Entrés sans visa en tant que supporters, ils espéraient rester et trouver du travail. C’était un leurre.
L’offre paraissait alléchante pour les quelques centaines de Nigérians aujourd’hui coincés sans billet retour, à Moscou et Saint-Pétersbourg. Des agents touristiques leur ont vendu un forfait en apparence très avantageux. Il comprenait un billet d’avion pour Moscou; un ticket pour assister à un match de la Coupe du monde, et surtout, une “Fan ID”. Ce document offert aux détenteurs de tickets de matchs permettait à quiconque de se rendre en Russie sans visa le temps de l’événement. Les Nigérians pensaient profiter de leur présence sur le territoire russe pour y trouver du travail.
“On a dit à ces jeunes hommes que ce Fan ID leur permettrait de travailler en Russie. Le Fan ID a représenté une opportunité pour les trafiquants d’êtres humains. Certains de ces hommes espéraient trouver du travail en usine, d’autres, à qui on a expliqué que la Russie manquait de footballeurs, ont pensé pouvoir intégrer un club de football en arrivant”, explique, dépitée, Ioulia Silouïanova de l’ONG russe Alternativa. Les jeunes Nigérians ne comprennent pas la situation et l’ambassade du Nigeria en Russie peine à apporter de l’aide. Pire, elle met des bâtons dans les roues des bénévoles russes. Jeudi, l’ambassade a fait miroiter un vol retour aux Nigérians piégés en Russie. Une cinquantaine d’entre eux a passé la journée devant le terminal destiné aux VIP de l’aéroport Sherementievo de Moscou.
“L’ambassade a organisé un piège en nous faisant amener une foule à l’aéroport. Certains d’entre eux sont un peu agressifs. Plus ils sont fatigués, plus ils s’énervent et la police russe ne comprend pas ce qui se passe. L’ambassade espérait sans doute que tout le monde finisse en prison”, explique Ioulia Silouïanova. Devant l’échec de cette tentative, la police a rapatrié la cinquantaine de personnes, vendredi, dans le centre-ville de Moscou.
Esclavage et prostitution
Regroupés sur le trottoir qui fait face à l’ambassade, les hommes ne lâchaient pas leur précieuse Fan ID. Leur présence sur le territoire russe deviendra illégale à partir du 25 juillet prochain (NDLR Entre-temps, Vladimir Poutine a annoncé rallonger la validité de ces documents jusqu’au 31 décembre 2018). Spécialisée dans la gestion de ce genre de situations, l’ONG Alternativa ne reçoit aucun financement de l’État russe et les bénévoles risqueraient d’être qualifiés d’agents de l’étranger s’ils recevaient de l’argent de l’extérieur. “Nous nous finançons nous-mêmes, il nous est impossible de financer leur retour ou même un hébergement d’urgence”, explique la bénévole d’Alternativa. Résultat, scène rare en Russie, ils ont été plusieurs dizaines à passer la nuit à même le sol, vendredi, en plein centre de Moscou. “Il s’agit pour nous de mettre la pression à l’ambassade. Le problème doit être résolu rapidement. Car même si nous n’avons jamais vécu de situations de ce type, nous en connaissons les conséquences. Lorsque des personnes se retrouvent en position de faiblesse comme c’est le cas de tous ces hommes, il est fort probable qu’on les retrouve dans des réseaux d’esclavage dans quelques semaines, lorsque leur présence sur le territoire sera devenue illégale et qu’elles seront désespérées”, avertit un bénévole. L’association est d’autant plus vigilante
qu’elle a repéré plusieurs réseaux de prostitution durant la Coupe du monde. “Nous avons démantelé un bordel la semaine dernière en collaboration avec la police. Il s’agissait ici aussi de femmes nigérianes. La prostitution des femmes a lieu toute l’année, ce qui n’est pas le cas des trafics touchant les hommes, analyse Ioulia. Mais une chose est claire, nombre d’entre elles ont profité du Mondial et de son système de Fan ID pour entrer en Russie et disparaître dans des réseaux de prostitution.”