Les songes de Maryia

Maryia est infirmière volontaire intégrée dans l’unité 92 de l’armée ukrainienne basée à Marinka, à l’ouest de Donetsk. Le ministère de la défense souhaite en terminer avec l’époque des volontaires en les faisant signer dans l’armée. Pour Maryia, c’est un vrai choix de vie.

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Au loin, les faubourgs de Donetsk. (Olya Morvan/Hans Lucas)

          Nestor entre timidement dans la cuisine de son appartement. Les fenêtres sont calfeutrées, protégées par des sacs de sable, il faut prendre le risque d’ouvrir la porte qui mène au balcon pour éclairer la pièce. C’est ici qu’il vit, avec quelques hommes de son unité, dans cet immeuble jadis occupé par des civils ayant désormais quitté la ville. La cuisine est organisée de façon anarchique mais pratique, comme c’est souvent le cas lorsque l’armée investit un appartement. Le réfrigérateur de la cuisine est criblé de balles. Dans ce quartier, les balles venues de Donetsk ont une fâcheuse tendance à traverser les murs. La dernière fois que c’est arrivé, c’est dans Nestor que la balle a terminé sa course après avoir traversé les murs de l’appartement. Pile entre les deux yeux.

Maryia, érigée infirmière de l’unité 92 à 25 ans, soulève à son tour le voile qui sépare la cuisine du reste de l’habitation et dépose tout son matériel médical sur la table. Nestor le miraculé s’assoie sur une vieille chaise en bois tandis qu’un de ses collègues met de l’eau à chauffer pour préparer du thé. Maryia retire le pansement qui lui recouvre le front. La balle n’a fait que rebondir sur son crâne, sa plaie est plutôt superficielle quoique bien moche. « Je ne savais même pas que c’était possible, arrêter une balle avec son front… » s’amuse-t-il devant l’assistance. Personne ne l’imaginait effectivement possible. L’infirmière lui retire le pansement gorgé de sang et de désinfectant en douceur puis nettoie de nouveau la plaie avant d’y réinstaller un pansement. Alors que le thé est servi, des combattants font des allers-retours dans la cuisine pour venir y piocher des gâteaux fournis par l’armée par centaines. Dehors, ça gronde, ça tire en rafale, les deux collègues de Maryia, Viktor, 32 ans, le chef du groupe et « Soupchik », 21 ans s’éloignent de la porte ouverte du balcon. « Ça va, ça va, c’est “nach”, notre » lancent-ils pour se rassurer.

« Je voulais m’engager pour soigner. J’ai fait des études d’aide-soignante puis j’ai effectué de nombreuses formations, notamment pour apprendre les bases de la médecine d’urgence. Le premier urgentiste est à 15 minutes d’ici. Si un homme est gravement blessé, je dois maîtriser la situation pendant au moins un quart d’heure » raconte-t-elle devant les soldats admiratifs. Mais l’infirmière a déjà fini son travail, elle engloutit son thé et l’équipe retourne à la base. Dans l’ambulance couleur camouflage, les différents instruments et médicaments voltigent de tous les côtés. Il s’agit de passer de bâtiments en bâtiments le plus rapidement possible, le quartier est régulièrement arrosé à l’arme automatique et sur ces routes boueuses trouées de toutes parts, la conduite est sportive. L’ambulance contourne le QG de l’équipe de médecins puis pile en se garant dans son emplacement, une place entourée de sacs de sable située contre le bâtiment, à l’abri des regards séparatistes.

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Sommeil volé en journée. (Olya Morvan/Hans Lucas)

L’immeuble, le QG des médecins volontaires hébergés dans ce bataillon est un ancien hôpital qui abritait il y a quelques mois encore les vétérans des différentes guerres auxquelles a été mêlée l’URSS. Quand la ville de Marinka s’est retrouvée au cœur de cette ligne de front, les vétérans ont laissé leur place aux futurs vétérans, ceux de cette guerre du Donbass. Le bâtiment, ce qu’il en reste, est digne d’un décor de film. Trois étages à monter par la cage d’escaliers extérieure et l’équipe entre dans un grand hall jadis vitré. Les rafales de vent traversent désormais le hall détrempé, faisant bouger tout ce qui pend, câbles, morceaux de plâtres et plaques de métal. Puis ils passent de la lumière du hall aux couloirs sombres menant aux chambres, des armes de tous calibres traînent par terre avec quelques munitions. Le long couloir enfumé par les feux des poêles est parcouru de divers câbles pendus au plafond, il y a de l’électricité dans presque toutes les chambres de l’étage. Enfin, l’équipe atteint un second hall, celui des ascenseurs, qui fait désormais office de cuisine. Sur un mur, une croix rouge, c’est la chambre de Maryia et de ses deux collègues.

Le cosaque

La jeune infirmière entame déjà sa troisième cigarette de l’heure, affalée sur l’un des trois lits, une planche posée sur un sommier fait de ressorts. Un pantalon treillis, un t-shirt gris, des cheveux blonds aux reflets bruns ou le contraire, des joues généreuses, des yeux bleus et un sourire qu’elle tente de contenir, échouant régulièrement. Au-dessus d’elle, deux lance-roquettes et une kalachnikov sont accrochés au mur. Sous son lit traîne comme un mouton de poussière une petite roquette grise métallisée. Le balcon de la chambre est recouvert de plaques de métal. Des sacs de sable recouvrent le mur qui donne sur l’extérieur. Le poêle laisse échapper un peu de fumée, plongeant la pièce dans un brouillard d’autant plus dense qu’on y enchaîne les cigarettes. Les murs sont recouverts de coloriages patriotiques envoyés par des écoliers. On y voit des avions de chasse ukrainiens sur un fond bleu, des enfants avec des fleurs. Les enfants ont usé de stratagèmes pour faire deviner l’ennemi sans jamais le dessiner. Dans le Donbass, peu de choses distinguent l’ennemi de son propre camp.

Des cris émanent de la cuisine, c’est le commandant qui s’énerve « mais comment tu oses t’endormir sur les checkpoints ? Tu fais comment si on t’attaque putain ? » L’homme harangué prétexte être malade et frappe aussitôt à la porte de l’infirmerie : « Bonjour, Je m’endors souvent sur les checkpoints, je suis malade, auriez-vous des médicaments pour me soigner ? »

A soldier is being treated by nurse Masha.
Le Cosaque épuisé (Olya Morvan/Hans Lucas)

« Nous allons voir ça », lui répond doucement Maryia en lui prenant la tension. Le soldat, petit bonhomme rond semble récupérer rien qu’en ayant la possibilité de passer un peu de temps dans un endroit chaud. Et surtout, de discuter. L’infirmière lui installe une perfusion censée lui redonner un peu d’énergie et quitte la pièce le temps d’aller nettoyer ses instruments.

« Je suis arrivé ici à l’occasion de la troisième vague de mobilisation » explique-t-il. « Mon fils a fait partie de la 1ère vague. J’étais très inquiet de le savoir à la guerre, il était dans la région de Lougansk, je dois avouer que ça a été un bonheur quand il est rentré, mais la guerre a fait de lui un homme » confie-t-il.

« Et me voilà maintenant ici. Mais je me dois d’être-là, je suis un ancêtre des cosaques, je suis de Poltava, la région des cosaques, mon père vivait en Russie, en Sibérie, aussi chez les cosaques, c’est culturel chez nous de se battre pour notre terre. Pour être honnête, je suis content d’être ici. J’ai une femme, elle est agricultrice, deux enfants et même un petit fils mais pour moi c’est comme si on m’envoyait en vacances pour six mois » estime-t-il. Mais depuis qu’il s’est lancé dans ce récit, des larmes perlent sur son visage. Il n’est pas malade, il le sait, il est juste physiquement et mentalement épuisé. Maryia qui s’était absentée quelques minutes refait son apparition, l’homme sèche rapidement ses larmes.

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Maryia à l’heure du repas. (Olya Morvan/Hans Lucas)

Songes existentiels

La perfusion se termine, le soldat attrape une cigarette, Maryia en a déjà une nouvelle à la bouche. L’homme se met à parler de son passé dans l’armée rouge, et de son frère installé à Krasnodar en Russie. « Mon frère comprend tout à fait ce qu’il se passe ici » raconte-t-il, ne s’exprimant plus qu’en regardant l’infirmière qui échappe à tous les regards. Le soldat a visiblement besoin de parler, de s’extraire de sa vie quotidienne plus que de médicaments. Mais Maryia est froide, et « Soupchik » entre dans la chambre, tout sourire. La jeune femme lui lance sur un ton maternel, « c’est la guerre dehors ? »

« Oui ! », répond le jeune combattant, tout souriant, content de lui comme s’il avait fait une bêtise.

Toute la chambre fait semblant de ne pas entendre ce qui se passe dehors mais depuis une heure, les combats ont repris. Dans la matinée, une unité d’élite partie faire du renseignement côté séparatiste, est revenue, a débriefé, puis a lancé les combats à l’arme automatique. Les séparatistes, eux, ont ensuite répondu avec de l’artillerie lourde.

Écouter un son enregistré depuis la chambre de Maryia

Un autre soldat entre dans la chambre pour poser son sniper le temps d’aller boire un thé dans la cuisine. « Je viens de descendre un séparatiste, ça c’est fait ! Mais malheureusement on n’a pas pu récupérer le corps » s’écrit-il, en quittant la pièce, suivi par le triste bonhomme déprimé.

Une nouvelle cigarette à la main, Maryia s’explique sur sa froideur, « c’est vrai que je ne rentre pas trop dans la discussion avec eux parce que je ne veux pas m’attacher. On ne sait jamais, je peux être amenée à récupérer leurs cadavres un jour ».

Elle se lève, attrape une gamelle métallique et va chercher sa ration de patate au lard dans la cuisine puis revient s’allonger dans son lit et veiller jusqu’à minuit, l’heure à laquelle les combats se calment généralement. Une sorte de permanence qu’elle tient en cas de coups durs. Une position de tir ukrainienne est installée sur le toit, quelques étages plus haut. Les murs tremblent et les esprits sursautent lorsque reprennent les tirs. Puis quelques minutes après, c’est au tour de l’artillerie séparatiste de répondre et de venir s’évanouir dans les gravats des immeubles du quartier, délaissés par les civils. Les explosions sont sourdes, elles prennent un coté irréel sans les images. L’un de ces obus termine au pied du balcon de la chambre, des éclats volent jusque dans les plaques de métal protégeant la pièce.

Mais allongée dans son lit, Maryia est concentrée sur autre chose. On ne peut pas penser à la guerre en permanence, il faut savoir décrocher, retrouver ses songes pour ne pas se laisser envahir par ses bruits sourds et tremblements. Et c’est un songe particulièrement existentiel qui occupe les trois membres de l’équipe. L’armée, ses services administratifs, ne cessent de relancer Maryia, Viktor et « Soupchik » sur une question: Souhaitent-ils s’engager dans l’armée pour les trois prochaines années?

« Ils attendent une réponse dans les jours qui viennent, les volontaires de l’armée sont amenés à disparaître, nous sommes les derniers. Mais s’engager pour trois ans, c’est … différent » explique Maryia.

« Nous faisons partie d’un groupement appelé «armée des volontaires », ce groupe de volontaires présents partout sur le front sont en fait majoritairement des anciens du bataillon de volontaires (nationalistes) « Pravii Sektor » raconte Viktor, l’ancien professeur d’histoire devenu tatoueur puis soldat. « Désormais nous devons quitter le front ou nous engager, mais trois ans, c’est long » explique-t-il à voix haute. « Oui, c’est long, ça fait déjà deux ans que nous sommes ici, rempiler pour trois ans, c’est un choix de vie » lance Maryia. En Ukraine, près de 65 000 personnes ont déjà signé pour le front.

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Maryia en discussion avec ses collègues le temps de réchauffer un flacon. (Olya Morvan/Hans Lucas)

Les sens de la guerre

Le commandant frappe à la porte. « Eh le français ! Tu veux voir ce qu’il se passe dehors ? ». Viktor nous escorte dans le couloir de l’hôpital. Il fait noir, c’est enfumé, le béton vibre des tirs d’artillerie, il frappe à l’une des portes.

Dans la pièce, un petit homme est affalé dans son fauteuil. À la vue des visiteurs, il coupe précipitamment le film qu’il était en train de regarder sur son ordinateur. À côté, un autre écran d’ordinateur et sur cet écran, la guerre en direct. Des images infrarouges de caméras de vidéo-surveillance positionnées sur le terrain, en direction de Donetsk. C’est un écran en noir et blanc qui permet de mettre des images sur les sons que l’on entend aveuglement lorsque l’on vit à l’abri des tirs. Les images surréalistes font froid dans le dos. On y voit au premier plan un petit étang puis une grande plaine parcourue par des lignes électriques. Au fond, une série de terrils plus ou moins hauts depuis lesquels tirent les séparatistes. Et en haut à droite de l’image, des dizaines de lumières, les lumières des faubourgs de Donetsk situés à deux kilomètres de la périphérie de Marinka. Régulièrement, des traînées blanches traversent l’écran pour exploser à proximité des caméras. Elles sont parfois plusieurs à illuminer le paysage pendant quelques secondes comme des fantômes, soldats de la mort qui font des allers-retours entre deux positions invisibles. Car aucun homme n’apparaît sur les différentes images des caméras. Il faut connaître les emplacements des différentes positions par cœur pour comprendre ce qu’il se passe, là, dehors, derrière les murs de sacs de sable.

Juste avant que le commandant ne revienne en trombe dans la pièce, un tir violent, a atterri dans l’angle gauche de l’écran, faisant trembler l’immeuble «dans la vraie vie». « Repasse-moi les images du tirs. Merde, c’est pas bon ça » grogne-t-il, puis il attrape un chaton qui se promenait dangereusement dans les nœuds de câbles et de fils électriques et le pose sur ses genoux. « Il est tombé où ? Ah, c’est pas loin ça », il prend son talkie-walkie « c’est tombé près de chez vous, ça a touché l’immeuble ? » s’écrit-il, en caressant son chaton.

Dans la pièce d’à côté, une sonnerie de téléphone d’une autre époque retentit, un «dring-dring» froid et fort que l’on a perdu l’habitude d’entendre. « C’est trop dangereux pour nous de communiquer par talkie-walkie, ils nous écoutent de l’autre côté. Du coup, nous avons récupéré ce vieux poste qui est relié par câbles à toutes nos positions » raconte le commandant. Une épaisse liasse de câbles traverse le mur de sacs de sable pour rejoindre le gros boîtier fait de bois. Quand une position appelle, le téléphone sonne et le voyant rouge s’allume. Pour faire passer son message, le soldat en charge de la communication doit tourner une manivelle. « Ce n’est pas super moderne mais en communiquant par téléphone, nous prenons le risque de nous faire couper le réseau, et par talkie-walkie… Nous nous écoutons tous au point de parfois finir sur les mêmes ondes. Ça peut nous arriver de discuter avec les séparatistes même si le plus souvent ils en profitent pour nous insulter ».

« Venez, on va vous montrer quelque chose » lance Viktor. De l’autre côté du bâtiment, une autre chambre dans laquelle s’est installé un militaire arrivé dans l’après-midi ordinateur à la main. Avec deux autres militaires, ils sont installés dans cette chambre vide, occupés à sonder les ondes de la région. « Contrairement aux séparatistes, nous ne communiquons que très peu avec nos talkie-walkie. C’est un avantage que nous avons sur eux. Surtout que généralement, dans le feu de l’action, ils oublient de prendre des précautions lorsqu’ils se balancent leurs positions » raconte l’homme, assis devant son ordinateur.

L’esprit Maidan

« Je fais comment pour me rendre sur ma position si j’ai pas de voiture, putain ? Ils sont où nos véhicules ? J’ai plus de chauffeur, plus de voiture, je fais comment pour vous envoyer vous battre, putain ? La voiture devait être revenue à 9h, il est 9h20, elle n’est toujours pas là, je fais comment, putain ? » Ce matin, c’est le commandant d’une position qui réveille Maryia. Dans le couloir, il houspille un homme ayant cassé l’une des rares voitures du bataillon. La nuit a été calme mais les soldats ont tout de même retrouvé un obus de 122 mm dans le toit de l’immeuble, sûrement l’un de ceux qui ont plu sur le quartier la veille. Mais l’infirmière est encore endormie lorsqu’un jeune homme, les yeux cernés au point d’être marrons, entre dans la pièce. Timide, la capuche treillis sur la tête, une rose à la main, ses regards gênés furtivement lancés en direction des intrus poussent à s’échapper de la chambre.

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Maryia. (Olya Morvan/Hans Lucas)

Viktor, le chef de cette petite brigade de médecins volontaires entre à son tour dans la chambre. Il est vexé. Son ambulance est en panne et il a appris en revenant du garagiste qu’un homme blessé dans la nuit avait été soigné sans que ne soit fait appel à la fine équipe. Le sujet est sensible car les trois tentent de montrer qu’ils sont indispensables, rêvant de conserver ce statut d’intermittents de la guerre non rémunérés. Le tout, dans cette omniprésente réflexion: rejoindre l’armée ou non ? L’armée est envahie de nouvelles recrues sous contrat venues y gagner quelques sous. L’aventure rémunérée à l’autre bout du pays plutôt que le chômage alcoolisé à la maison. Mais Maryia et ses amis sont loin de cet esprit, c’est Maidan et son esprit romantique de volontariat et de solidarité qui les ont amené à rejoindre le front.

Signer un contrat, c’est devenir un professionnel de la guerre. Chacun pèse le pour et le contre de son côté, la jeune femme casse les assourdissantes réflexions silencieuses et relance : « Pourquoi nous battons-nous encore ici aujourd’hui ? Notre quotidien est au final plutôt calme…

« Ça serait six mois ou un an, je signerais sans réfléchir, mais trois ans c’est long, c’est un choix d’avenir ».

La jeune volontaire ne cache pas son appartenance à un milieu social aisé. Forcément, son entourage n’a pas compris qu’elle utilise son diplôme d’aide-soignante pour partir au front. « Ma mère n’aime pas me savoir ici. Elle ne connaît personne dans son entourage dont les enfants sont au front, elle ne comprend pas pourquoi elle doit subir cette situation. Elle me dit souvent que je me bats pour les intérêts des gouvernements. Mais mon copain se bat aussi au front, je ne pouvais pas ne pas m’engager. Et puis ma grand-mère me soutient. Elle a vécu la seconde guerre mondiale, elle est fière que je me batte. A la maison, elle enregistre tous mes passages à la télévision sur une cassette » explique-t-elle.

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Maryia et sa seringue. (Olya Morvan/Hans Lucas)

« Je rêve d’être professeur des écoles, c’est peut-être l’occasion de me lancer, car qui voudrait confier ses enfants à une femme qui a passé cinq ans sur le front ? » Viktor la coupe en rigolant, «personne, ça c’est certain ! Moi je n’ai pas de plans pour la suite, on ne sait pas ce qui peut arriver dans les deux minutes qui viennent, alors ça n’a pas de sens d’essayer de faire des plans pour le futur. Mais je dois avouer que trois ans c’est long, je ne sais pas si je veux continuer à me battre sur ce front… D’un autre côté, j’habite à 200 kilomètres d’ici, ce n’est pas juste pour la guerre que je suis là, c’est aussi parce que c’est chez moi. L’Europe et les USA nous aident mais si nous ne sommes pas sur le terrain pour arrêter les tanks, ils iront jusqu’à Kiev !»

Maryia s’amuse à charger et décharger une kalachnikov qui traînait sur son lit, « je ne sais pas, j’ai déjà sacrifié deux ans de ma vie à la guerre. J’ai 25 ans, je pense que c’est assez… »

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Maryia enlace « Soupchik » de retour du front. (Olya Morvan/Hans Lucas)

« Gardez la santé »

La réflexion collective est alors interrompue par l’arrivée d’un nouveau visiteur, un soldat qui vient chercher sa piqûre. Malicieusement, Maryia lui propose de lui faire sur les fesses. « Je pourrais totalement la faire ailleurs mais autant en profiter » chuchote-t-elle. Mais le copain de Maryia fait justement son entrée et enlace aussitôt son infirmière de copine. L’homme a 40 ans, il en parait encore plus, longue barbe, pas rasé, un bonnet bleu vissé sur la tête… L’amant anonyme de l’infirmière se bat sur une position ukrainienne située au nord de l’aéroport de Donetsk, lui a signé dans l’armée, mais se garde bien de conseiller sa dulcinée sur le sujet.

La nuit s’installant, c’est l’occasion pour les soldats de relancer la bagarre. Ce soir, c’est le camp d’en face qui relance les hostilités. Un homme entre dans la chambre, « qui veut écrire un message pour les séparatistes sur ma roquette ? Je vais la lancer demain matin » s’exclame-t-il comme un enfant. La jeune femme pose la roquette sur ses genoux et écrit « Et surtout, gardez la santé ! » Puis l’homme quitte la pièce en secouant sa roquette dans tous les sens.

« Tiens, puisque les combats reprennent, ça vous dit d’aller voir sur le toit comment ça se passe ? » propose Viktor. Maryia s’y oppose vivement mais trop tard, les gilets pare-balles et les casques sont déjà enfilés.

Le point d’observation du front est situé sur le toit de l’hôpital. La guerre peut parfois se retrouver à une rue de chez soi. Une rue calme, des maisons aux cheminées fumantes, puis, à l’extrémité d’un terrain vague, le chaos. C’est la même chose dans cet immeuble. Il y a la cuisine fumante, paisible, que le cuisinier s’efforce d’alimenter en repas copieux trois fois par jours. Puis, il y a la porte de la cuisine menant vers la cage d’escalier, elle est située à côté des deux ascenseurs hors service. Pour rejoindre le toit, il faut passer cette porte et monter les trois étages en courant dans le noir afin de ne pas attirer les tirs.

Écouter un son enregistré sur le toit de l'immeuble.

En haut de l’immeuble, une mitrailleuse et des caisses de munitions. La guerre fait rage tout autour du bâtiment. À Marinka, la guerre se fait de terrils en terrils et d’habitations en habitations. Collés au mur extérieur de la cage d’escalier, la vue est impressionnante. Les tirs semblent venir de nulle-part. Une fois encore, aucun homme à l’horizon, seulement des traînées rouges et jaunes qui traversent le ciel comme de rapides étoiles filantes mortelles. Les explosions dues à l’artillerie employée par les séparatistes sont proches et violentes, l’immeuble tout entier est secoué. Les ukrainiens situés à l’arrière de nos positions tirent à l’arme automatique, les balles fusent et sifflent à quelques mètres. Tout se mélange, une explosion à gauche, des balles glissent à droite, d’autres nous étant destinées à gauche. Des positions ukrainiennes nous tirent dessus sans nous toucher, les conflits internes reprennent parfois vie sur le terrain…

La pression

Ce matin, les tirs sont rares. Dans les rues ravagées du quartier, quelques soldats osent même revenir du centre-ville à pied, sans courir. Le ciel est bleu et l’absence de tirs a permis de remplacer les aboiements des chiens par les chants des oiseaux. Pour Viktor et « Soupchik », c’est l’occasion de s’entraîner au tir sous le regard désapprobateur de Maryia. Depuis le couloir de l’hôpital, les balles sont tirées d’un bout à l’autre et finissent leur course dans l’immeuble d’en face. Mais la jeune infirmière se glisse discrètement dans une pièce pour répondre au téléphone, une amie l’appelle pour discuter de son éventuel engagement dans l’armée.

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En attendant la fin des bombardements. (Olya Morvan/Hans Lucas)

Puis c’est Viktor qui doit interrompre son entraînement pour répondre au téléphone, « je réfléchis, trois ans c’est long, j’ai besoin de temps pour décider mais il est clair que le gouvernement ukrainien nous met la pression » explique-t-il à une connaissance. Finalement c’est un autre soldat qui coupe l’entraînement : « Quelqu’un s’est plaint de la présence de journalistes dans le bataillon, il faut les évacuer avant que le commandant ou le SBU (services de sécurité) n’arrive ».

Maryia qui était à l’écart n’a pas entendu l’annonce et poursuit sa discussion au téléphone, elle prononce quelques derniers mots : « Si on veut signer le contrat, il va falloir se décider rapidement ou nous allons être remplacés… »

Paul Gogo

Photos d’Olya Morvan, à retrouver sur son site

Sea, mines and sun

Lorsque le conflit a éclaté dans l’Est de l’Ukraine, au sud, c’est au niveau de Shirokine, ville coincée entre la mer d’Azov et Donetsk que la ligne de front a commencé à fluctuer. En 2014, les séparatistes ont investi le centre-ville de Marioupol situé à une quinzaine de kilomètres à l’ouest de Shirokine, puis les ukrainiens ont repoussé le front au-delà de la ville, à quelques kilomètres à l’est de la ville. Enfin, après une période d’incertitude et de combats, Shirokine est devenue ligne de front, sûrement pour un moment.

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Une position séparatiste abandonnée estampillée « DNR » et « Novorossiya » à Shirokine

           La première fois que j’ai pu approcher Shirokine, c’était un an plus tôt, quasiment à la même période, juste avant Noël. Nous étions une petite dizaine de journalistes à avoir fait la demande d’accès à la zone. Kiev nous avait affecté un officier chargé de la presse pour nous escorter sur zone. Nous l’avions attendu près de deux heures à un checkpoint avant de prendre la route vers les positions ukrainiennes en escaladant péniblement les collines de la région en Lada. Puis nous avions atteint une position toute fraîche, encore en construction, c’était juste avant la prise de la ville par les ukrainiens. Les pelleteuses creusaient des tranchées, des camions de l’armée amenaient des troncs d’arbres ensuite découpés et posés sur des conteneurs enterrés quelques mètres sous terre. Des conteneurs offerts par les dockers de Marioupol. Le tout était censé protéger les soldats des tirs d’artillerie. Les positions séparatistes étaient en bas de la plaine, en direction de la mer et tiraient quelques balles de temps en temps. Mais à l’époque, Shirokine était séparatiste le jour, ukrainienne la nuit, et inversement. Les snipers faisaient la loi, les habitants avaient été évacués du centre. Au bout d’une demi-heure, un homme avait accepté de nous emmener à proximité de la ville, à un kilomètre de l’entrée de la ville. Une carcasse de voiture trônait à côté du panneau « Shirokine, 1 kilomètre », en s’approchant d’un buisson, nous avions débusqué malgré nous trois snipers ukrainiens surpris en plein travail. Ils avaient eu la peur de leur vie, le soldat qui nous accompagnait avait eu le droit à une soufflante digne de ce nom.

Un an plus tard, avec ma camarade photographe Olya, nous refaisons une demande d’accès auprès de l’officier en charge de la presse.

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Olya photographiant une mine

Sacha a eu une grande carrière dans l’armée. En fin de carrière, quelques semaines plus tôt il a demandé à l’état major s’il pouvait être chargé de la presse. Aujourd’hui, c’est lui, grand, maigrichon, casquette treillis vissée sur la tête, la cinquantaine et une kalachnikov en bandoulière portée dans le dos comme un sac, qui nous accueille à l’entrée de sa base, l’aéroport désormais militaire de Marioupol. J’ai vu les ukrainiens barricader cet aéroport, deux ans auparavant, lorsque les séparatistes avaient tenté de prendre la ville. Cet aéroport doit son salut au fait qu’il soit situé à l’ouest et non à l’est de la ville. Désormais, plusieurs checkpoints en protègent l’entrée, le territoire entier est protégé par des murs de blocs de béton. C’est également Sacha qui nous a trouvé notre voiture, une vieille voiture d’une marque soviétique quelconque, dont le conducteur est un camarade de pêche de longue date.

Nous traversons Marioupol d’Ouest en Est pour rejoindre la zone fermée, à quelques kilomètres de la banlieue de la ville. Un jeune soldat nous fait signe de nous arrêter à un checkpoint, notre officier descend lui parler. « Bonjour, j’accompagne deux journalistes français, nous allons à Shirokine, par où peut-on passer ? » « Personne ne passe ! » répond sèchement le gamin en treillis.

Embêté, notre officier passe des coups de fil et demande à un soldat de nous rejoindre. Olya tente de négocier avec le jeune soldat. « Nous organisons un concert dans la base cet après-midi, donc personne ne rentre dans la base » réplique-t-il. Les soldats ont juste honte de se montrer devant un concert.

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Concert au bord de la mer pour les soldats ukrainiens

Une vieille camionnette verte arrive à toute vitesse et passe le checkpoint. Ce sont des bénévoles qui viennent assister au concert. L’un d’entre-eux vient nous saluer. « Ah, mais vous voulez voir le concert ? Venez, je vais vous y accompagner » propose-t-il.

« Tu imagines, ce bénévole a plus de pouvoir que notre officier, on n’est pas arrivés à Shirokine… » me chuchote Olya.

Les soldats sont rassemblés dans une ancienne villa avec vue sur mer désormais partiellement détruite. Le salon vitré est explosé, deux tanks sont rangés dans la pièce d’à côté qui ne fait désormais plus qu’une avec le garage. Le quartier est ravagé, le sol est jonché de verre et de morceaux de béton, la mer est à une centaine de mètres. La vue est magnifique. Dans le garage, une jeune fille blonde en treillis joue de la guitare devant une dizaine de soldats. Certains filment le petit concert avec leurs téléphones, d’autres sont occupés à nettoyer leurs armes. Un homme est attablé, son sniper en morceaux dans les mains. Le tout astiqué et remonté, il vérifie que la lunette de son outil de travail soit bien ajustée en visant la chanteuse pas déstabilisée pour un sou. Fin de la chanson, nous quittons les lieux avec un soldat chargés de nous faire visiter Shirokine arrivé entre temps.

La zone est vallonnée. En temps normal il serait agréable de marcher pendant des heures à travers les plaines ensoleillées donnant sur la mer. Mais cette fois-ci, il faudra se concentrer sur les mines et les tirs. Nous arrivons en haut de la plaine, il n’y a pas âme qui vive, mais le chauffeur s’écrit brusquement

– « Oh regardez sur la route!

– Quoi, quoi? Une mine?

– Non, non, une grue cendrée, si seulement j’avais un fusil.. »

Le temps de retrouver un battement de cœur convenable, et nous atteignons un mur de béton disposé au milieu de la route. Une seule solution, le contourner en passant par le champ.

« Attendez, je vais passer un coup de fil pour m’assurer que le chemin n’est pas miné, c’est bizarre que la route soit barrée à cet endroit-là » lance l’officier. Le coup de téléphone passé, la voiture grimpe sur le champ et en redescend en tapant violemment le pare-chocs sur le béton. « Maintenant, soyons vigilants, tout le coin est miné » ajoute notre accompagnateur en coupant une conversation chasse et pêche entre l’officier et le conducteur de la voiture.

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Le sol de Shirokine recouvert de douilles

Nous descendons une route sur 300 mètres puis nous atteignons l’entrée de Shirokine. « Continuons à pied. Le taxi tu nous suis, sois près à décoller si jamais ça tire et surtout fait attention aux mines » ordonne le soldat. Une maison sur deux est détruite, elles ont servi de bases et de positions pour les séparatistes, puis pour les ukrainiens. Au milieu, les civils qui ont maintenant tous déserté le coin. Peu de journalistes ont eu l’occasion de se promener aussi longtemps dans les rues de Shirokine tant les combats ont été violents. Tous les trente mètres, des mines sont plantées dans le béton, parfois au milieu de la route, souvent sur les bas-côtés. Dans certains jardins détruits, d’anciennes positions séparatistes n’ont pas bougé d’un poil. Des caisses de munitions aux couleurs de la « Novorossyia » ou de la « République populaire de Donetsk », des sacs de nourritures estampillées « rationnement, armée russe » (que j’avais déjà eu l’occasion d’apercevoir en grand nombre ailleurs dans le Donbass côté séparatiste) et un sol recouvert de douilles en tous genres. « Les séparatistes ont dû quitter le coin rapidement, il reste même leurs boites de conserves et leurs vêtements » nous explique le soldat. Partout sur le bas-côté, des chaussures et des manteaux défoncés et déchirés. Dans un virage, un camion de l’armée entièrement brûlé rouille depuis quelques mois. « C’est un de chez nous, le camion transportait des hommes, il a été attaqué en début d’année, une dizaine d’ukrainiens y ont péri » raconte le soldat. Parfois, des voitures explosées apparaissent dans les entrées des maisons. « Nous avons estimé qu’une maison du quartier était complètement détruite chaque semaine durant l’année 2015 » précise-t-il.

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L’école de Shirokine

Puis nous atteignons l’école de Shirokine. Elle est elle aussi complètement ravagée. Il n’y a plus une seule vitre en place, certains étages se sont effondrés. « Regardez cette petite boule blanche et noire nous lance le soldat. C’est une grenade non explosée. Elle est très sensible aux changements de température et bien sûr, aux chocs. Donc faites super attention aux endroits où vous marchez, il y en a partout ». Nous entrons dans le bâtiment en zigzaguant, il faut aussi fait attention aux planchers troués. La classe de mathématiques offre une vue incroyable sur la mer d’Azov au premier étage. Au loin, au niveau de la côte, quelques tirs à l’arme automatique et parfois des tirs d’artillerie résonnent. Les tableaux verts des différentes classes sont recouverts de messages patriotiques et/ou de menaces, au cas où l’ennemi viendrait se balader côté ukrainien dans la nuit. C’est toute l’ironie de la guerre, ces tableaux destinés à l’éducation désormais au milieu d’une guerre servent désormais à marquer (à la craie) le territoire des différents bataillons.

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Une classe de l’école de Shirokine
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Un tableau de l’école de Shirokine
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La cantine de l’école de Shirokine

Au rez-de-chaussée, la cantine a l’air d’avoir été abandonnée rapidement. Tout est ravagé, mais étrangement, une pile instable de verres trône encore miraculeusement au milieu de la pièce. La pièce d’à côté faisait office de musée, les statuettes sont désormais en miette. Le célèbre perchiste du Donbass Sergeï boubka est omniprésent dans cette école, en photo, en statuettes. Il a en grande partie financé la rénovation de cet établissement, l’une de ses statuettes est encore posée à l’extérieur de l’école, à côté de celle d’une femme nue, debout toutes les deux.

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Une statuette de Sergeï Boubka déposée dans la cour de l’école de Shirokine

Nous rejoignons une position de l’armée située en contre-bas dans un quartier à l’origine uniquement composé de maisons de vacances avec vue sur mer. L’ensemble du quartier est désormais occupé par l’armée, il s’étire sur quelques centaines de mètres entre la mer et une colline, en direction de Marioupol. C’est le quartier le plus dévasté qu’il m’est été donné de voir en Ukraine. Il est composé d’une grande rue d’où partent une quinzaine de rues perpendiculaires. Le goudron de la rue n’est plus visible tant il y a de débris pour le recouvrir. Des garages sont ouverts, laissant entrapercevoir la vie qu’on pouvait jadis y trouver. Des vélos, des jouets pour enfants, tout a été détruit et/ou pillé par les différents occupants du quartier. Sur la porte d’un garage, un tag annonce : « Nous tirons sur les « journalopes » de 6h à 18h », un tag peut être issu de la « période séparatiste » mais que les ukrainiens se sont bien gardés d’effacer. Car c’est le bataillon en majorité composé de néo-nazis « Azov » qui a longtemps tenu ce front sud.

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Sur la plage de Shirokine, « on tire sur les « journalopes » de 6h à 18h »

« Avant, il y avait plein de pêcheurs au large, ils avaient tendance à s’en foutre un peu de savoir s’ils étaient dans les eaux russes ou ukrainiennes alors des hélicos russes venaient parfois les repousser, ils tiraient dans l’eau et repartaient. Les pêcheurs s’en foutaient, ils voulaient juste pêcher en fait. Maintenant c’est interdit de prendre la mer de ce côté et il faut être courageux pour le faire, les ukrainiens ont mis des mines sous-marine partout » raconte le chauffeur du taxi qui nous a suivi jusque dans les décombres d’un ancien restaurant dont la terrasse était située sur la plage. Au loin, un véhicule de l’armée utilise la plage pour remonter plus rapidement au front, les soldats s’amusent à mordre les vagues et à déraper dans le sable avant de tourner sur leur gauche et de s’engouffrer dans l’une des ruelles du quartier.

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La plage vide de Shirokine
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Dans le garage d’une ancienne maison de vacances, quelques traces d’une vie passée
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L’une des trois ambulances offertes par les américains à l’armée ukrainienne
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La rue principale du « quartier balnéaire » de Shirokine

Nous reprenons la route vers la ville voisine de Berdyansk, le soldat qui nous accompagne explique : « Il va falloir rouler le plus vite possible sans s’arrêter et en slalomant entre les mines parce que la montée vers la sortie du village est à découvert ». Les séparatistes en haut de la colline, au nord, nous, en bas, au sud. La voiture s’élance, le soldat surveille les positions séparatistes tandis que nous annonçons les mines au conducteur. Des tirs à l’arme automatique visent la voiture, le soldat s’agace, « plus vite, plus vite, aller, il faut aller plus vite là »! Le chauffeur est en panique, il est quasiment debout sur son accélérateur, oubliant presque les mines que nous ne manquons pas de lui signaler. Sortis de la zone, nous rejoignons Marioupol par la côte, en s’arrêtant au bord du lac de Vynogradne, déjà la banlieue de Marioupol. Deux jours plus tôt, deux obus de 152 mm y sont tombés. Un homme nettoie les éclats de verre; Pour la population, le traumatisme est important, personne n’a oublié la catastrophe du 24 janvier 2015, quand un tir de lance-roquette Grad séparatiste avait causé la mort de 30 personnes dans les faubourgs de la ville portuaire.

Texte et photos, Paul Gogo.

Allez jeter un coup d’œil aux photos d’Olya sur sa page Hans Lucas.

Ouest-France. « À quoi ressemble une ligne de front ? »

Reportage publié dans l’édition du Soir de Ouest-France.

Les photos sont de la photographe Olya Morvan.

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Infographie Ouest-France

Une ligne de front ou ligne de démarcation représente une frontière occupée par des armées ayant souvent pour objectif de déplacer cette ligne. Le front peut être actif ou gelé, mais dans tous les cas, la vie y est beaucoup plus présente que ce que l’on peut imaginer. À quoi ressemble une ligne de front en 2016 ? Voici celle du conflit ukrainien, en dix images (…)

Ukraine : les dégâts invisibles de la guerre

La guerre est arrivée en Ukraine aussi rapidement qu’elle s’en est éloignée. Mais ces images violentes brutalement apparues ne disparaîtront pas aussitôt des esprits, laissés sous un choc trop souvent sous-estimé et qui touche l’ensemble du pays.

Mykola Voronin est originaire de Gorlivka, dans l’est de l’Ukraine. Son parcours de soldat, il aime le raconter dans les médias. Il ne le cache pas, c’est sa façon d’être reconnu par la société et d’affirmer son statut de combattant. Il a répondu à de nombreuses interviews pour des médias ukrainiens, il aime se présenter comme un héros, au risque d’en faire un peu trop. Mais il faut avouer que le parcours de ce brun aux yeux bleus est aussi atypique qu’étonnant. Car qui aurait pu imaginer que le Mykola de 2014, professeur de mathématiques, hippie pacifiste de 34 ans, heureux dans sa campagne du Donbass, deviendrait sniper dans l’armée ukrainienne quelques mois plus tard? La guerre a bouleversé sa vie.

À Gorlivka, il a suivi Maidan de loin. « Quand j’ai vu ce qu’il se passait à Kiev, je suis allé à Donetsk pour soutenir le mouvement séparatiste naissant. Puis, je me suis rendu compte de l’ampleur de la propagande russe, et j’ai rapidement fait marche arrière. En fait, c’est quand un de mes amis a été arrêté puis torturé par les séparatistes que j’ai compris que je ne pouvais pas les soutenir » raconte-t-il. Commençant à envoyer des informations aux ukrainiens, se sentant menacé, Mykola décide alors de s’enfuir de son petit paradis avec sa famille. Il envoie sa femme et sa fille en Italie et s’engage dans le bataillon Donbass. Du jour au lendemain, ce pacifiste se retrouve volontairement au cœur des pires batailles du conflit, Ilovaïsk, l’aéroport de Donetsk… « Ma vie de hippie me manquait et me manque toujours, mais ma vie proche de la nature n’était plus possible, d’autant que mon jardin est désormais situé côté séparatiste. Je n’avais pas le choix, il fallait bien que je défende mon pays » assure-t-il. Sur sa page Facebook, de nombreuses traces de son passé sont encore visibles, on peut le voir quasi nu, construire une cabane de paille dans un champ où encore posant avec sa femme, des fleurs dans les cheveux. Mais désormais, ce sont les selfies réalisés en treillis, casque sur la tête, sur la ligne de front qui envahissent sa page. Dans l’armée, il est sniper, « je me suis fait financer tout mon matériel par mes proches, j’ai lu beaucoup de livres sur le sujet, je suis un plutôt bon tireur maintenant je crois ».

Son histoire est finalement plutôt ordinaire dans un pays où l’armée a du être créée dans la précipitation, formée d’amateurs, de patriotes, de nationalistes mais surtout, d’ukrainiens ordinaires désireux de protéger leur pays, leurs maisons, leurs familles. Il y a les volontaires, qui ont accouru au front lorsque la Russie s’est trouvée menaçante, mais il y a surtout les appelés, extirpés de leur routine quotidienne, propulsés dans ces paysages gris retournés par les bombardements incessants.

L’armée ukrainienne a longtemps manqué d’hommes, les permissions n’étaient alors que rarement accordées, « il est pourtant important de lâcher le truc de temps en temps pour ne pas devenir fou » assure Mykola. Dans la vie de tous ces hommes présents sur la ligne de front, il y a souvent des drames personnels, des divorces, des suicides, des dépressions qui ont suivi leur mobilisation… Quelque part, nous qui sommes venus volontairement, on résiste mieux à tout ça que ceux qu’on est allé chercher chez eux. D’autant plus que parfois, ils n’ont pas vraiment envie de se battre pour l’Ukraine ».

Quand Mykola donne rendez-vous aux journalistes, c’est dans une pizzeria située à quelques mètres de l’appartement d’amis qui l’accueillent lorsqu’il n’est pas au front. En face de la porte dorée, à quelques centaines de mètres de Maidan, la meilleure pizzeria de la ville selon lui. Il y vient à chaque retour du front. « La vie est plus simple sur le front, mais ici c’est quand même plus plaisant. On n’a pas de pizzas ou de salles de bain là-bas…  » Ironise-t-il. Reprendre une vie normale sans devenir fou, un vrai défi pour ces hommes. Un défi complètement négligé par l’état qui n’a rien prévu pour le retour de ses soldats. Mais Mykola l’assure, malgré quelques passages à vide, il a finalement su se sortir de cet étrange brouillard fait d’émotions sur-exprimées et de contrastes trop violents. « Ça n’a pas été facile. Quand ma copine était encore en Ukraine, on se retrouvait régulièrement, mais depuis qu’elle est partie, je ne l’ai pas revue, on s’est même séparés. En deux semaines de permissions, je n’avais pas le temps de me faire de visa pour la rejoindre en Italie. Elle s’inquiétait, priait pour moi quand on se téléphonait. J’appréciais, ça m’aidait beaucoup à tenir. Ça fait six mois, trois jours et à peu-prés dix heures que je ne l’ai pas vue, elle me manque » avoue t-il en baissant la tête sur sa pizza au chorizo. Mais Mykola s’est planifié un processus de normalisation de sa vie pour reprendre pied. Première étape, retrouver sa bien aimée : « On s’est appelé récemment, normalement, on est de nouveau ensemble » raconte-t-il, le visage triste, toujours baissé sur son assiette. « Elle va bientôt me rejoindre à Kiev, j’espère reprendre un appartement avec elle. Pour être honnête, j’ai pensé au suicide quand on s’est séparés, mais j’ai dévoilé tout ce que j’avais sur le cœur sur Facebook à l’époque. J’ai alors reçu un soutien gigantesque. J’y racontais aussi mon quotidien, ce qui plaisait à mes amis, mais qui m’a fâché avec une partie de mes collègues. J’ai bien sûr un psychologue que je rencontre régulièrement, mais ce sont les 200 ou 300 personnes qui m’ont apporté leur soutien qui m’ont permis de tenir. Je peux remercier Zuckerberg sur ce point là » rigole-t-il.

Pour tenir face à un quotidien devenu bien fade et superficiel depuis qu’il est rentré, et ce, pour une durée indéterminée, Mykola chante, danse, rencontre ses amis Facebook et prie. « La religion est importante pour moi. Parce qu’il y a beaucoup de situations durant lesquelles j’ai eu de la chance. Je me rappelle quand on était dans l’aéroport de Donetsk, on était dans le hall neuf, les séparatistes étaient sur le toit. J’ai dis à mes collègues qu’il fallait que l’on monte si on voulait survivre. Quand nous sommes arrivés sur le toit, il n’y avait plus personne, les séparatistes avaient quitté les lieux ! Il y a aussi mon cancer, on m’avait annoncé qu’il ne me restait plus que quelques semaines avant de mourir, c’était en 2004, j’avais déjà paqueté mes affaires. Mais je suis toujours là, plus en forme que jamais. Je pense que dieu m’a laissé vivant pour quelque chose de plus important. »

Tous les soldats ne sont pas conscients des dangers psychologiques qu’ils encourent. « C’est une erreur, il faut comprendre que nous revenons tous du front dans un état de choc plus où moins important. Cela nous touche tous. J’ai de nombreux exemples de connaissances qui n’ont pas supporté le front, qui font des dépressions, certains se sont suicidés, d’autres se droguent ou sont devenus alcooliques. Il faut savoir que nous devons nous reconstruire ». À tel point qu’il s’est imposé une série de rendez-vous, avant de retrouver sa bien-aimée. « Je ne veux pas revoir ma femme avant de m’être reconstruit, j’ai rendez-vous chez le médecin, le dentiste, le psychologue cette semaine, et seulement après je la reverrai ».

Seule à la maison

Pour comprendre à quel point une guerre peut bouleverser et choquer un pays, il faut s’intéresser à ceux qui sont restés à Kiev, ceux qui ont vécu le conflit par procuration. Oksana Snigur est une journaliste de 29 ans. En mars 2014, elle était sur Maidan, avec son mari, Oleg. Alors que la Russie s’attaquait à la Crimée, son mari est un jour rentré à la maison en déclarant : « Il faut que tu sois prête, je viens de quitter mon travail, je vais m’engager dans l’armée, je veux défendre notre pays ». Un choc pour la mère et sa petite fille. « Dans un premier temps, je n’ai pas compris sa réaction. Je sais maintenant qu’il ne pouvait pas en être autrement, il ne se voyait pas rester ici à travailler, rester assis au bureau. Mais à l’époque, j’ai trouvé sa réaction étrange. J’étais à la maison, avec notre fille, il ne m’a pas donné le temps de réfléchir à la situation. J’étais sonnée, je pensais que la famille était la chose la plus importante au monde pour lui » raconte-t-elle, attablée dans un coin de la cafette de sa rédaction. Le 21 mai 2014, l’armée ukrainienne attaque l’aéroport de Donetsk. « C’est à ce moment que j’ai réalisé que la guerre allait commencer, qu’il fallait qu’Oleg y aille. Il a parcouru le monde entier comme reporter, je le savais capable d’aller se battre ». La jeune femme mobilise alors l’entourage du couple pour récolter de l’argent pour acheter armes, et matériel de protection, cigarette et café. « Je me suis souvent demandée comment faisaient les femmes de soldats mobilisés, qui n’avaient pas envie d’y aller. Mais je me suis dit que je pouvais faire face, notamment en devenant bénévole, pour aider ces femmes ».

Mais en août 2014, vers 3h du matin, le téléphone sonne. « C’était Oleg, un lance-roquette multiple Grad avait touché leur camp. Il était blessé et allait être évacué. Il m’a demandé de ne pas m’inquiéter. Je ne pouvais rien faire, j’ai réussi à retourner me coucher. Le lendemain, j’ai prévenue la famille. Ensuite, je suis restée trois jours sans nouvelles, à m’inquiéter, il n’avait plus de batterie dans son téléphone. Je savais qu’il avait été envoyé à Kharkiv, j’ai réussi à trouver des bénévoles sur place qui l’ont retrouvé ». Oleg est rentré pour trois mois, avant d’insister pour y retourner. « Il m’a dit qu’il devait absolument retourner avec ses copains, qu’il ne pouvait pas rester là. Je n’étais pas vraiment heureuse de ça, mais je ne pouvais l’en empêcher » avoue-t-elle.

C’est suite à cet incident qu’Oksana s’est rendue compte de ce qu’elle devait apprendre à gérer. Sa propre pression, mais également celle de sa famille et de la famille de son mari, qui passent par elle pour avoir des nouvelles. Sans parler de sa petite fille de trois ans, qu’elle essaye de protéger au mieux. « Quand elle a vu les blessures de son père, elle pensait que ça venait du chat. Puis, la maîtresse a abordé le sujet à l’école, en expliquant à la classe que son père se battait contre des méchants. Ce n’était pas une bonne idée du tout… Maintenant, elle a peur des mauvais gens qui pourraient faire du mal à son père et venir à la maison ». Oksana a également du apprendre à préparer le retour à la maison de son mari, « j’ai rencontré des psychologues, je voulais être capable de reconnaître d’éventuels traumatismes lors de son retour. J’appréhendais beaucoup ce moment parce que je me demandais s’il allait avoir un œil différent sur notre famille, je cherchais à savoir ce qu’il attendrait de nous. J’ai compris qu’il était important de l’écouter, de comprendre ce qu’il a vécu, de comprendre pourquoi il peut être différent, j’ai appris à ne pas réagir de façon radicale. Au final, on est rapidement passé à autre chose. Le premier jour, il m’a raconté ce qui l’avait le plus choqué, ce n’était pas facile à entendre. Il est par exemple rentré sonné par cette famille qui l’a appelé de Saint-Petersbourg parce qu’elle voulait récupérer le corps d’un officier, un très jeune homme, qui avait été tué en Ukraine. Une fois cette étape passée, je lui ai tout donné à faire : la vaisselle, les courses, le ménage, aller chercher notre fille à l’école… » Puis, le visage d’Oksana se referme, elle n’ose aller au bout de ses pensées, un collègue traverse la pièce avec son thé, elle baisse d’un ton. »Je dois avouer que j’ai pensé au divorce, j’avais commencé à en parler à ma mère qui ne m’a pas du tout soutenue. J’ai alors réalisé que j’aime mon mari, je n’étais pas prête à divorcer et que je devais le soutenir car c’est sa place d’être là-bas. Et puis quand quelqu’un qui vous aime vous attend, c’est plus facile de retourner au combat ». Galina Tsiganenka, psychologue, se rend régulièrement sur le front bénévolement pour aller écouter les soldats. La problématique de la vie de couple y est forcément très présente. « Entre soldats, il y a une sorte d’entre-aide psychologique sur la ligne de front explique-t-elle. Mais les problèmes sont souvent du côté des proches. Il y a souvent des conflits qui naissent avec la femme qui, elle, est restée à la maison. Elles voudraient qu’ils rentrent, qu’ils reviennent passer du temps à la maison, mais les soldats ne veulent plus quitter cette nouvelle communauté à laquelle ils appartiennent. En tant que psychologue et en tant que femme, je leur donne des conseils sur la meilleure façon d’harmoniser la situation avec leurs proches ».

Un pays entier traumatisé

Alyona Kryvuliak et ses collègues sont les oreilles indispensables de la société ukrainienne. Dans leurs bureaux exigus remplis de papiers et de livres, situés en périphérie de Kiev, les bénévoles et salariés de l’ONG internationale La Strada répondent aux appels à l’aide anonymes de cette partie de la population qui subit la guerre. Agressions sexuelles, viols, violences conjugales, alcoolisme ou addiction à la drogue, les psychologues et juristes doivent répondre à une myriade de sujets différents car la guerre ne fait pas de dégâts que dans l’Est. Il y a les enfants, choqués par la guerre, « ils ont peur de la guerre, non seulement les enfants des familles déplacées mais aussi les enfants qui vivent dans les régions loin de la guerre. Ce qui les préoccupent, c’est que la guerre arrive jusqu’à eux, ils en font des cauchemars ». Et puis il y a aussi les enfants de déplacés, qui se retrouvent stigmatisés dans leurs nouvelles écoles, traités de séparatistes et harcelés par leurs camarades.

Parmi les appels qu’Alyona et ses collègues ont l’habitude de recevoir, ceux de ces femmes qui paniquent lorsqu’elles se retrouvent seules à la maison. Comme elles savent que nous sommes basées à Kiev, elles pensent que nous avons le téléphone du président Poroshenko et nous demandent de l’appeler pour que leur mari ne soit pas mobilisé, arguant qu’elles ont trois enfants et qu’elles ne pourront plus vivre quand le mari sera parti. Elles appellent souvent dans un état de stress et d’agressivité énorme, on a eu des cas où elles nous menaçaient de partir sur le front, où même de se pendre avec leurs enfants, parfois dit dans un calme absolu qui nous inquiète toujours car on ne sait jamais à quoi s’attendre. Mais finalement, on passe par toutes les émotions et après avoir crié et pleuré, on arrive à discuter » raconte la responsable du centre. Et puis, il y a les agressions physiques, sexuelles et viols qui ont eux aussi explosé depuis le début de la guerre.

« Ces situations arrivent lorsque l’homme revient du front, dans des familles dans lesquelles ce genre de problèmes n’étaient jamais arrivés. Ils rentrent souvent alcooliques voire drogués de la guerre, ça ajoute à la violence ». D’autant plus que, héritage de l’époque soviétique, la drogue est vue comme quelque chose qu’on ne peut pas soigner dans de nombreuses familles, ce qui entraîne de nombreux divorces. Mais le plus compliqué se trouve dans les agressions sexuelles et viols, très répandus le long de la ligne de front. Dans les zones occupées, les femmes qui trouvent le courage d’aller se plaindre à la police locale se voient systématiquement envoyer balader. Étonnamment, la situation n’est pas meilleure côté ukrainien. « Quand cela se passe côté ukrainien et qu’elles essayent de porter plainte, il arrive souvent que les policiers leur répondent qu’il faut faire un effort car leur mari revient du front où il a défendu la patrie, et que c’est donc normal qu’il agisse de la sorte car il est en état de stress… »

Et puis, il y a les divorces, eux aussi nombreux. Les familles scindées par les différences de points de vue politiques se comptent par milliers. Il y a souvent l’homme qui veut rester dans l’Est ou partir en Russie, et la femme, qui veut quitter la zone avec les enfants. Et puis, les retours du front, avec des soldats inconscients des conséquences de leur stress post-traumatique. « Ils se mettent à trembler dans la nuit ou se jettent par terre au moindre bruit, sont agressifs et irritables, généralement leurs femmes prennent peur et quittent la maison. Il y a aussi ceux qui ont trouvé l’amour sur la ligne de front, ou fait appel à des prostituées. Généralement, les femmes ne le supportent pas » décrit Alyona Kryvuliak. « Pour l’instant, nous arrivons à traiter l’ensemble des appels, mais ce qui manque cruellement au pays, ce sont des psychologues prêts à accueillir soldats et familles gratuitement, en ville comme en campagne » ajoute-t-elle.

À Kiev, ou l’on a tendance à oublier que le pays est en guerre, des hommes en treillis parcourent les rues, parfois même le week-end, en famille, comme pour montrer qu’ils sont là, affirmer leur statut en public. Mais des incidents plus graves ont régulièrement lieu. Il y a des fusillades souvent inexpliquées qui ont parfois lieu ici où là dans le pays, il y a aussi les soldats qui rentrent à la maison avec une grenade dans le sac à dos, où les hommes en treillis que l’ont rencontre alcoolisés, la nuit, dans les épiceries. Les conséquences de la guerre sont nombreuses, plus où moins graves, mais malgré ces incidents quotidiens, le gouvernement ukrainien ne semble toujours pas décidé à prendre soin de ceux qu’il a envoyé au charbon.

De Kiev, Paul Gogo