

Scène de violence il y a 15mins dans le centre de Moscou pic.twitter.com/wpHlbWC4zV
— Paul Gogo (@Paugog) June 12, 2019



Scène de violence il y a 15mins dans le centre de Moscou pic.twitter.com/wpHlbWC4zV
— Paul Gogo (@Paugog) June 12, 2019
RFI
L’opposition russe était dans la rue, aujourd’hui, à Moscou. Plus de 10 500 personnes ont défilé, 6 000 selon la police, pour rendre hommage à l’ancien ministre et opposant, Boris Nemtsov, assassiné il y a quatre ans dans le centre de la capitale russe. Paul Gogo était dans le cortège.
Le rassemblement est devenu une habitude pour l’opposition russe depuis février 2015, date à laquelle l’ancien ministre et opposant Boris Nemtsov a été assassiné au pied de la place rouge. Fait notable, il s’agit d’un rare évènement d’opposition autorisé par les autorités russes. Dimanche après-midi, plus de 10 500 personnes ont pu défiler sur 1,5km, après avoir été fouillées par la police. Ilia Iachine, opposant et maire de quartier.
Micro 1
C’est une manifestation politique contre la politique de Poutine et pour une Russie libre et démocratique.
Nous voulons la libération des prisonniers politiques, que les enquêtes sur les assassinats politiques soient faites. Non seulement Nemtsov, mais tous les autres aussi. Nous voulons des élections justes dans tous les organes du pouvoir. 2/51
Son 2
Pour les manifestants, cette marche est l’occasion de défiler sans prendre le risque de se faire arrêter, tout en mettant la lumière sur les prisonniers politiques actuels. Anastasya Bourakova, jeune manifestante.
Micro 2
Je suis venue à la marche pour dénoncer les affaires choquantes, comme dans le cas de Boris Nemtsov, les commanditaires n’ont jamais été retrouvés. Je veux aussi parler des jeunes gens torturés par le pouvoir et des affaires criminelles fabriquées.
Son 3
L’ancien candidat à la présidentielle, Grigori Iablinski du parti Iabloko et l’opposant médiatique Alexeï Navalny étaient notamment présents dans le cortège.
Paul Gogo, Moscou, RFI
Bonjour ! Vous pouvez venir à notre voiture ?” Devant leur commissariat, deux policiers russes interpellent un supporter français et deux anglais sortant d’un bar. Ils ouvrent le coffre de leur voiture, y déposent casques et gilets pare-balles.“Nous aimerions faire un selfie avec vous”, lance l’un d’eux, kalachnikov en main, dans un anglais approximatif. Abasourdi, le Français, installé à Moscou, glisse discrètement: « On s’en rappellera après la Coupe du monde, je n’ai jamais vu ça.”
Depuis le début du Mondial, Moscou vit dans un état de grâce rarement vécu. Les Moscovites prennent goût à des instants de liberté inédits que l’on trouve dans des détails, des situations éphémères dont le caractère extraordinaire n’a échappé à personne. Sauf aux étrangers, venus le plus naturellement du monde célébrer le foot, fêter cette fameuse “amitié entre les peuples” à laquelle les Russes ont pris l’habitude de trinquer en éprouvant toutefois de plus en plus de difficultés à l’appliquer au quotidien.
“Merci !”
Mardi soir, dans les heures qui ont suivi la seconde victoire de leur équipe nationale face, cette fois, à l’Égypte (3-1), des milliers de Russes sont descendus dans les rues en chantant, criant, en sautant dans les fontaines, en grimpant aux lampadaires… Des situations toutes simples, mais considérées comme du hooliganisme en Russie en temps normal. Si les Européens se font très discrets, les Sud Américains, eux, sont omniprésents, souvent venus avec toutes leurs économies pour passer deux à trois semaines en Russie. Face aux larges chapeaux Mexicains qui passent à peine les portes du métro, les Russes se dérident du matin au soir. Rares sont les grands-mères russes qui se bouchent encore les oreilles lorsque les Brésiliens mettent les suspensions des wagons à rude épreuve en chantant et sautant en rythme. Puis des « spasibo”, “merci”, fusent à travers les wagons, de Russes tout simplement heureux de voir cette folie habituellement mal perçue, venir troubler le calme du métro moscovite. Des hommes qui prennent des forces antiémeutes dans leurs bras pour fêter une victoire, des rassemblements gigantesques, alors que les lois appliquées durant la Coupe n’en laissent normalement pas la possibilité, des supporters torse nu… De quoi finir au tribunal si le foot n’avait pas envahi les rues du pays. Mardi soir, au même moment, les policiers antiémeutes station
nés à l’extrémité de la rue Nikolskaïa regardaient le match de foot dans leur camion. “J’ai vu deux officiers de police avoir une conversation en anglais (!) avec deux supporters étrangers. L’un d’entre eux était torse nu avec une coiffe folklorique. Les policiers souriaient. Dans quelle ville sommes nous ? Mes amis russes n’ont aucun souvenir d’avoir déjà vu Moscou aussi ouverte, vivante, authentique, amicale. Espérons que cela dure après juillet”, a tweeté Joshua Yaffa, le correspondant du “New Yorker” à Moscou. Même constat pour le journaliste russe Leonid Ragozin. “Le droit de rassemblement, le droit de s’amuser sauvagement dans les rues, de taquiner les policiers, de boire des bières en dehors du wagon-bar des trains. Il s’agit de droits que les fans de football peuvent apprécier en Russie mais auxquels les Russes n’ont pas le droit d’habitude.”
En douce, la réforme des retraites
Depuis dix jours, des touristes s’assoient, presque naïvement sur les pelouses qui bordent le Kremlin, même chose devant la cathédrale du Christ Sauveur. “C’est la première fois que je vois des gens assis sur les marches de cette cathédrale, ils sont détendus comme dans n’importe quelle ville du monde. Je ne peux pas m’empêcher de penser que le ‘monumentalisme’ sacré de Moscou empêche habituellement l’expression d’une liberté. Ces gens sont porteurs d’une liberté intérieure, ils remplissent ce vide monumental de manière instantanée et spontanée parce que, dans leur appréhension des choses, la liberté n’est pas en contradiction avec le côté sacré, ni avec l’emphase officielle de la pierre, des monuments”, explique Léo Kats, traducteur à Moscou.
Le gouvernement russe avait-semble-t-il anticipé cette liesse qui prendrait le pays. Le 14 juin, deux heures avant la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde, le Premier ministre Medvedev annonçait l’augmentation de l’âge de la retraite de 55 à 63ans pour les femmes et de 60 à 65 ans pour les hommes (dont l’espérance de vie est estimée à 65 ans). Une décision déjà très impopulaire dans une Russie pourtant habituée à ne pas contester les décisions gouvernementales. La Coupe du monde n’y fait rien : en dix jours, plus de 2 millions de Russes ont signé une pétition en ligne pour demander l’annulation de cette décision, les syndicats de travailleurs montent au créneau et l’opposant à Vladimir Poutine, Alexeï Navalny, fan de football, a appelé à descendre dans les rues des villes qui n’accueillent pas le Mondial le 1er juillet prochain. De quoi, peut-être, pousser les Russes à sortir de leur état de grâce.
Reportage pour RFI dans la manifestation d’opposition du 5 mai 2018 à Moscou.
Alexeï Navalny l’appelle « le vieillard peureux ». Vladimir Poutine sera investi lundi 7 mai pour un nouveau mandat à la tête de la Russie, et le président russe n’aime pas qu’on lui gâche la fête : des dizaines de manifestations organisées à travers tout le pays par son principal opposant Alexeï Navalny ont été réprimées. Il y a eu plus de 1 500 arrestations selon une organisation de défense des droits de l’homme.
Avec notre correspondant à Moscou, Paul Gogo
« Poutine voleur » ou encore « A bas le Tsar ». Les Russes opposés à Vladimir Poutine ont été nombreux samedi à répondre à l’appel de son opposant principal Alexeï Navalny.
Des rassemblements ont été organisés dans toutes les grandes villes du pays, mais c’est dans la capitale que la situation a été la plus tendue. Car à deux jours de l’investiture du président russe, la police y est présente en nombre. Vladimir Poutine entamera lundi son quatrième mandat. Artëm, 20 ans, milite pour une alternance du pouvoir : « 20 ans au pouvoir ce n’est pas normal parce que le changement de pouvoir c’est la condition du progrès d’un pays. Sans alternance, il se passe ce qui arrive en ce moment dans notre pays, la corruption. Dans n’importe quel pays le pouvoir tourne, ici nous n’avons que Poutine, ce n’est pas normal. »
Le rendez-vous semble avoir mobilisé l’opposition russe dont certains slogans ont fait référence au récent mouvement de protestation arménien. « Comme en Arménie » en référence à la révolution pacifique que vit le pays depuis plusieurs semaines. À l’image de Glen, 21 ans, les manifestants sont nombreux à souhaiter un mouvement de ce type en Russie mais sans forcément y croire : « On verra comment ça va se passer après-demain, j’aimerais que l’on reste dormir sur cette place, que l’on fasse une nouvelle Arménie qui changera notre pays. De toute façon, Poutine a déjà été réélu, il restera encore six ans donc une révolution pacifique est aujourd’hui le seul moyen de faire changer les choses ». Quelques minutes plus tard, Glen sera arrêté comme plus de 1 600 autres manifestants à travers le pays samedi.
Chose rare en Russie, des projectiles ont été lancés sur la police très présente qui a répondu avec des gaz lacrymogènes pour empêcher le blocage d’une avenue. Rassemblés place Pouchkine, les militants ont également dû faire face à une centaine de partisans du président Poutine dont certains en sont venus aux mains. Des cosaques en costume traditionnel étaient également présents. Ils ont participé à l’arrestation d’Alexeï Navalny.
Reportage publié dans la Libre Belgique
L’opposant à Vladimir Poutine a réuni ses soutiens dans les grandes villes du pays dimanche. Objectif, pousser la population à bouder l’élection présidentielle.
Ce scrutin ne laisse que peu de place au suspens. Selon toutes vraisemblances, Vladimir Poutine sera réélu le 18 mars prochain. Alexeï Navalny n’a pas été autorisé par la commission électorale à se présenter, il souhaite maintenant troubler la réélection de Vladimir Poutine en s’attaquant au taux de participation, chiffre qui marque la légitimité d’une élection. Dimanche, ses partisans sont descendus dans les rues du pays pour appeler au boycott du scrutin. Une manifestation que les militants ont préparé toute la journée, samedi dans leur QG moscovite. « On sait que le Kremlin va dire qu’il n’y avait personne dans les rues demain mais on ne veut pas forcément prouver des choses à Poutine, on veut juste donner envie aux gens de faire bouger la situation. Certains ont baissé les bras quand Navalny s’est vu refuser sa participation à la présidentielle mais je ne compte pas mourir le 19 mars, c’est le moment ou jamais de montrer qu’on n’est pas d’accord avec eux » raconte Alexandra Sokolova, militante de 31 ans. « Ma mère gagne 10 500 roubles par mois (150 euros), c’est une existence pauvre alors quand nos députés nous disent qu’ils sont pauvres avec leurs 150 000 roubles (2150 euros), nous sommes choqués ».
Tracts cachés
Les journées de manifestations sont parfois risquées pour les soutiens d’Alexeï Navalny. Dimanche matin, Sergei Boiko, coordinateur du QG du candidat à Moscou a vécu une frayeur. Des hommes habillés en noir l’ont attendu en bas de chez lui. Effrayé, il a couru jusqu’au QG poursuivi par ces hommes qui l’ont finalement jeté dans une voiture non identifiée. Ces hommes se sont avérés être des policiers, le militant a été retrouvé dans un commissariat. « à la veille de nos rassemblements, nous cachons nos tracts dans divers appartements de Moscou car la police a tendance à nous suivre pour nous les confisquer » explique Alexandra Sokolova. Dimanche, les tracts avaient visiblement atteint la place Pouchkine à Moscou, où plus de 3 000 personnes étaient rassemblées.
Petite retraite
En route vers le rassemblement, Alexeï Navalny s’est violemment fait arrêter par la police, traîné par terre puis jeté dans un bus de la police. Il devrait être libéré ce lundi matin. Sur la place, la foule s’écrie « La Russie sans Poutine », « Nous sommes contre un monarque présidentiel ». Un homme déguisé en Vladimir Poutine, une couronne sur la tête se fait acclamer par les manifestants. « Marchons jusqu’au Kremlin » s’écrie la foule rassemblée sur l’avenue Tverskaïa. Les accès bloqués, ils doivent se contenter d’une marche, encadrés par des centaines de policiers anti-émeutes et représentants de la garde-nationale. Dans le cortège, Tamara, 80 ans se démarque des milliers de jeunes venus manifester, plus de 3 000 à Moscou. « Je soutiens totalement les jeunes, mon fils est au chômage depuis deux ans, je suis obligée de m’occuper de lui avec ma petite retraite, je suis fatiguée de cette situation, de ces milliardaires au pouvoir qui nous volent notre argent » lance-t-elle, bousculée par la foule dense contenue sur les trottoirs par des centaines de forces de police appuyées par la garde nationale russe. Plus de 240 personnes ont été arrêtées dimanche à travers le pays.
Paul GOGO
Point sur la présidentielle russe pour Ouest-France
Dans une campagne sans suspens ni débat, le maître du Kremlin brigue un quatrième mandat à la tête de la fédération de Russie
Moscou. De notre correspondant
« Un président fort pour une Russie forte », c’est ainsi que Vladimir Poutine, homme fort de la Russie depuis 1999 et candidat à un nouveau mandat de six ans, se présente devant les électeurs. Le 18 janvier, à deux mois pile du vote, le chef du Kremlin lançait sa campagne en plongeant dans les eaux d’un lac gelé pour célébrer la fête de l’Épiphanie. Cette campagne, il la veut la plus courte possible, se posant au-dessus des autres candidats (nationalistes, communistes, libéraux) qui débattront certes à la télévision, mais sans lui.
D’après un sondage de l’institut FOM, 66% des électeurs auraient l’intention de voter Poutine –un score proche de ses 63,2% de la présidentielle de 2012. Le Président est incontestablement populaire. Depuis quelques semaines, il entretient son image d’homme proche du peuple en organisant des déplacements symboliques à la rencontre d’ouvriers, de professeurs, de religieux. Le 3 février, il organisera son premier événement de campagne, en appelant un million de ses partisans à descendre le soutenir dans la rue.
Une opposition sur mesure
Avant de se lancer dans cette morne campagne, le pouvoir a « organisé » l’opposition. Objectif : que l’élection ait la couleur d’un vote démocratique. Un objectif d’autant plus important à la veille d’accueillir la coupe du monde de football. Il a pour cela fallu contrôler les attaques du trouble-fête Alexeï Navalny, un an durant. Navalny, l’opposant le plus incisif, est finalement interdit de candidature en vertu d’une condamnation ancienne, pour une affaire montée de toutes pièces selon lui.
Depuis janvier 2017, Vladimir Poutine redirige les critiques contre la corruption vers son Premier ministre Medvedev, il calme les jeunes manifestants en les arrêtant, en les faisant expulser de leurs écoles pour s’être « révoltés » ou en envoyant la police chez leurs parents et s’attaque aux réseaux sociaux russes.
L’opposition touchée, le Kremlin a souhaité la diviser en permettant à Ksenia Sobtchak, une opposante populaire chez les jeunes (créditée de 2% des voix) de participer à la campagne. Déclarée candidate une semaine après avoir rencontré Poutine au Kremlin, elle a tous les attributs d’une candidate « autorisée ». Elle a accès aux médias nationaux, ouvre des bureaux à travers le pays sans en être empêchée et bénéficie d’une parole libre. Un véritable traitement de faveur en Russie.
Depuis le début de la campagne, Ksenia Sobtchak a prononcé le nom interdit de « Navalny » sur une télé nationale, déclaré que la Crimée est ukrainienne et s’est rendue, hier, en Tchétchénie pour défier l’autoritaire de cette république autonome, Ramzan Kadyrov.
Alors que Vladimir Poutine mène désormais une bataille contre l’abstention, dernier obstacle qui pourrait délégitimer sa réélection, l’opposition, battue d’avance, se projette déjà dans l’après-Poutine. Une transition dans un monde sans l’homme fort du Kremlin que l’on souhaite organiser, du Kremlin à l’opposition, sans révolution sanglante.
Reportage
Dimanche matin, Sergei Boiko, coordinateur du QG d’Alexeï Navalny à Moscou, et sa compagne Kristina, chargée des relations avec la presse, sont sortis de chez eux, suivis par des hommes habillés en noir. Effrayés, ils ont couru jusqu’aux bureaux de Navalny. Les policiers ont attrapé Sergeï et l’ont jeté dans une voiture non identifiée.
Navalny, qui avait appelé à manifester dans une centaine de villes, a réussi à atteindre le point de rendez-vous sur une grande artère. Après avoir multiplié les selfies, il a été projeté à terre, puis emmené dans un commissariat. Plus de 240 personnes ont été arrêtées dans le pays.
« Monarque présidentiel »
« Le Kremlin va dire qu’il n’y avait personne dans les rues. On ne veut pas forcément prouver des choses à Poutine. On veut juste donner envie aux gens de faire bouger la situation » explique Alexandra Sokolova. Cette militante de 31 ans est « choquée » par le maigre salaire de sa mère (10 500 roubles soit 150 €), quand les députés gagnent quinze fois plus et « se disent pauvres ». Elle ne cache pas un certain désarroi dans l’opposition : « Certains ont baissé les bras quand Navalny s’est vu privé de candidature à la présidentielle. Mais c’est le moment ou jamais de montrer qu’on n’est pas d’accord. »
Dimanche, environ 3 000 personnes ont manifesté à Moscou, 1 500 à Saint-Petersbourg, contre une élection qualifiée de « supercherie » par Navalny. L’avocat pourfendeur de la corruption appelle à boycotter les urnes le 18 mars.
Tamara, 80 ans, dénote au milieu d’une foule très jeune. « Mon fils est au chômage depuis deux ans, je suis obligée de m’occuper de lui avec ma petite retraite, je suis fatiguée de cette situation, de ces milliardaires au pouvoir qui nous volent » lance-t-elle, ballottée par le cortège dense, contenu sur les trottoirs par des centaines de policiers, appuyés par la garde nationale. « Je suis contre un monarque présidentiel » scandent les manifestants, régulièrement coupés par les haut-parleurs de la police leur demandant de quitter la zone.
En fin d’après-midi, la candidate d’opposition Ksenia Sobtchak a pu rencontrer Navalny au commissariat. Il a été relâché dans la nuit.
à Moscou, Paul Gogo
Article à retrouver sur Libération
Les jeunes militants soutenant Alexei Navalny poursuivaient leurs actions ce dimanche midi devant les stations de métro de Moscou comme dans de nombreuses villes en région. Ce week-end, l’opposant et candidat à la présidentielle de 2018 russe a appelé ses partisans à descendre dans la rue pour faire campagne en son nom dans les lieux publics, une manière de célébrer sa sortie de prison. Navalny a été libéré vendredi, après vingt-cinq jours de détention, après avoir été arrêté le 12 juin, accusé d’avoir organisé un rassemblement illégal dans le centre-ville de Moscou.
Les brochures distribuées par les militants s’attaquent au Premier ministre, Dmitri Medvedev, que Navalny a érigé en symbole de la corruption au plus haut niveau du pouvoir russe. Depuis vendredi, les activistes font face à une répression sans précédent. Des responsables des bureaux de campagne de l’opposant en région ont été arrêtés par la police, et même tabassés par des inconnus dans l’ensemble du pays. A Moscou, Alexander Tourovski, 25 ans, a été roué de coups par trois policiers en civil cagoulés, alors qu’il dormait dans le QG moscovite. Les agents se sont débarrassés des tracts entreposés dans le local et ont définitivement fermé le bureau. Le jeune militant, enfermé pendant douze heures sans eau ni téléphone, a été condamné à 500 roubles d’amende (7 euros) et diagnostiqué d’un léger traumatisme crânien à l’issue de sa garde à vue.
Ces derniers jours, les fermetures de QG pro-Navalny et les perquisitions se sont multipliées. L’objectif : faire disparaître les liasses de tracts prévus pour l’action de ce week-end. A Novossibirsk, en Sibérie, des militants ont du évacuer le matériel de campagne par la fenêtre de leur local pendant que la police investissait les lieux. Samedi, à Moscou, un homme a été arrêté parce qu’il transportait un ballon à l’effigie d’Alexeï Navalny dans le coffre de sa voiture. 130 personnes, dont onze mineurs, ont déjà été arrêtés ce week-end en Russie. Dimanche midi, des militants, souvent très jeunes, ont repris position devant les entrées du métro. La police pourrait procéder à de nouvelles arrestations.
La police semble prise d’une panique irrationnelle lorsque les rassemblements ont un lien avec Alexeï Navalny. C’est la première fois en Russie que des militants sont arrêtés en masse pour avoir distribué des tracts politiques. Cette peur paraît d’autant moins compréhensible que le candidat a récemment été déclaré inéligible par la Commission électorale centrale. Il ne pourra donc normalement pas participer à la présidentielle de 2018, à laquelle Vladimir Poutine ne s’est d’ailleurs pour le moment pas déclaré candidat.
Le titulaire du titre d’opposant principal au président russe semble remporter un succès inattendu chez les jeunes générations, imperméables à la propagande du Kremlin. Alexeï Navalny, interdit de média nationaux, reste très peu connu en dehors de Moscou. «Je ne sais pas si le Kremlin est en train de radicaliser ses actions contre Alexeï Navalny, mais je ne pense pas que la campagne présidentielle que Navalny mène ait pour but de remporter l’élection. Son objectif est de montrer qu’il est le seul opposant en Russie. Il a quasiment achevé son objectif», a estimé le politologue Stanislav Belkovsky, interrogé ce week-end sur la radio Écho de Moscou.
Vladimir Poutine, lui, ignore constamment le statut d’opposant de Navalny. Le président russe s’est même lancé dans un «ni-oui ni-non» avec pour objectif de ne jamais citer le nom de son opposant. Interrogé sur la question à Hambourg à l’occasion du G20, Vladimir Poutine a brièvement déclaré à propos de Navalny, une nouvelle fois sans le citer : «Je pense qu’on ne peut discuter qu’avec des gens qui proposent des choses constructives. Mais quand l’objectif n’est que d’attirer l’attention, cela n’encourage pas au dialogue.»
Correspondant à Moscou, Paul Gogo
«Tous les gens qui en ont le droit et qui passeront les procédures prévues par la loi pourront participer aux élections législatives comme à la présidentielle» en 2018, a déclaré Vladimir Poutine lors de son récent passage à Paris. Dans les faits, le président russe mène la vie dure à l’opposition, particulièrement à son opposant principal, Alexeï Navalny, interpellé ce lundi.
A 41 ans, l’avocat et blogueur anticorruption moscovite rêve de détrôner l’inoxydable leader russe. Mais sa route vers le Kremlin est semée d’embûches. Depuis plusieurs semaines, ses équipes doivent batailler pour ouvrir des locaux de campagne en région. A Vologda, Volgograd, Vladimir, ou encore Krasnodar, les propriétaires ont plusieurs fois annulé au dernier moment les contrats de location. A Vladivostok, les autorités ont décidé de changer les serrures en attendant le renoncement du propriétaire. Quant à Moscou, il a fallu s’y prendre à deux fois pour inaugurer le QG central. Pour Leonid Volkov, le directeur du bureau moscovite désormais opérationnel, «le FSB [les services de sécurité russes, ndlr] y est pour quelque chose, ils appellent tous nos propriétaires pour les effrayer». Le 31 mai, le fils du propriétaire du bureau loué à Irkoutsk, en Sibérie orientale, a été agressé par sept personnes, à coups de batte de base-ball. «Ces gens avaient déjà parlé au fils du propriétaire précédent. Il semble que cette fois-ci ils aient décidé de ne pas parler, mais de directement frapper», a commenté Sergei Bespalov, responsable de la campagne dans la région. Mais nonobstant ces petits désagréments, le candidat à la présidentielle continue d’attirer des soutiens et d’ancrer sa campagne.
Le site Navalny2018 annonce plus de 113 000 volontaires inscrits et 44 bureaux ouverts en Russie. Si l’opposant parvient malgré tout à se présenter, ce sera une candidature inédite dans la Russie de Poutine. Pour l’heure, Navalny est l’unique nouveau visage de la scène politique russe, et surtout le seul homme politique «hors système».
A mesure que le début de la campagne présidentielle approche, les défenseurs du Kremlin, officiels et officieux, multiplient les actes d’intimidation contre les voix dissidentes. En avril, plusieurs journalistes, militants des droits de l’homme et opposants ont été attaqués à la «zelionka», un antiseptique vert particulièrement tachant. Alexeï Navalny a failli y perdre un œil, sauvé in extremis par des médecins espagnols. Quelques jours après l’attaque de leur candidat, lassés de voir que la police n’enquêtait jamais, ses soutiens ont fait leurs propres recherches et identifié le responsable. Il s’agit d’Alexander Petrunko, un militant «ultrapatriote» proche du Kremlin qui n’a pas été inquiété par la police, alors qu’il n’avait pas manqué de se vanter de son geste sur Internet. «Les gens de ces groupes ultraloyalistes reçoivent un message clair : « terrorisez nos opposants, vous vous en sortirez sans soucis »», a résumé sur Twitter le journaliste du Moscow Times, Alexeï Kovalev.
Sur les rives de la Moskova, au nouveau QG de Navalny, «on touche du bois pour qu’il n’y ait pas de provocations», lance Elena, 30 ans, chargée de la communication sur le Web. De bois, il n’y a que quelques planches, quelques bureaux Ikea montés à la va-vite. Ces QG ne restent jamais ouverts très longtemps. En attendant, les recrues venues s’inscrire et prendre du matériel de campagne, défilent, toutes très jeunes. «Nos vieux sont au travail, s’exclame la militante. Mais c’est vrai que nous avons beaucoup de jeunes, ils ne regardent pas la télévision, ils s’informent beaucoup sur Internet, ils ne connaissent pas la propagande du Kremlin, ils n’ont connu que Poutine au pouvoir.» Ces jeunes militants, parfois adolescents, se sont déplacés en masse lors de la grande manifestation lancée par Navalny le 26 mars. Interpellés sur place ou retrouvés plus tard sur les réseaux sociaux par la police, ils ont hanté les tribunaux de Moscou pendant des semaines. La plupart s’en sont tirés avec de petites amendes ou quelques jours de détention (pour les habitués et responsables du mouvement). Mais deux personnes ont été condamnées à des peines de prison fermes, et quatre autres attendent une sentence similaire.
«L’important, ce sont les photos que fait Navalny quand il ouvre ses nouveaux locaux en région, explique Alexeï Venediktov, rédacteur en chef de la radio indépendante l’Echo de Moscou. Il y a toujours des jeunes autour de lui. Ils s’engagent comme volontaires dans les QG, ils prennent des risques, ils sont filmés et fichés par le ministère de l’Intérieur mais ils n’ont pas peur. […] Je sais que ça inquiète le Kremlin.» Sur Internet, on ne compte plus les témoignages d’étudiants ayant eu affaire à des professeurs hostiles à la contestation, profitant des cours pour donner des leçons de patriotisme et vanter les mérites de la corruption, ou pour insulter les participants aux manifestations. Dans la même veine, la chanteuse pop Alisa Vox a mis en ligne un clip dans lequel elle donne la fessée aux jeunes manifestants. «La liberté, l’argent, les filles, tu auras tout, même le pouvoir. Alors gamin, reste en dehors de la politique et lave-toi le cerveau», chante-t-elle en tenue légère, suggérant aux «enfants» d’aller en cours plutôt que de descendre dans la rue. Des journalistes russes de Meduza ont enquêté : elle aurait été payée 35 000 dollars (environ 31 000 euros) par le Kremlin pour réaliser cette œuvre.
A Moscou, les soutiens du militant anticorruption ne sont pas sereins. Cité et condamné dans plusieurs affaires judiciaires, leur candidat pourrait tout simplement ne pas être autorisé à se présenter au scrutin présidentiel. En 2014, Alexeï et son frère Oleg Navalny sont accusés d’avoir escroqué une filiale d’Yves Rocher. Le premier est condamné à trois ans et demi avec sursis, le second à la même durée, mais de prison ferme. En février, c’est de cinq ans de prison avec sursis que le blogueur a écopé, jugé par un tribunal de Kirov (est de Moscou) dans une affaire de détournement de fonds. D’après la loi électorale, le candidat à la présidentielle doit avoir purgé sa peine pour se présenter ; en vertu de la Constitution, il doit seulement ne pas être incarcéré. C’est ce flou juridique qui permettra à la justice de rendre Alexeï Navalny inéligible si et quand bon lui semble. «Nous sommes conscients que la justice l’empêchera peut-être de se présenter, mais nous devons partir du principe que tout ira bien. Cela fait trois ans que je travaille pour lui, je commence à avoir l’habitude de travailler au rythme de ses procès», s’amuse Elena.
Ne lui laissant aucun répit, la justice exige désormais que Navalny retire d’Internet son enquête accusant le Premier ministre, Dmitri Medvedev, de corruption. Le documentaire, visionné près de 22 millions de fois depuis sa mise en ligne, attaque frontalement le chef du gouvernement. Un succès sans précédent en Russie qui a d’autant plus agacé le Kremlin que les rassemblements qui ont suivi ont réuni des milliers de manifestants dans le pays. Aucun autre opposant à Poutine ne jouit de la popularité de Navalny. Y compris Mikhaïl Khodorkovski, oligarque pétrolier déchu, qui tente d’organiser depuis Londres un mouvement de mobilisation, via son organisation Russie ouverte, avec le mot d’ordre «Ras-le-bol». L’objectif est d’empêcher que Poutine ne se représente au printemps pour un quatrième mandat. Mais ce dernier mobilise moins largement que Medvedev, car dans l’opinion publique, la corruption glisse sur le Président pour atterrir sur le Premier ministre.
Navalny l’a bien compris. Comme le fait que le pouvoir continuera de lui mettre des bâtons dans les roues pour sa campagne, mais aussi pour l’organisation de la contestation. La manifestation de lundi s’est soldée par des centaines d’arrestations à travers tout le pays. Le même jour, un décret signé personnellement par Vladimir Poutine est entré en vigueur : les rassemblements non autorisés par le FSB, s’ils ne sont pas liés à la Coupe des confédérations (du 17 juin au 2 juillet) seront interdits jusqu’en juillet. Voilà qui tombe à pic.
Paul GOGO pour Libération
Des milliers de personnes ont défilé lundi dans plusieurs villes de Russie, plus de 1 600 personnes ont été arrêtées par la police à Moscou et Saint-Pétersbourg.
C’est sans aucun doute à Moscou que le rassemblement organisé par l’opposant à Vladimir Poutine et candidat à la présidentielle russe de 2018 Alexeï Navalny, a été le plus surréaliste. Le maire de la capitale russe avait, à l’origine, autorisé l’opposant à rassembler ses partisans boulevard Sakharov dans le centre de Moscou. Le rassemblement initié par Navalny avait pour but de demander la démission du premier ministre Medevdev, que les activistes accusent de corruption. Mais, coup de théâtre, dimanche soir, vers 23h, le candidat a publié une vidéo sur internet, demandant à ses soutiens d’aller manifester, avenue Tverskaïa, à quelques pas du Kremlin. Alexeï Navalny explique ce pied de nez aux autorités russes par des pressions venues des autorités : « il était impossible d’organiser un rassemblement convenable avenue Sakharov. Les autorités ont demandé aux loueurs de scènes et enceintes de ne pas travailler avec nous ».
Bataille médiévale
Cette année, la mairie de Moscou avait vu les choses en grand pour célébrer la fête nationale russe, le 12 juin. L’avenue Tverskaïa accueillait des reconstitutions de batailles moyenâgeuses. Dès 14h, des militants de l’opposant russes se sont mêlés aux nombreuses familles venues observer les chevaliers croiser le fer. Une rencontre inédite entre les jeunes militants sur-motivés, et des moscovites qui n’avaient jamais entendu parler de Navalny. Tandis qu’un combat de chevaliers prenait fin, le son du croisement des fers s’est progressivement transformé en clameur venue de nulle-part. La foule de manifestants anonyme devenue assez compacte pour prendre la forme d’une manifestation. « La Russie sans Poutine », « Medvedev au tribunal », « le président est garant de la constitution, Poutine est garant de la corruption » a surgi de la foule, face aux centaine de policiers anti-émeutes qui avaient bouclé le centre-ville. Dans un chaos surréaliste, les manifestants poussés à s’enfoncer dans le festival médiéval ont tenté d’utiliser les ballots de paille et barrières en bois des chevaliers pour ralentir l’avancée de la police. Place Pouchkine, les activistes qui n’avaient pu atteindre la manifestation ont formé une chenille, imitant les anti-émeutes qui se tiennent par les épaules pour traverser la foule à la recherche de personnes à embarquer. Des centaines de personnes ont été arrêtés par la police sur la place Pouchkine. L’ONG OVD-Info estimait lundi soir à 700 le nombre de manifestants arrêtés à Moscou et de 950 à Saint-Pétersbourg. En région, des provocations et arrestations ont également eu lieu. Quant à l’initiateur du mouvement d’opposition, Alexeï Navalny, il a été arrêté au pied de son immeuble alors qu’il se rendait à la manifestation. La police l’accuse de refus d’obtempérer et de violation des lois sur les rassemblements publics, il a été condamné dans la soirée à 30 jours de prison.
Textes et photos, Paul GOGO pour Ouest-France
Alexeï Venediktov est le rédacteur en chef de la radio moscovite « Écho de Moscou« . Cette radio au million d’auditeurs quotidien est l’une des rares à encore donner la parole à l’opposition russe. Venediktov, « vieux de la vieille », travaille en équilibre sur une ligne rouge depuis maintenant 18 ans.
Article à retrouver sur Ouest-France.fr
Comment est née « Écho de Moscou »?
Notre radio a été inaugurée en 1990. Nous avons à l’époque reçu la licence n°1 sur décret de Gorbatchev car jusqu’ici les médias appartenaient au parti communiste, soit à l’état. En juin 1990, Gorbatchev a signé la loi pour la liberté des médias, et on a décidé de faire une radio privée. Ce sont mes amis Sergueï Korzoun et Sergueï Buntman qui travaillaient à la rédaction française de la radio d’état qui ont décidé de créer « Écho ». Moi, ami d’un ami, on m’a proposé de faire une rubrique sur l’éducation parce que j’étais prof d’histoire à l’école depuis déjà 13 ou 14 ans à Moscou. Notre radio a commencé à émettre le 22 aout 1990. Dès cette époque, nous avons tout fait pour protéger notre indépendance.
Justement, comment un média comme le votre peut-il protéger son indépendance dans la Russie de 2017 ?
Lors de la naissance de notre radio, nous étions indépendants, mais on a très vite compris qu’il nous fallait des actionnaires extérieurs et pas seulement des journalistes. Nous souhaitions bien sûr garder notre ligne éditoriale donc nous avons intégré à nos statuts le fait que seul le rédacteur en chef ait son mot à dire sur la ligne éditoriale. Le rédacteur en chef, pas le directeur général. Ce qui fait que les actionnaires peuvent limoger le rédacteur en chef, mais ils ne peuvent pas le choisir. Le rédacteur en chef ne peut être élu que par le conseil des journalistes. La radio repose toujours sur ces règles aujourd’hui. Gazprom est propriétaire de 66% des actions de notre radio, ils peuvent me limoger mais ils ne peuvent pas nommer le rédacteur en chef. Et pour changer ce statut, il faut avoir 75% des actions, les 34% restant appartiennent aux journalistes. Voilà pourquoi notre politique rédactionnelle reste indépendante de l’Etat, de la politique, de Gazprom, de la pub, parce que c’est moi et seulement moi qui décide de ce qu’on peut faire et de ce qu’on ne peut pas faire. Parmi nos règles, il est également défendu pour nos journalistes d’appartenir à un parti politique parce que le seul chef, c’est le rédacteur en chef, pas un secrétaire général, pas Navalny, pas Poutine, pas Jirinovski. Nous avons beaucoup de choses comme ça faites pour protéger notre indépendance.
Quand j’étais petit journaliste, Poutine était un petit bureaucrate, nous avons grandi avec le pays et notre ligne éditoriale n’a jamais changé : Tous les problèmes de monsieur Poutine ou de monsieur Navalny sont sur notre site et sur nos ondes.
Vous savez que je suis le seul journaliste à avoir été critiqué par le président, publiquement, sous les caméras, maintenant deux fois. Mais je dis toujours que si nous pouvons critiquer le président, il est en droit de critiquer la radio publiquement.
Mais ne soyons pas hypocrites pour autant. Tout le monde sait que notre actionnaire n’est pas Gazprom mais Vladimir Poutine. Il y a seize ans, Vladimir Poutine m’a dit, « si tu as un problème, tu peux me téléphoner ». Je n’ai jamais appelé le président, jamais en dix-sept ans. Parce que je comprends très bien que la première fois il résoudra mes problèmes, puis ensuite, comme dans un jeu, vous avez sept vies, une fois tout utilisé, c’est la fin.
Je me rappelle du conflit qu’il y avait eu entre moi et monsieur Lessine, alors président de Gazprom media (NDLR en 2012). Deux jours avant un conseil d’administration, il m’avait annoncé qu’il souhaitait me limoger. Je lui ai dit : « Tu as le droit de me limoger, mais est-ce que tu as appelé l’administration présidentielle ? Tu as reçu son « oui »? « non »? Je te le conseille ». Au final j’ai gardé mon poste, et c’est lui qui a été limogé quelque temps plus tard. C’est à dire que je comprends très bien que chaque jour, chaque heure, je peux être limogé mais je suis absolument ouvert, à droite, à gauche, de toutes les forces de notre pays. Nous sommes un média, nous donnons la parole à ceux qui donnent des opinions différentes sur un même sujet. C’est notre rôle, c’est ce que je dis souvent. Et pendant les rencontres des rédacteurs en chef avec le président, maintenant c’est une fois par an, avant c’était plus souvent, j’ai toujours expliqué mon travail de cette façon. On continue à m’inviter à toutes les rencontres, avec les gouverneurs, les chefs de la sécurité, les ministres, dans tous les cas je parle dans ces cercles comme je parle dans mes émissions car je travaille pour mes auditeurs, pas pour le président ou les actionnaires. Voilà pourquoi la radio existe encore sous cette forme.
Nous pouvons et parlons de toutes les enquêtes sensibles sur la famille du président, sur la Tchétchénie, toutes ces enquêtes publiées par Navalny ou la Novaya gazeta sont publiées sur notre site et sont discutées sur nos ondes. J’ai seulement 12 reporters donc nous n’avons pas la possibilité de réaliser ces enquêtes. Mais nous pouvons les publier et organiser des débats. Il y a quelques minutes j’ai discuté avec le responsable de la presse du premier ministre Medvedev sur un sujet sensible. Je lui ai envoyé un télégramme, il m’a répondu parce que je veux avoir des explications sur nos ondes, des explications valables, pas des explications que donnent les amis du premier ministre. Je veux avoir les explications de tous les partis, et je dis toujours que même les tueurs doivent avoir le droit à la justice, à la justice publique, le droit de s’expliquer. C’est pourquoi je suis d’accord pour avoir les ITW de monsieur Assad, de monsieur Poutine, ou de monsieur Trump sur mes ondes.
Quel est le point de vue de Vladimir Poutine sur nos élections françaises ?
D’abord, pour l’anecdote, sachez que nous avons invité Marine Le Pen quand elle est venue à Moscou (NDLR le 24 mars 2017) car nous avons des contacts avec des proches de Marine Le Pen. Cette fois-ci, ça ne l’a pas fait car elle ne voulait pas que l’on dise qu’elle était de passage à Moscou.
À propos de Vladimir Poutine, je ne suis pas son attaché de presse mais je connais son opinion.
Il faut comprendre que Poutine soutient toujours les candidats anti-américain, anti atlantiste, anti solidarité atlantiste. Pourquoi on a soutenu Trump? Il n’est pas anti américain mais on pensait qu’il affaiblirait l’OTAN, l’Union-Européenne. Pourquoi on a soutenu le Brexit et monsieur Farage ? Qui est monsieur Farage ? C’est rien, c’est nul, mais ça affaiblit l’Union Européenne, ça veut dire que c’est bon pour nous. Ça affaiblit les relations entre les USA, l’Angleterre et l’Union Européenne. C’est la position du Kremlin, soutenir les candidats anti atlantistes, anti américains, anti européens, c’est à dire que dans ce camp là, nos amis français sont monsieur Fillon et madame Le Pen. L’ennemi, Emmanuel Macron.
Ensuite, il y a la question de la Crimée et des sanctions. On soutient les candidats qui reconnaissent le droit de prendre, enfin, de reprendre la Crimée. Les candidats qui considèrent que la question de la Crimée est réglée, nous les soutenons toujours. Madame Le Pen et monsieur Fillon l’ont dit, pas Emmanuel Macron. C’est là que sont nos intérêts.
Ensuite, il faut garder en tête que monsieur Poutine est très conservateur dans son âme. Si monsieur Poutine était citoyen français, colonel-adjoint de la DGSE, comment croyez-vous qu’il aurait voté ? Au premier tour, pour monsieur Fillon, au second tour pour madame Le Pen. Je lui ai lancé en 2008, alors qu’on se demandait qui il allait choisir entre Obama et McCain, « vous devez voter McCain monsieur le Président!« . Il m’a répondu « ah, tu as tout compris, c’est bien ! » Mais c’est parce que c’est la tradition, l’archaïsme, la religion, l’histoire, ce sont ses valeurs.
Au final, ce sont ces trois points : anti-atlantisme, Crimée/Ukraine et ses valeurs qui l’ont poussé vers monsieur Fillon. Aujourd’hui, le Kremlin souhaiterait très sûrement la victoire de madame Le Pen, monsieur Macron on ne sait pas qui c’est ici.
La vision de la Russie sur l’Europe unie, c’est de l’affaiblir parce que nous avons contre nous un front uni allant de l’Amérique jusqu’à la France/Angleterre sur les questions de l’Ukraine, de la Syrie, des pays baltes. Et si il y a une turbulence dans votre pays après l’élection de madame Le Pen, pour nous c’est gagné.
Voilà pourquoi je ne sais pas sous quelle forme il soutient vos candidats, ces histoires d’argent et de hackers sont vraies ou fausses, quoique pour l’argent c’est plutôt vrai mais nous voyons que Vladimir Poutine fait maintenant monter des gens qui sont liés à madame Le Pen. Par exemple, après 2012, c’est Leonid Slutski, autrefois membre du parti de Jirinovski (NDLR président de la LDPR, parti ultra-nationaliste russe) qui avait organisé la visite de son père. Slutski est aujourd’hui membre de la commission des Affaires étrangères de la Douma. C’est lui qui a payé, via son fonds, la visite de parlementaires français en Crimée, avec monsieur Mariani en tête, je l’ai vérifié.
Comment expliquez-vous la récente visite de Marine Le Pen à Moscou et surtout au Kremlin?
J’ai parlé avec mes contacts au ministère des Affaires Étrangères et de l’administration présidentielle sur la visite de madame Le Pen. Je leur ai demandé ce qu’il s’était passé avec Le Pen, ils m’ont répondu : « elle a demandé !« .
J’ai ajouté, « mais pourquoi Poutine l’a reçue alors que notre candidat était censé être Fillon ? »
Ils ont répondu : « Parce que Fillon n’a pas demandé à être reçu ! »
Bon, ce n’est pas l’explication mais tout de même. On nous avait dit qu’il n’y aurait pas d’images de cette visite. Mais Marine Le Pen a insisté plusieurs fois pour qu’il y ait des photos d’elle, seule avec le président Poutine de diffusées. C’est elle qui a insisté pour que sa rencontre soit médiatisée alors que le Kremlin ne le souhaitait pas à l’origine.
L’administration présidentielle ne voulait pas la présenter comme une amie parce qu’on comprenait qu’elle avait moins de chance que Fillon de gagner. Maintenant nous sommes liés à elle.
Comment va se dérouler la présidentielle russe ?
Personne ne le sait et si quelqu’un vous a dit qu’il savait, ce n’est pas vrai parce qu’il n’y a pas de décisions prises.
Mais il y a des faits.
Il y a quelques mois, l’administration présidentielle a organisé des réunions avec des politologues, sociologues, politiques, pour préparer la réélection de Poutine. Ils ont reçu toutes les consignes nécessaires pour commencer ce travail. Depuis sept à huit mois, l’administration présidentielle prépare sa candidature.
Je pense que Poutine sera réélu sans que l’élection ne soit anticipée (NDLR Une rumeur tenace a fait son chemin à l’automne dernier, insinuant que la présidentielle de 2018 pourrait être anticipée pour assurer la réélection de Vladimir Poutine).
Deuxièmement, si le résultat de l’élection présidentielle semble plutôt évident, on comprend par contre que des changements apparaîtront dans le gouvernement. Vladimir Poutine commence petit à petit à changer ses équipes, au Kremlin comme dans les régions. Autrefois, il y avait des gens autour de lui que j’appelais les frères. Ce sont des anciens du KGB, la soixantaine, anciens sous-colonels comme lui, qu’ils ont connu quand Poutine était maire-adjoint de Saint-Pétersbourg. C’est-à-dire messieurs Iakounine, Ivanov, Patrouchev et les autres, même les gouverneurs. Depuis un an, nous voyons des changements dans les postes clés, des gens que j’appellerais les neveux.
Ce n’est pas seulement une nouvelle génération, ce sont des gens qui ont fait du business sous Eltsine, et leur carrière bureaucratique sous Poutine. Ils étaient businessmen dans les années 1990 et sont maintenant appelés par Poutine dans des administrations, dans les mairies de Moscou et Saint-Pétersbourg, puis il les monte progressivement. Deux exemples, le gouverneur de Nijni Novgorod, Andreï Nikitin et le gouverneur de Perm, Maxim Reshetnikov. Mais il y a aussi le chef d’administration de Poutine, Kirienko. C’est le premier échelon.
Le deuxième échelon ce sont les généraux qui étaient avant les petits capitaines, ses gardes du corps qu’il connait bien et qu’il monte peu à peu dans les administrations civiles pour regarder comment ils fonctionnent. Ils ont tous moins de 50 ans. Ce n’est plus la génération soviétique. Il commence pas-à-pas à changer les principes de son équipe. Ce ne sont pas les principes de loyauté des années 1980-90, ce sont les fils, les neveux et pas les frères.
Medvedev, c’est le frère, mais le frère cadet. Il est loyal c’est sûr. Quand Poutine lui a demandé de quitter le poste présidentiel, il l’a rendu en dix minutes, ça a beaucoup compté pour Poutine. On ne sait pas si Medvedev restera ou non mais il finira peut-être président de la cour suprême ou constitutionnelle un jour.
Je vois en tout cas que c’est une génération politique mais pas génétique qui monte, des gens qui n’ont pas fait leur carrière en URSS.
Qu’en est-il de l’opposition russe ?
C’est une nouvelle société qui monte, comme Macron, 39 ans, Navalny, la quarantaine, c’est une génération très ambitieuse comme a pu l’être celle de Blair ou Sarkozy. Ce sont des gens qui ne pouvaient pas faire grand chose mais qui avaient beaucoup d’espérance. Regardez l’Ukraine, il faut chercher les jeunes loups, les gens pas trop idéologiques. Avec des anciens grands empires comme la Russie, la France qui après la guerre a perdu ses colonies, ils n’ont pas l’effet de l’Algérie française, du Kazakhstan russe ou de la Tchétchénie russe. Ce sont des jeunes absolument nouveaux. Donc bien sûr que si Navalny est une personnalité qui peut garder sa vie, je ne dirais pas sa liberté parce que nous avons vu que les gens perdent leur liberté puis la retrouvent, peut-être qu’il deviendra un jour président de la Russie, quand Poutine et ses héritiers seront partis.
Ce qui est intéressant dans l’histoire de la Russie, quand nous regardons comment les grands changements, les grandes réformes ont commencé, nous voyons que l’histoire se répète. Regardez la mort de Staline, il y a eu deux ans en suspend ensuite, c’est ensuite Khrouchtchev qui est sorti du bureau politique et qui a fait les réformes. Après, Brejnev, Gorbatchev…
Donc si Poutine sortait, il y aurait peut-être deux ans d’un pays dirigé par une personnalité politique faible comme Medvedev. Mais Medvedev contre Navalny, qui l’emporterait ? C’est pourquoi Navalny attaque Medvedev, il a très bien compris cela. Attaquer Poutine ? Il est fait de kevlar ! Il s’en fout ! Mais Navalny comprend que Medvedev est son concurrent, pas Poutine. Pas aujourd’hui, pas pour l’élection présidentielle de 2018 mais ensuite, il attaquera l’héritier de Poutine.
La presse internationale a cru remarquer l’apparition de nouveaux visages, plus jeunes, lors de la dernière manifestation d’Alexeï Navalny, le 26 mars dernier, qu’en est-il ?
Ceux qui sont sortis dans la rue, c’est de la protestation. Ceux qui sortent parfois pour Staline, c’est aussi de la protestation. Ce n’est pas l’important, l’important c’est ce que l’on voit sur les photos que fait Navalny quand il ouvre ses nouveaux bureaux en région. Il y a toujours des jeunes autour de lui. Il ne faut pas regarder ceux qui sortent dans la rue, il faut regarder ceux qui sont volontaires, qui s’engagent, ils prennent des risques, ils sont filmés et fichés par le ministère de l’intérieur mais ils n’ont pas peur, ils ne voient pas la peur. « Quinze jour en prison ? Je m’en fiche ! » se disent-ils! Ils ne sont pas extrémistes, ils sont je-m’en-foutiste, ils n’ont pas peur de l’état.
Pour moi le signal ce n’est pas forcément les gens qui descendent dans la rue parce que ça arrive à peu près une fois par an. Le signal ce sont ceux qui s’engagent comme volontaires dans les régions lointaines dirigées par des gouverneurs et la milice et qui se moquent de tout. Ils y vont, ils montrent leur visage, ils font des photos, ce sont des centaines de jeunes gens qui sont prêts à manifester mais surtout à s’engager, à prendre des risques, à aller en prison, c’est très intéressant.
Je m’imagine si mon fils faisait la même chose, s’il allait jeter ses sandales sur la police. Je m’en ficherais, mais travailler, risquer ses études, ses amis, sa famille, quand je regarde ces photos qui viennent de provinces très conservatrices, ce sont des gens qui vivent dans un autre pays via internet, d’autres valeurs, d’autres principes. « Tu m’interdis d’aller me promener ? Je m’en fout. Tu m’interdis de m’engager dans tel ou tel groupe, je m’en fous. Je proteste comme ça, je soutiens Navalny parce que c’est le chef de la protestation« . Autour de Navalny il y a même des gens qui portent des drapeaux de l’union soviétique et des portraits de Staline. C’est de la protestation contre la corruption. Il y a avec eux des étudiants qui ont étudié à la Sorbonne, à Oxford, c’est la masse qui proteste, c’est une alliance de protestation qu’il fait, et c’est génial.
Je sais d’ailleurs que ça inquiète le Kremlin.
Vous verrez dans les mois à venir qu’il y aura des « projets patriotiques » dans les écoles et universités.
Dans un discours de Macron, j’ai vu une phrase « nous sommes les patriotes contre les nationalistes« . Je pense que Navalny reprendra cette phrase en ce sens qu’il soutient les patriotes, il reprend le flambeau du patriotisme des mains de ces quasi patriotes du Kremlin, ces patriotes professionnels ou patriotes du salaire. Il enflamme ces jeunes-là parce qu’il leur dit que tout ce qu’ils font c’est pour la patrie, ce sont eux les héritiers des gens qui ont gagné la grande guerre. C’est une très bonne chose pour la politique. La concurrence c’est très bien.
Par exemple, au delà des affaires, dans vos élections il y a eu plein de projets différents, il y a eu une bataille de projets, ce qui n’existe plus dans mon pays. J’aurais aimé qu’il y ait un second tour Fillon/Macron parce que ce sont deux projets différents qui se seraient combattus pour que les gens puissent choisir.
Chez nous, il y un projet de Navalny, qui est aussi flou que le projet de Macron et il n’y a pas de projet de Poutine. Qu’est-ce que c’est que cette bataille? C’est une bataille pour garder ou prendre le pouvoir.
Quelles sont les figures de l’opposition aujourd’hui en Russie ?
De mon point de vue, il y a trois personnalités.
Il y a Alexeï Navalny qui est le leader, qui a le flambeau de l’opposition.
Il y a Khodorkovski qui est un symbole de l’opposition dans un sens vaste. C’est une personnalité qui a passé dix ans en prison et qui ne cesse pas de combattre.
Et on commence à voir une troisième personnalité, c’est Dmitry Goudkov qui souhaite devenir maire de Moscou et qui veut faire la même route qu’a fait Navalny en 2013. ça sera d’ailleurs peut-être une coalition envisageable pour le futur. Nous avons donc ces trois figures, nous n’avons plus monsieur Kassianov et monsieur Nemtsov qui lui, a été tué.
Il ne reste donc plus que Navalny pour le flambeau, Khodorkovsky pour le symbole d’oppression et monsieur Goudkov qui est sans parti, sans force comme Macron, qui commence à monter. Les sondages le mettent d’ailleurs autour de 20% tout de même (NDLR en prévision d’élections municipales), ce n’est pas rien.
Êtes-vous une radio d’opposition?
Il faut dire que quand monsieur Poutine a fait du paysage médiatique un plat pays, petit arbre que nous étions, nous sommes devenus un grand arbre, mais seulement parce que nous sommes seuls. Je pense que à Amiens ou à Arras, nous serions une radio banale. Tous les hommes politiques de la région, tous les sportifs, les artistes de la région seraient venus chez nous pour s’exprimer et ça aurait été banal en Europe. Mais en Russie, comme tout est défendu, nous sommes une presse d’opposition parce que nous ne voyons pas comment Navalny pourrait être invité sur une chaîne d’opposition. Nous disons toujours que nous sommes une radio professionnelle, pas d’opposition. Il y a Dojd, média d’opposition qui invite toujours les opposants, nous, nous sommes les autres.
On nous accuse souvent d’être agent de l’état ou de Gazprom, décidez qui nous paie ! Je sais très bien que ma politique rédactionnelle est ouverte, ça se voit, on ne cache pas une politique rédactionnelle. Par exemple, si je publie sur mon site les « Panama papers » ou quelque chose sur la famille de Poutine, ça se verra. Nous ne sommes pas une radio d’opposition mais nous critiquons toujours le gouvernement parce que critiquer l’opposition c’est déjà fait par les chaînes de télévision russes.
Propos recueillis/photos par Paul GOGO pour Ouest-France