RFI. La réforme des retraites inquiète les russes

(Reportage pour l’émission Accents d’Europe)

L’annonce était censée se noyer dans la ferveur des supporters de la Coupe du monde, celle de la réforme des retraites russes. Sauf que la réforme est explosive : le départ à la retraite sera désormais lié à l’espérance de vie. Dans un pays où les pensions sont maigres et l’espérance de vie plafonne à 66 ans pour les hommes, et 70 ans pour les femmes, la nouvelle a entraîné une levée de boucliers. Reportage de Paul Gogo à Iaroslavl.

Le premier ministre russe Dmitri Medvedev en a fait l’annonce, l’air de rien, quelques minutes avant le premier match de la Coupe du Monde, le 14 juin dernier. Le Kremlin souhaite lancer la Russie dans une réforme des retraites. Inchangé, le plafond de départ à la retraite côtoierait les chiffres liés à l’espérance de vie. Quasi unanimement contre cette réforme, les russes craignent de devoir travailler à en mourir. Reportage à Iaroslavl, ville de 600 000 habitants située à 300 km de Moscou.

L’annonce de cette réforme des retraites est arrivée comme un cheveux sur la soupe. Pour les russes, le sujet est sensible, personne n’a osé s’y attaquer depuis l’instauration en 1932 par Staline de paliers simples. 60 ans pour les hommes, et 55 ans pour les femmes. Avec cette nouvelle réforme, ceux-ci devront partir à la retraite respectivement à 65 et 63 ans. Ce changement annoncé met les russes en émoi.
Bière à la main devant un magasin d’alcool, Nikolaï, 37 ans fait partie de ces nombreux russes qui survivent grâce à de petits boulots. Il se prépare à vivre une retraite difficile.

« J’ai 37 ans et je n’ai jamais travaillé officiellement, j’ai toujours bossé dans un garage. Sur mon livret de travail je n’ai que cinq ans d’ancienneté. La seule solution c’est de mettre de l’argent de coté dès maintenant et d’essayer de toucher des intérêts ».

En Russie, nombreux sont les retraités actifs tant les pensions sont faibles. Mais parfois, le corps ne suit plus, les employeurs non plus. C’est le cas du père de Nikolaï.

 » Mon père par exemple, a pris sa retraite à 60 ans mais plus personne ne veut l’embaucher parce qu’à 60 ans tu ne peux trouver qu’un travail d’éboueur. Mais il a pas envie de faire ça, il a déjà été dans le bâtiment toute sa vie. S’il n’avait pas pris sa retraite à 60 ans, il aurait passé cinq ans sans boulot et sans pension ».

Preuve que ce thème touche profondément les russes, aborder le sujet dans une cour d’immeuble fait descendre les voisins. Ils ont tous leur mot à dire. Pas le temps d’interroger Anna, dévastée par cette annonce, les mots sortent seuls. Cette femme de 55 ans qui devait partir à la retraite l’année prochaine fond en larme à l’idée de devoir travailler huit ans de plus.

« Je suis boulangère à l’usine, je touche 20 000 roubles par mois et je suis debout devant mon four toute la journée, ça veut dire quoi, que je ne vais pas avoir de retraite et que je vais finir ma vie devant mon four ?
Le week-end, j’arrondis mes fins de mois comme caissière chez Dixi parce que 20 000 roubles ça ne me suffit pas pour vivre et maintenant on me vole ma retraite. Que la réforme passe ou non, j’ai encore un an à travailler, j’ai déjà 55 ans et je n’ai plus de santé ».

Au cœur du problème, la pauvreté. 20 millions de russes vivent aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté.

« Une retraite à 63 ans, c’est inimaginable, personne ne survivra. Pour être honnête, la moitié de ma génération a déjà disparu. Les plus anciens meurent déjà .
Mon fils est soudeur, il touche 17 000 roubles par mois, on est tous en dessous du seuil de pauvreté. Certains ont leur salaire qui augmente mais ce n’est pas le cas pour nous, le commun des mortels. On touche cet argent, on paie notre loyer, les impôts, les taxes et il ne reste plus rien pour acheter du pain ».

Toutes mettent en exergue leurs conditions de vie difficiles. Vieux immeubles, routes cabossées et produits d’alimentation de mauvaise qualité, Liouba et Ksenia en ont particulièrement contre le président Poutine.

« Essayez de vivre avec 8000 roubles par mois ! En plus ils disent que les retraités qui travaillent n’auront pas de pension.
« J’ai une hypothèque, on a acheté un appartement, il faut bien vivre quelque part,
Et voilà, on va travailler à vie mais il y en a beaucoup qui ne vivent même pas après cet age là. C’est quoi notre niveau de vie ? La qualité de notre nourriture laisse à désirer, nos magasins aussi, nous sommes tous contre cette réforme ».

Depuis quelques jours, de petites manifestations sont organisées à travers la Russie. Interdites pendant la Coupe du monde, elles pourraient redoubler d’intensité à l’issue du tournoi.
Andreï, 38 ans, fraiseur-tourneur s’est joint à un rassemblement organisé par les soutiens de l’opposant Alexeï Navalny dans le centre de Iaroslavl. Avec cette réforme, les hommes partiront à la retraite à un age qui correspond à leur espérance de vie, l’ouvrier craint de ne jamais voir la couleur de sa pension.

« C’est clair que d’ici 20 à 25 ans, ça sera très difficile pour moi d’accomplir mon travail, le fait qu’ils augmentent l’age de départ à la retraite à 65 ans pour les employés des services publics, les ouvriers, les chauffeurs, ça va être très difficile de survivre jusqu’à cet âge là. Ça, les forces de sécurité ne vont pas le vivre, ils partiront en retraite avant nous et auront une pension bien différente de la notre ».

Pour ne rien arranger, le Kremlin souhaite également augmenter la TVA à l’issue de la Coupe du Monde. Les syndicats de travailleurs et partis politiques d’opposition espèrent mobiliser les foules dans les semaines à venir. De quoi pousser le président Poutine à prendre ses distances avec cette réforme annoncée par le premier ministre Medvedev, expliquant qu’il n’avait pas encore donné son feu vert. Une chose est certaine, le Kremlin garde l’œil sur la population vent debout contre ces annonces.

Paul Gogo, Iaroslavl, RFI

La Libre Belgique. La réforme des retraites inquiète les russes

Nous sommes tous contre”, lance Anna sur un ton catégorique. Dans la cour de son immeuble, dans la banlieue de Iaroslavl (300 km de Moscou), entamer une discussion sur la réforme des retraites annoncée il y a deux semaines par le Kremlin amène tous les voisins à y prendre part. Le 14 juin, c’est le Premier ministre Dmitri Medvedev qui a annoncé cette réforme controversée qu’il espérait noyer dans l’euphorie du Mondial de football. Au même moment, le président Poutine donnait le coup d’envoi au premier match de la Coupe du monde. Ces changements que le gouvernement russe souhaiterait mettre en place dès l’année prochaine prévoient un départ en retraite à 65 ans au lieu de 60 pour les hommes d’ici 2028 et un départ en retraite à 63 ans au lieu de 55 ans pour les femmes, d’ici 2034. La moyenne d’âge des hommes russes s’élevant à 66 ans, il leur faudrait désormais travailler jusqu’à la mort. Ce que la majorité de la population fait déjà. “On dit que les femmes sont en meilleure santé, mais de quoi parle-t-on?” interroge Anna. A moins d’un an de la retraite, elle craint de devoir trimer jusqu’à la fin de sa vie. “Je travaille dans une usine dans laquelle nous faisons du pain, je vais devoir mourir devant mon four à pain?” Cette femme de 62 ans travaille la semaine à l’usine et le week­end dans un supermarché. Elle gagne près de 20000 roubles par mois (environ 270 euros). Anna, comme ses voisines descendues dans la cour du vieil immeuble, s’attendent à recevoir environ 8000 roubles par mois de pension (108 euros). Avec 5000 roubles de loyer, il ne leur resterait plus que 3000 roubles pour manger, soit environ 40 euros.

Un acquis du communisme

Fixé en 1932, ce plancher des retraites n’avait jamais évolué depuis Staline. D’après l’institut FOM cité par le journal “Kommersant”, près de 80% des Russes seraient contre cette réforme. Ces derniers jours, la cote de popularité du président Poutine a chuté de 72% à 63%. En Russie, le Premier ministre est souvent utilisé comme un paratonnerre pour protéger le président. Vladimir Poutine s’est donc empressé de déclarer, via son porte-parole Dmitri Peskov, qu’il n’avait pas eu de rôle à jouer dans la conception de cette réforme. Difficile de dire si cette décision poussera les Russes à descendre massivement dans la rue, les rassemblements étant interdits durant la Coupe du monde. En outre, les syndicats des travailleurs, qui sont contre cette réforme, n’ont un pouvoir de mobilisation que très limité en Russie. Mais dans la population, la grogne est bien présente.

Dimanche, l’opposant Alexeï Navalny avait appelé la population à manifester dans une trentaine de villes non hôtes de la Coupe du monde. Quelques centaines, voire milliers de personnes se sont mobilisées dans chaque ville, dimanche après-midi, sans que la police n’intervienne. Marina, 37 ans, n’a pas participé au rassemblement de Iaroslavl. Pourtant, elle s’affirme totalement opposée à cette réforme. “Je suis cuisinière, je nourris 400 personnes chaque jour. En rentrant, j’ai mes deux enfants à nourrir. Avec une hypothèque contractée pour acheter notre appartement, je risque de toute façon de devoir travailler à vie; ce ne sont pas les 8 000 roubles de retraite qui vont me nourrir”, raconte-t-elle, alors qu’elle attend son troisième enfant. A un âge où les portes du travail se referment, la situation pourrait paradoxalement devenir plus compliquée pour les femmes que pour les hommes. En Russie encore plus qu’ailleurs, il devient particulièrement compliqué pour elles de trouver un travail après 45 ans. Cette réforme pourrait créer une situation dans laquelle de nombreuses femmes se trouveraient sans travail et sans pension. “Nous ne voulons pas de ces galères là. Si nous avons la possibilité de descendre dans la rue pour manifester, nous le ferons”, conclut Marina, rejointe par sa voisine Liouba.

Paul GOGO