passée. C’était en avril 2014, je découvrais Donetsk et cette situation conflictuelle qui ne faisait qu’empirer. Les images de grands-mères plantées devant les tanks ukrainiens se multipliaient, les manifestations aussi. Et quelque chose me surprenait à chaque fois, ces jeunes hommes cagoulés qui prenaient les bâtiments officiels uns-par-uns étaient toujours accompagnés par des grands-mères. Ces grands-mères avaient une particularité, elles étaient très concernées et imprégnées par les discours et idéologies diffusés dans les médias russes. Il était alors très courant de se faire arrêter dans la rue par une babouchka, souvent accompagnée d’une amie, afin de subir une séance d’intégration de la propagande. Après s’être assurée que j’étais bien journaliste, les grands-mères me demandaient d’approuver un discours qui durait une à deux minutes durant lesquelles l’ensemble des mots clés utilisés par la propagande russe pour mobiliser les foules et déstabiliser la région, revenaient en boucle. C’était à l’époque assez fascinant à voir car les grands-mères agissaient comme des robots, devenaient parfois agressives, puis se contentaient d’un hochement de tête de leur interlocuteur comme validation du discours, pour enfin quitter les lieux d’un air satisfait. C’était aussi le temps durant lequel les babouchkas pouvaient faire courir un risque aux journalistes. Les grands-mères qui suivaient les manifestations étaient alors réputées pour leur usage facile du mot « provocateurs ! ».

Il est arrivé à plusieurs reprises que ces femmes crient « provocateur ! » en plein milieu d’un rassemblement, en pointant du doigt un étranger, pour que l’étranger se fasse embarquer et interroger d’aussitôt par les jeunes rebelles cagoulés. Mais cette période n’a pas duré, car les grands-mères sont rapidement devenues les premières victimes de la guerre. Quand les manifestations se sont transformées en conflit armé, que les obus ont commencé à pleuvoir sur les civils vivant dans les banlieues de Donetsk, nombre d’habitants ont quitté les lieux. Mais s’il y a une chose qu’une babouchka ukrainienne comme russe ne quittera jamais, c’est sa maison. Parce qu’on retrouve toute la vie d’une grand-mère dans sa maison, mais également parce que dans le Donbass minier et sidérurgique, les « gueules noires » meurent tôt, laissant de nombreuses grands-mère veuves. Les décès de civils, se sont multipliés, touchant bien souvent des grands-mères qui n’avaient pas eu envie ou qui ne pouvaient pas quitter leurs domiciles qu’elles avaient mis toute leur vie à construire. Certaines d’entre-elles se sont donc installées dans des caves. C’est le cas de « Baba louba », encore une, dont je n’ai jamais réussi à connaître le vrai prénom. Elle a été mon fil rouge lorsque je vivais à Donetsk, la grand-mère que j’allais régulièrement rencontrer afin de comprendre ce que vivaient les civils. Enfermée dans une gigantesque cave touchées à deux reprises par des obus, en périphérie de Donetsk, elle avait créé toute une communauté autour d’elle. Plus d’une centaine de personnes s’y était installée, du sous-sol jusqu’aux étages.

Une rencontre avec « Baba louba » se passait toujours de la même façon. Tout d’abord, je prenais soin de ne pas manger de la journée. Puis, quand cela était possible, moi ou mes collègues journalistes achetions un peu de nourriture. Une fois sur place, il fallait d’abord s’asseoir à table, boire quelques rasades de vodka puis avaler l’ensemble des plats qu’elle avait préparé. Ensuite seulement, comme pour m’excuser d’avoir mangé sa nourriture si précieuse, je lui déposait mon sac de denrées et allait distribuer mes bonbons aux enfants. Cette grand-mère toujours enveloppée d’un tablier blanc me fascinait car l’ensemble des réfugiés de ce souterrain gravitaient autour d’elle. Et elle gérait cette cave, devenue petite communauté, comme une cheffe. Sachant calmer les jeunes enfants qui en avaient marre de ne pas pouvoir aller jouer dehors, tout en s’occupant de leurs mères, souvent jeunes et parfois enceintes.Bien sûr qu’elle soutenait les rebelles prorusses, la seule télévision de la cave est d’ailleurs branchée en permanence sur la chaîne officielle des rebelles. Mais ce qu’elle souhaitait à tout prix, c’était de vivre une vie de grand-mère, à un âge où aucunes d’entre-elles ne pensaient avoir affaire à la guerre, parfois pour la seconde fois de leurs vies.

Van Damme et Chevtchenko sur un checkpoint…

      La nuit commence à tomber sur les grandes plaines du Donbass et les combats reprennent en intensité, alors que lieu où nous sommes sensés dormir n’est même pas particulièrement défini. En haut d’une côte, un village se profile, un checkpoint en son entrée. Un de plus. Nous nous arrêtons quelques minutes pour discuter avec les soldats de ce point de passage, ils ont beau tenir une position plutôt sensible, ils s’ennuient le jour est surveillent l’horizon la nuit du haut de leur colline. Le checkpoint est stratégique mais simple. Quelques sacs de sables sur lesquels sont dessinés des logos du Dynamo Kiev, une mitrailleuse prête à officier posée en direction de l’entrée du village et non en direction du front. Car à ce niveau du front, les attaques de nuit peuvent arriver de tous les côtés. Une ligne de fauteuils en cuir marron, empruntés d’une salle de cinéma est posée contre un mur. Mais le spectaculaire se trouve plutôt dans le bâtiment qui héberge les soldats. Une ancienne maison de la culture, un palais immense, le seul bâtiment de plus de deux étages de ce petit village. Le bâtiment de pierre est vide à l’intérieur, les vitres explosées sont désormais traversées par des plantes. Un couloir traverse le hall principal et mène à deux sorties. Sur la gauche, des mines sont entreposées, posées sur le sol et signalées par un « attention mines » dont il convient de se rappeler la présence en cas d’envie pressante durant la nuit.

Sur la droite, le couloir mène à une pièce incroyable. La seule pièce aménagée du bâtiment, une bibliothèque. Les vieilles étagères poussiéreuses peinent à supporter les centaines d’ouvrages sur lesquels les soldats posent désormais leurs ustensiles de cuisine d’un côté, font sécher leurs bottes de l’autre. Dans cette pièce à la lumière parfaite, les rayons du soleil traversent les doubles vitrages poussiéreux et fêlés pour éclairer les nombreuses toiles d’araignées et le planché troué. Ici, dans cette bibliothèque oubliée du Donbass, les livres du célèbre poète ukrainien Taras Chevtchenko côtoient les ouvrages du russe Pouchkine en toute évidence. Dans la deuxième partie de la pièce, le décor n’est pas moins étonnant. Les soldats ont fabriqué cinq lits avec les portes du bâtiment posées à l’horizontal sur des caisses de munitions. Sur les murs, des affiches de différents films de Jean-Claude Van Damme traversant des nuages de feu, armes en main sont accrochées. Un choc des cultures. Dehors, mes encombrants bénévoles s’impatientent déjà et débarquent en furie pour me demander de remonter en voiture. Je refuse sèchement, ils ont l’intention d’aller prendre l’apéritif sur des positions ukrainiennes encore plus exposées. Après en avoir fait un drame, l’équipe décrète qu’ils m’abandonneront sur place. Ayant anticipé la situation, j’avais déjà réussi à me faire inviter par les soldats. La nuit prend ses aises, les bénévoles s’éloignent définitivement, des drones ennemis se frayent un chemin entre les étoiles. Je fais connaissance avec le petit groupe de soldats. Ils tiennent une position située à l’arrière d’un point stratégique. Ils n’ont aucun véhicule pour s’échapper en cas d’attaque, tout juste quelques munitions pour se défendre. Mais il leur reste un peu de nourriture et beaucoup d’humour, c’est sûrement l’essentiel.

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La chambre/bibliothèque des soldats

Les larmes de la babouchka

      Au petit matin, les soldats vaquent à leurs occupations. Il y a la douche faite maison, une bassine posée sur quatre troncs dans la cour arrière du bâtiment, le nettoyage des armes, le contrôle des véhicules, le compte-rendu de la nuit puis les discussions entre soldats. Rapidement, je sens que je dérange mais il m’est impossible de quitter le village.

Les soldats me parlent de leurs relations avec les locaux qui n’apprécient que moyennement la présence de soldats souvent venus du centre et de l’ouest de l’Ukraine quand une grand-mère fait son apparition, tout sourire. Catherine est une habituée, elle vient régulièrement prendre des nouvelles des soldats et rencontrer les nouvelles recrues lors des rotations. « Un français dans mon village ! Mais c’est merveilleux ! Venez voir ma maison, elle a été bombardée » s’exclame-t-elle en faisant ma connaissance. Pour rejoindre la maison de Catherine, « comme Sainte-Catherine, la déesse de la guerre ! Sauf que moi je rêve de la paix », il faut parcourir deux cents mètres dans les rues calmes et paisibles du village. Devant une maison semblable aux autres, elle s’arrête et me fait entrer dans son jardin. Voici les lieux du crime, le 16 janvier 2015 dans la soirée, une salve de roquettes a touché son village. Une de ces roquettes est tombé à 50 mètres de son jardin, en plein dans la maison d’une de ses amies. Il ne reste quasiment plus rien de cette maison qui a entièrement brûlé. Quant à Catherine, il semble qu’elle ait été chanceuse. La roquette est tombée dans son jardin, s’est enfoncée dans la terre avant d’exploser. Les éclats ont tout de même arraché un arbre auquel elle tenait, mais surtout, ils ont détruit l’angle gauche de sa maison, l’angle de son salon. En me racontant cette catastrophe, les larmes se mettent à couler sur son visage. Voir une babouchka pleurer est toujours frappant. Car de toutes évidences, à son âge on ne s’imagine pas devoir encore vivre ce genre de catastrophes imposées par la vie. Quand une babouchka pleure, c’est toute sa vie qui semble frapper l’interlocuteur en pleine face. L’horreur de la vie et l’injustice de la guerre. Je n’aurais sûrement pas remarqué cette maison à l’angle plus blanc que le reste du bâtiment si cette femme n’était pas venue me raconter son histoire. Mais à voir les larmes qui reviennent à chaque évocation de ce bombardement, je comprends que cette bombe a frappé cette grand-mère en plein cœur.

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Catherine dans son salon

      Si la majorité des grands-mères n’avait pas fui la guerre, ce n’était pas seulement par manque de moyens ou par attaches familiales, les familles de cette région étant d’ailleurs souvent dispersées jusqu’en Russie. Mais si ces grands-mères sont toujours là, c’est parce que leur lopin de terre, cette modeste maison est une part d’elles-mêmes. C’est ce qui témoigne de leur histoire, elles ont été construites pendant toute une vie et sont à l’image de cette vie souvent bien remplie. Ces maisons désormais occupées par des babouchkas ont également la plupart du temps vues passer un homme qui y a vécu, avant d’y mourir, des enfants qui ont profité du jardin, des petits-enfants qui viennent y manger de temps en temps… Catherine a rapidement séché ses larmes. Et pourtant, me raconte-telle, à l’époque du bombardement, elle n’était pas chez elle. « J’étais chez ma fille, à Sochi, elle est championne de ski » me raconte-t-elle, fièrement, pointant le doigt vers une des nombreuses photos encadrées au mur. Sur la photo, une jolie jeune femme blonde posant fièrement en tenue de ski. « J’étais venu passer quelques jours chez elle pour oublier la guerre quand cette foutue bombe est tombée dans mon jardin », les larmes refont leur apparition. Catherine glisse un mouchoir en tissu sous ses lunettes grises pour essuyer ses larmes. « Les voisins ont surveillé ma maison jusqu’à mon retour puis ils m’ont aidé à financer les réparations car l’état n’a jamais voulu m’aider » explique-telle, visiblement aussi touchée par la solidarité de ses voisins que par l’abandon de l’état ukrainien. La vie sur le front est faite de hasards. Le hasard a fait que sa maison est désormais de retour côté ukrainien. Le hasard a également fait que cet obus a touché sa maison, et non celle de son voisin direct. Un artilleur ukrainien m’a dit un jour qu’il se considérait comme étant un dieu de la guerre. Que l’on croit en dieu ou non, il n’y a rien de plus vrai dans cette situation. Quand on vit en zone de guerre, les bombes viennent du ciel et touchent des cibles dans un hasard total. Cette fois-ci, c’est dans le salon de Catherine que cet obus est tombé, atteignant le cœur de la maison, le cœur de Catherine.

Son salon est typique d’un salon de babouchka. Deux canapés en velours marron, une grande armoire contenant des bibelots accumulés tout au long de sa vie, mais méticuleusement rangés, puis les indispensables photos des enfants. Dans le salon d’une babouchka, l’objet comme son emplacement ont une raison d’être précise. Les icônes religieuses ont par exemple récemment changé de place. Alors qu’elles étaient auparavant équitablement dispersées dans toute la pièce, elles ont désormais toutes été positionnées dans l’angle du salon touché par l’obus. Il s’agit d’ailleurs des seuls objets désormais présents dans cet angle maudit. Il y a la télévision, située devant la fenêtre, afin de pouvoir observer l’activité de la rue. Puis, les photos favorites de ses enfants placées tout autour de l’écran de la télé, comme pour ne jamais les oublier. Alors que j’essaie d’en savoir plus sur sa vie, la grand-mère enjambe un carton d’aide humanitaire pour m’amener deux plats composés de pommes de terre et coupe court à mon interrogatoire. « Mange Paul, mange ! Tu es si maigre, tu dois manger ! Tu as une femme ? Je t’en trouverai une dans le village pour la prochaine fois que tu viendras me voir » s’écrit-elle, me mettant une cuillerée de patates dans la bouche. Elle me fait visiter les quelques pièces de sa modeste maison, son grand jardin, « cela fait 75 ans que je vis ici ! ». Toute une vie ! Un homme qui y a vécu, des enfants qui y ont grandit avant d’aller s’installer en Russie, puis une retraite tranquille et enfin, cette guerre qu’elle n’aurait jamais imaginé. « Tu sais, quand les séparatistes étaient là, je prenais autant soin d’eux. Ils sont tous si jeunes, ils ne devraient pas être là ! Je ne vois pas des soldats, je vois des enfants, donc c’est pour cela que j’aide tout autant les ukrainiens, je leur ai même prêté une télévision pour qu’ils s’occupent en attendant la relève. Quand je peux les aider, je les aide » raconte-t-elle, réajustant le foulard blanc qui couvre ses cheveux. Mais mon téléphone sonne, les soldats m’appellent au checkpoint, une voiture m’attend pour m’évacuer de la zone. Un peu vexée par cette séparation forcée, la babouchka s’écrit « prend mon adresse et mon numéro de téléphone, quand tu reviendras me voir, je te trouverai une fille dans le village et tu pourras t’y installer ! ». Une promesse de babouchka à prendre au sérieux, comme toujours.

Paul Gogo

[Ouest-France] SOS guerre pour les soldats traumatisés

Situé en périphérie de Kiev, au premier étage d’un immeuble d’habitation, le bureau d’Alyona Kryvuliak est exigu. Depuis son centre d’appel, l’ONG internationale la Strada spécialisée dans le soutien des personnes touchées par les violences conjugales recueille la détresse de cette société heurtée par la guerre. Dans une salle, quelques téléphones et des appels qui ne cessent jamais. Peu de choses sont prévues par le ministère de la défense Ukrainien pour accueillir les soldats de retour du front. Pourtant, les conséquences psychologiques de la guerre sur l’ensemble de la population sont dramatiques. Le week-end dernier, un vétéran du conflit s’est fait exploser à Kiev, sur une île du Dniepr, grenade en main. Une réalité quotidienne en Ukraine. « Il y a les suicides par centaines, les divorces par milliers, quand les soldats reviennent du front alcooliques, drogués où qu’ils ont trompé leur femme sur place » explique-t-elle. Il y a aussi les femmes confrontées au départ soudain de leur mari appelé au front. Sans revenu et avec les enfants à la maison, vient alors la panique : « Elles nous appellent désespérées, elles pensent que nous pouvons demander au président de ne pas envoyer leur mari au front. Elles parlent de suicides puis craquent et se mettent à pleurer » raconte-t-elle. Une équipe de psychologues et de juristes répond aux appels. Car dans les villages, il est souvent très difficile pour les soldats conscients de leur stress post-traumatique, de trouver un psychologue. Il faut aussi gérer les agressions physiques, sexuelles et viols qui ne cessent d’augmenter depuis le début de la guerre, à la maison, comme sur le front. « Le pire, ajoute Alyona, c’est que quand les victimes appellent la police, il n’y a souvent aucune enquête d’ouverte. Ils arguent auprès de la victime qu’il faut comprendre que l’agresseur est allé défendre la patrie au front. Alors quand les appels viennent de la zone séparatiste ou de Crimée, là, nous ne pouvons vraiment rien faire pour les aider… ».

à Kiev, Paul Gogo

L’idiot utile du bataillon Azov

La guerre est aussi faite de gens bizarres, poussés à venir s'engager d'une façon ou d'une autre. Ils peuvent être des fous de guerre, des cœurs brisés fâchés contre la société, de simples criminels, des gens qui ne se retrouvent pas dans nos sociétés capitalistes, des naïfs peut-être moins naïfs qu'ils ne le montrent, des espions... J'ai hésité à écrire sur ce personnage bizarre, un de plus, car son parcours est flou et dans cette histoire, aucun des protagonistes ne me semblent crédibles. Espion, néo-nazi influençable mais convaincu, criminel, amoureux de la guerre ou combattant retrouvant la raison, difficile de cerner le personnage et de savoir à qui j'ai eu à faire...

Le rendez-vous est donné sur l’avenue Kreshchatyk, à quelques pas de la station de métro du même nom. Quelques hommes en treillis, les poches vidées de leurs grenades et de leurs armes, discutent autours d’un banc. L’un d’entre-eux a une croix gammée de tatouée sur son épaule, une autre salue ses amis d’un salut nazi, hilare. Ces membres du bataillon Azov, qui abrite de nombreux néo-nazis en son sein ont appelé tous les journalistes qu’ils connaissent pour leur présenter leur nouvelle recrue, quasiment une prise de guerre. Evgueni Listopad a une tête de vainqueur et se fait passer pour un simplet timide, petit, les cheveux rasés coupe militaire, les yeux vides, un sourire niais, il ne s’exprime que lorsque son nouveau commandant lui suggère de répondre à la presse. Droit, il ne moufte pas et sourit lorsque ses nouveaux camarades se moquent de lui. Mais quand le commandant présente sa recrue comme lorsque qu’Evgueni raconte lui-même ses aventures d’ancien séparatiste subitement redevenu amoureux de son Ukraine natale, il est difficile de faire la part entre le vrai et le faux. « Le séparatiste », ce sera son nouveau nom de combattant.

Photo: Paul Gogo
Evgueni Listopad dans son nouvel uniforme ukrainien

Une chose est sure, l’année et demie qu’il vient de passer a été pleine d’aventures. C’est en recoupant ses multiples publications sur internet et en les comparant aux propos qu’il m’a tenu lorsque je l’ai rencontré que j’ai pu tenter de retracer le parcours tumultueux de ce combattant.
Tout commence aux débuts de Maidan. Cet avocat, militant d’extrême droite, passionné de body building et de reconstitutions historiques, quitte alors sa ville de Zaphorize (sud de l’Ukraine) pour rejoindre le mouvement nationaliste Pravii Sektor sur Maidan. Les affrontements de Maidan passent, le président Ianoukovitch quitte le pays, le président de la Rada Oleksandr Tourtchynov assure l’intérim.
« J’ai commencé à lire beaucoup de choses sur internet qui m’ont fait douter. J’ai alors décidé de partir à l’Est pour rejoindre le mouvement séparatiste » explique Evgueni Listopad. C’est effectivement Slavyansk qu’il rejoindra. Une vidéo qui circule sur internet l’atteste. On peut le distinguer, faisant le clown sur un blindé, drapeau séparatiste en main. Il aurait été chargé de la protection d’un checkpoint, équipé d’une mitrailleuse, dans cette ville occupée quelques semaines par les séparatistes jusqu’à l’été 2014.
C’est ensuite que son parcours devient plus compliqué à comprendre. Il se serait rendu deux fois en Crimée pour se reposer. Dont une deuxième fois après avoir été arrêté par le SBU puis libéré. Accusé de séparatisme, il devra sa libération au manque de preuves, « ils n’ont jamais pu prouver que j’avais tué un Ukrainien ». Basée à Dnipropetrovsk, sa mère a déclaré à la presse avoir réclamé sa libération avec insistance, promettant de lui faire subir des soins psychiatriques. Les nombreux Ukrainiens qui ont protesté à l’époque contre sa libération l’accusaient d’avoir profité de relations haut-placées. Libéré, il courra se reposer en Crimée où il passera en direct sur la chaîne de propagande russe Lifenews sur laquelle il expliquera avoir subi des actes de torture de la part de la garde nationale ukrainienne et appellera à la mort des « soutiens de la junte de Kiev ». Il apparaît à l’image devant un drapeau d’un parti nationaliste russe, accompagné d’un militaire. « Ils m’ont battu à coups de crosses et piétiné, ils me lançaient parfois dans une fosse dans laquelle ils me laissaient sans eau et sans nourriture pour la journée » y raconte-t-il. Il y explique également avoir subi des pertes de mémoire après avoir été drogué par les soldats. L’homme auparavant bâti en triangle y apparaît effectivement amaigri et affaibli. Mais son discours est clair, il veut se battre « contre le fascisme ukrainien », lui, le nostalgique du troisième Reich.

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Evgueni en direct sur Lifenews depuis la Crimée, en mai 2014

Cette partie de l’histoire n’est pas claire c’est après un de ses deux voyages en Crimée qu’il aurait rejoint Donetsk, le bataillon Spartak et son tristement célèbre commandant, « Motorola ». De nombreuses photos en attestent sur les réseaux sociaux, on peut le voir jouer avec un lance-roquette, un aigle allemand tatoué sur l’une de ses larges épaules. Des médias font état à l’époque d’un second tatouage en honneur à son bataillon sur l’autre épaule, qu’il aurait ensuite remplacé par un tatouage représentant le drapeau noir et rouge des nationalistes ukrainiens. On le voit également poser fièrement, kalachnikov en main, dans les dortoirs de son bataillon.

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Evgueni au lever du lit (Donetsk)

« C’est à ce moment là qu’il a commencé à nous écrire » explique un de ses nouveaux camarades. « Il a commencé à correspondre avec une amie, il lui expliquait que sa famille lui manquait, qu’il voulait revenir côté Ukrainien » explique-t-il.
L’homme décide de passer la frontière. Mais cette fois-ci, c’est par des soldats du bataillon Azov qu’il se fait attraper.
Le voilà ainsi assis sur un banc, sur Kreshchatyk, forcé à répondre aux interviews pour montrer sa bonne foi. Aux antipodes du Evgueni que l’on retrouve sur les réseaux sociaux. Il a perdu beaucoup de muscles et n’a plus rien à voir avec l’image de tueur baraqué et sûr de lui que l’on devine sur les nombreuses traces laissées sur internet. Ruslan Kachmala, son nouveau commandant du bataillon Azov assure ne le connaître « que depuis deux jours » et ne pas réussir à cerner le personnage.  L’homme a-t-il rejoint le bataillon sous la contrainte? Le petit commandant barbu et trapus n’est pas plus digne de confiance que « le séparatiste ». « Il est là parce que je suis connu chez les séparatistes, ils ont peur de moi et me craignent. Quand ils entendaient mon nom dans les talkies-walkies, ils craignaient nos attaques. Certains rêvent de nous rejoindre, nous voulons leur montrer que c’est possible » lance-t-il fièrement, prenant visiblement ses rêves de héros de guerre pour une réalité. Evgueni confirme, « il a pris des zones sans tuer un homme, nous le connaissions bien avec Motorola ». Mais dans les faits, les soldats ne semblent pas vraiment croire en cette apparition de la vierge. Ils en veulent surtout au gouvernement Ukrainien « qui a libéré un séparatiste ». « On l’a vu sur un char russe avec un drapeau de la Novorossiya, mais il n’a jamais été condamné ici. Ce n’est pas cette personne qui menace l’Ukraine, c’est l’état » s’agace le soldat d’Azov. Dans le groupe, le président Porochenko est qualifié de dictateur. Evgueni leur aura au moins apporté une médiatisation et quelques informations utiles sur les séparatistes.

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Evgueni le culturiste est aussi fan de reconstitutions historiques. Du meilleur goût.

Les soldats ne lui font pas confiance « il a trahi une fois, il trahira une deuxième fois ». L’homme ne sera pas armé et n’ira pas sur le front. Le discours d’Evgueni Listopad n’inspire pas plus confiance. Les éléments de langage sont trop gros pour être sincères. « Je suis là parce que quand j’ai découvert que c’était l’armée russe qui se battait dans le Donbass, j’ai été dégoutté et j’ai compris qu’il fallait que je revienne sauver l’Ukraine » raconte-t-il, insistant lourdement, à plusieurs reprises sur la présence de l’armée russe dans l’Est de l’Ukraine. « Maintenant je veux me battre pour ma patrie car l’Ukraine est unie et le territoire Ukrainien est occupé par l’armée régulière russe et les séparatistes », un discours parfait, trop parfait. « En Ukraine j’ai ma mère, ma famille, une fille que j’aime » conclut-t-il en insistant sur le fait qu’il n’a « jamais tué un seul Ukrainien ». « À l’aéroport, on tirait sur des murs pour que les journalistes filment, je n’ai jamais tué personne ». Sur internet, des médias ayant rapporté son histoire l’année dernière expliquent qu’il aurait rejoint les séparatistes après s’être vu promettre un passeport russe et un travail en Crimée. Un passeport qu’il n’a jamais eu.
Le bataillon Azov n’a pas la meilleure réputation qui soit, par qui a-t-il été torturé? Encore une fois, le commandant en fait trop et tombe dans le risible. « Moi je ne torture pas, quand vous torturez quelqu’un, la personne se referme sur elle-même et ne veut plus parler » affirme-t-il. Ajoutant mystérieusement :  » Une fois, l’armée a interrogé trois séparatistes pendant trois jours. Aucun résultat. Je suis allé discuter avec eux, il y en a un qui a tout écrit sur une feuille et qui s’est pendu après. C’était plié en une demi-heure ». Impossible d’en savoir plus sur la « méthode miracle » du « saint d’Azov ». Autour, les autres combattants rigolent et moquent le séparatiste. L’un d’entre-eux m’avoue qu’ils le prennent pour un abruti total car il a un testicule en moins, qu’il s’est explosé en tirant malencontreusement avec son pistolet fixé au niveau de la taille. Un accident courant sur les lignes de front, mais l’ablation de testicules est également une pratique de torture particulièrement répandue dans ce conflit et dans les deux camps.

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Evgueni Listopad, lance-roquettes en main, à Donetsk

Quoiqu’il arrive à ce personnage, ses anciens camarades du bataillon séparatiste Spartak lui ont laissé un beau cadeau numérique. Plutôt bien vu mais un peu gros. Au lieu d’appeler à la mort du « traître » qui ne cesse de répéter dans les médias ukrainiens qu’il n’a jamais tué personne, ils ont préféré publier un simple post sur le réseau social russe Vkontakte : « Evgueni Listopad a été un soldat exemplaire, il a reçu deux médailles pour ses actes lors de la bataille de l’aéroport. Il a détruit trois tanks et tué une soixantaines de soldats ukrainiens » avec deux photos d’Evgueni, lance-roquette et kalachnikov en main (voir ci-dessus).
Paul Gogo

Ukraine : les dégâts invisibles de la guerre

La guerre est arrivée en Ukraine aussi rapidement qu’elle s’en est éloignée. Mais ces images violentes brutalement apparues ne disparaîtront pas aussitôt des esprits, laissés sous un choc trop souvent sous-estimé et qui touche l’ensemble du pays.

Mykola Voronin est originaire de Gorlivka, dans l’est de l’Ukraine. Son parcours de soldat, il aime le raconter dans les médias. Il ne le cache pas, c’est sa façon d’être reconnu par la société et d’affirmer son statut de combattant. Il a répondu à de nombreuses interviews pour des médias ukrainiens, il aime se présenter comme un héros, au risque d’en faire un peu trop. Mais il faut avouer que le parcours de ce brun aux yeux bleus est aussi atypique qu’étonnant. Car qui aurait pu imaginer que le Mykola de 2014, professeur de mathématiques, hippie pacifiste de 34 ans, heureux dans sa campagne du Donbass, deviendrait sniper dans l’armée ukrainienne quelques mois plus tard? La guerre a bouleversé sa vie.

À Gorlivka, il a suivi Maidan de loin. « Quand j’ai vu ce qu’il se passait à Kiev, je suis allé à Donetsk pour soutenir le mouvement séparatiste naissant. Puis, je me suis rendu compte de l’ampleur de la propagande russe, et j’ai rapidement fait marche arrière. En fait, c’est quand un de mes amis a été arrêté puis torturé par les séparatistes que j’ai compris que je ne pouvais pas les soutenir » raconte-t-il. Commençant à envoyer des informations aux ukrainiens, se sentant menacé, Mykola décide alors de s’enfuir de son petit paradis avec sa famille. Il envoie sa femme et sa fille en Italie et s’engage dans le bataillon Donbass. Du jour au lendemain, ce pacifiste se retrouve volontairement au cœur des pires batailles du conflit, Ilovaïsk, l’aéroport de Donetsk… « Ma vie de hippie me manquait et me manque toujours, mais ma vie proche de la nature n’était plus possible, d’autant que mon jardin est désormais situé côté séparatiste. Je n’avais pas le choix, il fallait bien que je défende mon pays » assure-t-il. Sur sa page Facebook, de nombreuses traces de son passé sont encore visibles, on peut le voir quasi nu, construire une cabane de paille dans un champ où encore posant avec sa femme, des fleurs dans les cheveux. Mais désormais, ce sont les selfies réalisés en treillis, casque sur la tête, sur la ligne de front qui envahissent sa page. Dans l’armée, il est sniper, « je me suis fait financer tout mon matériel par mes proches, j’ai lu beaucoup de livres sur le sujet, je suis un plutôt bon tireur maintenant je crois ».

Son histoire est finalement plutôt ordinaire dans un pays où l’armée a du être créée dans la précipitation, formée d’amateurs, de patriotes, de nationalistes mais surtout, d’ukrainiens ordinaires désireux de protéger leur pays, leurs maisons, leurs familles. Il y a les volontaires, qui ont accouru au front lorsque la Russie s’est trouvée menaçante, mais il y a surtout les appelés, extirpés de leur routine quotidienne, propulsés dans ces paysages gris retournés par les bombardements incessants.

L’armée ukrainienne a longtemps manqué d’hommes, les permissions n’étaient alors que rarement accordées, « il est pourtant important de lâcher le truc de temps en temps pour ne pas devenir fou » assure Mykola. Dans la vie de tous ces hommes présents sur la ligne de front, il y a souvent des drames personnels, des divorces, des suicides, des dépressions qui ont suivi leur mobilisation… Quelque part, nous qui sommes venus volontairement, on résiste mieux à tout ça que ceux qu’on est allé chercher chez eux. D’autant plus que parfois, ils n’ont pas vraiment envie de se battre pour l’Ukraine ».

Quand Mykola donne rendez-vous aux journalistes, c’est dans une pizzeria située à quelques mètres de l’appartement d’amis qui l’accueillent lorsqu’il n’est pas au front. En face de la porte dorée, à quelques centaines de mètres de Maidan, la meilleure pizzeria de la ville selon lui. Il y vient à chaque retour du front. « La vie est plus simple sur le front, mais ici c’est quand même plus plaisant. On n’a pas de pizzas ou de salles de bain là-bas…  » Ironise-t-il. Reprendre une vie normale sans devenir fou, un vrai défi pour ces hommes. Un défi complètement négligé par l’état qui n’a rien prévu pour le retour de ses soldats. Mais Mykola l’assure, malgré quelques passages à vide, il a finalement su se sortir de cet étrange brouillard fait d’émotions sur-exprimées et de contrastes trop violents. « Ça n’a pas été facile. Quand ma copine était encore en Ukraine, on se retrouvait régulièrement, mais depuis qu’elle est partie, je ne l’ai pas revue, on s’est même séparés. En deux semaines de permissions, je n’avais pas le temps de me faire de visa pour la rejoindre en Italie. Elle s’inquiétait, priait pour moi quand on se téléphonait. J’appréciais, ça m’aidait beaucoup à tenir. Ça fait six mois, trois jours et à peu-prés dix heures que je ne l’ai pas vue, elle me manque » avoue t-il en baissant la tête sur sa pizza au chorizo. Mais Mykola s’est planifié un processus de normalisation de sa vie pour reprendre pied. Première étape, retrouver sa bien aimée : « On s’est appelé récemment, normalement, on est de nouveau ensemble » raconte-t-il, le visage triste, toujours baissé sur son assiette. « Elle va bientôt me rejoindre à Kiev, j’espère reprendre un appartement avec elle. Pour être honnête, j’ai pensé au suicide quand on s’est séparés, mais j’ai dévoilé tout ce que j’avais sur le cœur sur Facebook à l’époque. J’ai alors reçu un soutien gigantesque. J’y racontais aussi mon quotidien, ce qui plaisait à mes amis, mais qui m’a fâché avec une partie de mes collègues. J’ai bien sûr un psychologue que je rencontre régulièrement, mais ce sont les 200 ou 300 personnes qui m’ont apporté leur soutien qui m’ont permis de tenir. Je peux remercier Zuckerberg sur ce point là » rigole-t-il.

Pour tenir face à un quotidien devenu bien fade et superficiel depuis qu’il est rentré, et ce, pour une durée indéterminée, Mykola chante, danse, rencontre ses amis Facebook et prie. « La religion est importante pour moi. Parce qu’il y a beaucoup de situations durant lesquelles j’ai eu de la chance. Je me rappelle quand on était dans l’aéroport de Donetsk, on était dans le hall neuf, les séparatistes étaient sur le toit. J’ai dis à mes collègues qu’il fallait que l’on monte si on voulait survivre. Quand nous sommes arrivés sur le toit, il n’y avait plus personne, les séparatistes avaient quitté les lieux ! Il y a aussi mon cancer, on m’avait annoncé qu’il ne me restait plus que quelques semaines avant de mourir, c’était en 2004, j’avais déjà paqueté mes affaires. Mais je suis toujours là, plus en forme que jamais. Je pense que dieu m’a laissé vivant pour quelque chose de plus important. »

Tous les soldats ne sont pas conscients des dangers psychologiques qu’ils encourent. « C’est une erreur, il faut comprendre que nous revenons tous du front dans un état de choc plus où moins important. Cela nous touche tous. J’ai de nombreux exemples de connaissances qui n’ont pas supporté le front, qui font des dépressions, certains se sont suicidés, d’autres se droguent ou sont devenus alcooliques. Il faut savoir que nous devons nous reconstruire ». À tel point qu’il s’est imposé une série de rendez-vous, avant de retrouver sa bien-aimée. « Je ne veux pas revoir ma femme avant de m’être reconstruit, j’ai rendez-vous chez le médecin, le dentiste, le psychologue cette semaine, et seulement après je la reverrai ».

Seule à la maison

Pour comprendre à quel point une guerre peut bouleverser et choquer un pays, il faut s’intéresser à ceux qui sont restés à Kiev, ceux qui ont vécu le conflit par procuration. Oksana Snigur est une journaliste de 29 ans. En mars 2014, elle était sur Maidan, avec son mari, Oleg. Alors que la Russie s’attaquait à la Crimée, son mari est un jour rentré à la maison en déclarant : « Il faut que tu sois prête, je viens de quitter mon travail, je vais m’engager dans l’armée, je veux défendre notre pays ». Un choc pour la mère et sa petite fille. « Dans un premier temps, je n’ai pas compris sa réaction. Je sais maintenant qu’il ne pouvait pas en être autrement, il ne se voyait pas rester ici à travailler, rester assis au bureau. Mais à l’époque, j’ai trouvé sa réaction étrange. J’étais à la maison, avec notre fille, il ne m’a pas donné le temps de réfléchir à la situation. J’étais sonnée, je pensais que la famille était la chose la plus importante au monde pour lui » raconte-t-elle, attablée dans un coin de la cafette de sa rédaction. Le 21 mai 2014, l’armée ukrainienne attaque l’aéroport de Donetsk. « C’est à ce moment que j’ai réalisé que la guerre allait commencer, qu’il fallait qu’Oleg y aille. Il a parcouru le monde entier comme reporter, je le savais capable d’aller se battre ». La jeune femme mobilise alors l’entourage du couple pour récolter de l’argent pour acheter armes, et matériel de protection, cigarette et café. « Je me suis souvent demandée comment faisaient les femmes de soldats mobilisés, qui n’avaient pas envie d’y aller. Mais je me suis dit que je pouvais faire face, notamment en devenant bénévole, pour aider ces femmes ».

Mais en août 2014, vers 3h du matin, le téléphone sonne. « C’était Oleg, un lance-roquette multiple Grad avait touché leur camp. Il était blessé et allait être évacué. Il m’a demandé de ne pas m’inquiéter. Je ne pouvais rien faire, j’ai réussi à retourner me coucher. Le lendemain, j’ai prévenue la famille. Ensuite, je suis restée trois jours sans nouvelles, à m’inquiéter, il n’avait plus de batterie dans son téléphone. Je savais qu’il avait été envoyé à Kharkiv, j’ai réussi à trouver des bénévoles sur place qui l’ont retrouvé ». Oleg est rentré pour trois mois, avant d’insister pour y retourner. « Il m’a dit qu’il devait absolument retourner avec ses copains, qu’il ne pouvait pas rester là. Je n’étais pas vraiment heureuse de ça, mais je ne pouvais l’en empêcher » avoue-t-elle.

C’est suite à cet incident qu’Oksana s’est rendue compte de ce qu’elle devait apprendre à gérer. Sa propre pression, mais également celle de sa famille et de la famille de son mari, qui passent par elle pour avoir des nouvelles. Sans parler de sa petite fille de trois ans, qu’elle essaye de protéger au mieux. « Quand elle a vu les blessures de son père, elle pensait que ça venait du chat. Puis, la maîtresse a abordé le sujet à l’école, en expliquant à la classe que son père se battait contre des méchants. Ce n’était pas une bonne idée du tout… Maintenant, elle a peur des mauvais gens qui pourraient faire du mal à son père et venir à la maison ». Oksana a également du apprendre à préparer le retour à la maison de son mari, « j’ai rencontré des psychologues, je voulais être capable de reconnaître d’éventuels traumatismes lors de son retour. J’appréhendais beaucoup ce moment parce que je me demandais s’il allait avoir un œil différent sur notre famille, je cherchais à savoir ce qu’il attendrait de nous. J’ai compris qu’il était important de l’écouter, de comprendre ce qu’il a vécu, de comprendre pourquoi il peut être différent, j’ai appris à ne pas réagir de façon radicale. Au final, on est rapidement passé à autre chose. Le premier jour, il m’a raconté ce qui l’avait le plus choqué, ce n’était pas facile à entendre. Il est par exemple rentré sonné par cette famille qui l’a appelé de Saint-Petersbourg parce qu’elle voulait récupérer le corps d’un officier, un très jeune homme, qui avait été tué en Ukraine. Une fois cette étape passée, je lui ai tout donné à faire : la vaisselle, les courses, le ménage, aller chercher notre fille à l’école… » Puis, le visage d’Oksana se referme, elle n’ose aller au bout de ses pensées, un collègue traverse la pièce avec son thé, elle baisse d’un ton. »Je dois avouer que j’ai pensé au divorce, j’avais commencé à en parler à ma mère qui ne m’a pas du tout soutenue. J’ai alors réalisé que j’aime mon mari, je n’étais pas prête à divorcer et que je devais le soutenir car c’est sa place d’être là-bas. Et puis quand quelqu’un qui vous aime vous attend, c’est plus facile de retourner au combat ». Galina Tsiganenka, psychologue, se rend régulièrement sur le front bénévolement pour aller écouter les soldats. La problématique de la vie de couple y est forcément très présente. « Entre soldats, il y a une sorte d’entre-aide psychologique sur la ligne de front explique-t-elle. Mais les problèmes sont souvent du côté des proches. Il y a souvent des conflits qui naissent avec la femme qui, elle, est restée à la maison. Elles voudraient qu’ils rentrent, qu’ils reviennent passer du temps à la maison, mais les soldats ne veulent plus quitter cette nouvelle communauté à laquelle ils appartiennent. En tant que psychologue et en tant que femme, je leur donne des conseils sur la meilleure façon d’harmoniser la situation avec leurs proches ».

Un pays entier traumatisé

Alyona Kryvuliak et ses collègues sont les oreilles indispensables de la société ukrainienne. Dans leurs bureaux exigus remplis de papiers et de livres, situés en périphérie de Kiev, les bénévoles et salariés de l’ONG internationale La Strada répondent aux appels à l’aide anonymes de cette partie de la population qui subit la guerre. Agressions sexuelles, viols, violences conjugales, alcoolisme ou addiction à la drogue, les psychologues et juristes doivent répondre à une myriade de sujets différents car la guerre ne fait pas de dégâts que dans l’Est. Il y a les enfants, choqués par la guerre, « ils ont peur de la guerre, non seulement les enfants des familles déplacées mais aussi les enfants qui vivent dans les régions loin de la guerre. Ce qui les préoccupent, c’est que la guerre arrive jusqu’à eux, ils en font des cauchemars ». Et puis il y a aussi les enfants de déplacés, qui se retrouvent stigmatisés dans leurs nouvelles écoles, traités de séparatistes et harcelés par leurs camarades.

Parmi les appels qu’Alyona et ses collègues ont l’habitude de recevoir, ceux de ces femmes qui paniquent lorsqu’elles se retrouvent seules à la maison. Comme elles savent que nous sommes basées à Kiev, elles pensent que nous avons le téléphone du président Poroshenko et nous demandent de l’appeler pour que leur mari ne soit pas mobilisé, arguant qu’elles ont trois enfants et qu’elles ne pourront plus vivre quand le mari sera parti. Elles appellent souvent dans un état de stress et d’agressivité énorme, on a eu des cas où elles nous menaçaient de partir sur le front, où même de se pendre avec leurs enfants, parfois dit dans un calme absolu qui nous inquiète toujours car on ne sait jamais à quoi s’attendre. Mais finalement, on passe par toutes les émotions et après avoir crié et pleuré, on arrive à discuter » raconte la responsable du centre. Et puis, il y a les agressions physiques, sexuelles et viols qui ont eux aussi explosé depuis le début de la guerre.

« Ces situations arrivent lorsque l’homme revient du front, dans des familles dans lesquelles ce genre de problèmes n’étaient jamais arrivés. Ils rentrent souvent alcooliques voire drogués de la guerre, ça ajoute à la violence ». D’autant plus que, héritage de l’époque soviétique, la drogue est vue comme quelque chose qu’on ne peut pas soigner dans de nombreuses familles, ce qui entraîne de nombreux divorces. Mais le plus compliqué se trouve dans les agressions sexuelles et viols, très répandus le long de la ligne de front. Dans les zones occupées, les femmes qui trouvent le courage d’aller se plaindre à la police locale se voient systématiquement envoyer balader. Étonnamment, la situation n’est pas meilleure côté ukrainien. « Quand cela se passe côté ukrainien et qu’elles essayent de porter plainte, il arrive souvent que les policiers leur répondent qu’il faut faire un effort car leur mari revient du front où il a défendu la patrie, et que c’est donc normal qu’il agisse de la sorte car il est en état de stress… »

Et puis, il y a les divorces, eux aussi nombreux. Les familles scindées par les différences de points de vue politiques se comptent par milliers. Il y a souvent l’homme qui veut rester dans l’Est ou partir en Russie, et la femme, qui veut quitter la zone avec les enfants. Et puis, les retours du front, avec des soldats inconscients des conséquences de leur stress post-traumatique. « Ils se mettent à trembler dans la nuit ou se jettent par terre au moindre bruit, sont agressifs et irritables, généralement leurs femmes prennent peur et quittent la maison. Il y a aussi ceux qui ont trouvé l’amour sur la ligne de front, ou fait appel à des prostituées. Généralement, les femmes ne le supportent pas » décrit Alyona Kryvuliak. « Pour l’instant, nous arrivons à traiter l’ensemble des appels, mais ce qui manque cruellement au pays, ce sont des psychologues prêts à accueillir soldats et familles gratuitement, en ville comme en campagne » ajoute-t-elle.

À Kiev, ou l’on a tendance à oublier que le pays est en guerre, des hommes en treillis parcourent les rues, parfois même le week-end, en famille, comme pour montrer qu’ils sont là, affirmer leur statut en public. Mais des incidents plus graves ont régulièrement lieu. Il y a des fusillades souvent inexpliquées qui ont parfois lieu ici où là dans le pays, il y a aussi les soldats qui rentrent à la maison avec une grenade dans le sac à dos, où les hommes en treillis que l’ont rencontre alcoolisés, la nuit, dans les épiceries. Les conséquences de la guerre sont nombreuses, plus où moins graves, mais malgré ces incidents quotidiens, le gouvernement ukrainien ne semble toujours pas décidé à prendre soin de ceux qu’il a envoyé au charbon.

De Kiev, Paul Gogo